vendredi 14 juin 2013

Al-Jounayd : le plus orthodoxe des mystiques


Al-Jounayd : le plus orthodoxe des mystiques

                                                   

Al-Jounayd fut un des grands premiers mystiques soufis de l’Islam de la période classique allant du 2ème au 5ème siècle de l’Hégire (8ème au 11ème siècle après J. C.). Il établit les bases du soufisme « sobre » en posant correctement et dans toute son ampleur le problème de l’union mystique.

Conscient des dangers d’hétérodoxie propres au mysticisme non éclairé par la connaissance de la jurisprudence, il réussit à allier les voies du soufisme aux préceptes de l’Islam. La personnalité unique de ce mystique orthodoxe fit de lui une figure centrale au sein des ordres soufis et lui valut la reconnaissance des sunnites à travers les époques.

Jeunesse et éducation

Aboû-l-Qâsim Al-Jounayd Ibnou Mouhammad Ibnou-l-Jounayd Al-Khazzâz Al-Baghdâdî vit le jour à Baghdâd en l’an 210 H. Bien qu’il ait grandi et vécu dans cette cité, ses contemporains savaient que ses ancêtres étaient originaires de Nihâwand, une ville de Perse occidentale. Peu de choses sont rapportées sur la famille d’Al-Jounayd, excepté les métiers exercés par son père et son oncle maternel. En effet, leur profession faisait partie intégrante de leur nom. Ainsi, le père appelé Al-Qawârîrî était donc marchand de verre et son oncle maternel As-Sariyy (السَّرِيّ), connu sous l’appellation As-Saqtî (السّقْطي), vendait des épices et des condiments. De même plus tard, Al-Jounayd sera désigné comme étant Al-Khazzâz, marchand de soie non traitée.

Ainsi, Al-Jounayd fut élevé dans un milieu commercial. Lorsqu’on son père décéda, alors qu’il n’était qu’un jeune enfant, ce fut alors son oncle As-Saqtî qui le prit sous son aile.

Âgé de vingt ans, l’orphelin commença par étudier le droit et le Hadîth auprès d’un des élèves de l’imâm Ach-Châfi’î, Aboû Thawr ― après avoir appris le Coran par cœur ―, suivant les conseils de son oncle. Celui-ci avait mis en garde son neveu contre les raisonnements spéculatifs, et un jour alors qu’Al-Jounayd quittait la maison, il émit à son endroit l’invocation suivante : « Que Dieu fasse de toi un traditionnaliste soufi et non un soufi traditionnaliste ! » En effet, essayer d’atteindre les hauts degrés du mysticisme sans maîtriser les bases de la religion s’avère être un périple dangereux. Al-Jounayd en témoignera plus tard : « J’ai étudié le droit suivant l’école de sommités du Hadîth telles que Aboû ‘Oubayd et Aboû Thawr. Plus tard, je rejoignis Al-Hârith Al-Mouhâsibî et Sariyy Ibnou Moughallas. Ce fut la raison de mon succès, car nos connaissances doivent être dominées par un retour constant au Coran et à la sunna. Celui qui n’a pas appris le Coran par cœur et qui n’a pas officiellement étudié le Hadîth ni le droit ne peut aller loin dans le mysticisme car ce chemin est contrôlé par le Coran et la sunna. »

Tout porte à croire que si Al-Jounayd n’avait pas choisi la voie du soufisme, il aurait été un éminent juriste. Les décisions juridiques qu’il émettait à vingt ans au sein des cercles d’Aboû Thawr étaient en effet déjà reconnues, témoignant d’une maturité précoce pour l’époque.

La première source mystique d’Al-Jounayd s’incarnait en son oncle As-Saqtî. À sept ans, le jeune orphelin jouait près de son oncle alors que celui-ci échangeait des propos concernant la reconnaissance envers Dieu avec ses amis qu’il recevait chez lui. As-Saqtî s’adressa à son neveu : « Mon garçon, qu’est-ce que la reconnaissance envers Dieu ? » Al-Jounayd de répondre : « La reconnaissance consiste en ce qu’une personne ne doit pas désobéir à Dieu Qui accorde des dons. » Ce sur quoi l’oncle enchaina : « Je crains que ton don en provenance de Dieu soit ta langue. » À chaque fois qu’Al-Jounayd se remémorait ces paroles, il fondait en larmes.

Le détachement des biens de ce monde que manifestait As-Saqtî explique aisément son orientation soufie. Un jour le bazar de Baghdâd prit feu et le marchand d’épices fut informé que l’incendie avait ravagé sa boutique. Sa réponse fut la suivante : « Et bien maintenant je suis libéré de son entretien ! » Il découvrit par la suite que son échoppe n’avait pas brûlé, alors que tous les magasins des alentours avaient été détruits. Il distribua alors tout ce qu’il possédait aux pauvres et se consacra exclusivement au cheminement dans la voie du soufisme.

À l’instar de Socrate avec ses élèves, As-Saqtî instruisait son neveu en lui posant des questions et en discutant avec lui. Une fois, Al-Jounayd trouva son oncle préoccupé et l’interrogea sur la raison de son état. As-Sariyy lui expliqua : « Aujourd’hui un jeune me demanda ce qu’était le repentir. Je lui dis que c’était le fait de ne pas oublier son péché. Et il objecta en assurant que c’était justement le fait d’oublier son péché. » Al-Jounayd informa son oncle que sa propre opinion rejoignait celle du jeune homme. Au pourquoi d’As-Saqtî, Al-Jounayd déclara : « Si tu étais en mauvais termes avec Dieu et que tu te retrouves par la suite en bons termes avec Lui, penser à ton péché n’est pas une bonne chose. » As-Sariyy resta silencieux et reconnut à ce moment-là la supériorité de son neveu.

Al-Jounayd raconta lui-même que l’idée d’enseigner du vivant de son oncle ne l’enchantait guère. Mais l’apparition du Prophète dans un de ses rêves lui fit prendre conscience de sa mission. Le Messager lui dit : « Ô Al-Jounayd, adresse-toi aux gens, car Dieu a fait de tes paroles un moyen de sauver une grande partie de l’humanité. »

Ses enseignements

Les contributions d’Al-Jounayd au soufisme sont multiples. Le grand maître soufi explique comment arriver au soufisme : « Nous n’avons pas appris le soufisme en rapportant la parole des gens, mais nous l’avons pris par les veillées et la faim, en délaissant les choses auxquelles nous nous sommes accoutumés et les jouissances de la vie, car le soufisme, c’est une clarté au niveau du comportement. »


Ses idées essentielles reposent sur une progression qui mène l’aspirant vers l’« annihilation » de lui-même (الفَناء : al-fanâ’) pour accéder à une communion étroite avec le Divin. La vision d’Al-Jounayd diffère en ce sujet de celle d’Al-Hallâj ou d’Al-Bastâmî qui adoptaient la théorie hérétique d’al-houloûl et d’al-ittihâd (l’incarnation divine et l’union). C’est d’ailleurs pour cette raison qu’Ibn Taymiyya, connu pour son rigorisme, prenait souvent les paroles d’Al-Jounayd comme support pour désavouer les adeptes de cette théorie.

Selon Al-Jounayd, le croyant doit renoncer aux désirs naturels, occulter ses attributs humains, abandonner toute motivation intéressée, cultiver ses qualités spirituelles, se consacrer au véritable savoir, accomplir les meilleures actions en se plaçant sur l’axe de l’éternité, souhaiter le bien à toute l’humanité, être sincèrement fidèle à Dieu et suivre les enseignements prophétiques en matière de charî‘a. Ce cheminement commence par la pratique de l’abandon (الزُّهد : az-zouhd) et se poursuit par un retrait du vacarme de la société, une concentration intense dans les actes de dévotion (العِبَدات : al-‘ibâdât) et de rappel de Dieu (الذِّكر : adh-dhikr), le tout conduit par la sincérité (الإِخلاص : al-ikhlâç) et la conscience du contrôle permanent de Dieu (المُراقَبة : al-mourâqaba). C’est justement ce recueillement qui produit l’« annihilation » de soi (الفَناء : al-fanâ’) au point que l’aspirant voit sa volonté neutralisée face à celle de Dieu. Al-Jounayd divise cet état d’annihilation en trois parties :

1 - l’effacement des défauts humains à travers un effort d’opposition constante avec l’ego (النَّفس : an-nafs) ;

2 - le détachement complet du sentiment de réussite, c’est-à-dire renoncer à sa part de mérite lié à l’accomplissement des devoirs religieux ;

3 – la disparition complète de la vision des attractions terrestres causée par une concentration intense sur Le Créateur.

Une fois que l’aspirant a atteint l’annihilation recherchée, il est alors à un stade de « subsistant » (البَقاء : al-baqâ’). C’est à travers cette étape que le fidèle est capable de trouver Dieu ― ou plutôt d’être trouvé par Dieu. Atteindre (البَقاء : al-baqâ’) n’est pas chose aisée, car cheminer par les trois étapes requiert patience et discipline. Les savants débattent même sur la possibilité de parvenir ou non jusqu’à la troisième phase.

Al-Jounayd joua un rôle important dans l’établissement de l’école « sobre » de la pensée soufie grâce à ses définitions logiques et savantes des différentes vertus, de l’unicité, etc. Le soufisme sobre est pratiqué par les mystiques qui sont passés par al-fanâ’ et qui ne restent pas dans un état de dévouement désintéressé ; ils retrouvent leurs sens par Dieu. Ceux qui reviennent de cette expérience de désintéressement sont donc des êtres reconstitués et renouvelés, à l’instar des intoxiqués dégrisés.

Ses enseignements ne s’adressaient point au commun des musulmans, mais ils concernaient plutôt une élite de croyants : « Mais, lui disait-on encore, tu prétends que trois choses forment un obstacle dans la voie du Seigneur : les jouissances de ce monde, la fréquentation des hommes et les appétits sensuels. ― Effectivement, répondit Al-Jounayd, ce sont là des obstacles pour le commun des fidèles ; mais pour l’élite, il y en a trois autres : l’estime que l’on a pour ses actes religieux, l’attention accordée aux miracles qu’on opère et la présomption, par suite de laquelle on estime soi-même les récompenses qu’on croit avoir méritées. »

Le soufisme d’Al-Jounayd était caractérisé par un attachement profond aux textes scripturaires. Il disait : « Dans cette route de la vie, il faut tenir dans sa main droite le Livre que nous a envoyé le Seigneur – qu’Il soit exalté – et de la main gauche les préceptes traditionnels du Prophète , attendu que celui qui marche à la lumière de ces deux lampes ne s’écartera jamais du bon chemin. »

L’invocation émise par son oncle avait été exaucée : Al-Jounayd était bel et bien un traditionnaliste soufi, et non l’inverse.

La personnalité d’Al-Jounayd

Al-Jounayd fut sans conteste un garçon surdoué et plein de bon sens. Ses talents s’exprimèrent dès son plus jeune âge, et furent développés et disciplinés par son oncle As-Saqtî qui préserva son neveu des mauvaises fréquentations. L’enfant prodige et timide mena donc une vie retirée nourrie par les échanges socratiques avec As-Saqtî et les conversations des chouyoûkh qui se rassemblaient chez son oncle.

Al-Jounayd fit preuve d’originalité, de rapidité et de perspicacité dans ses raisonnements qu’il énonçait dans une élocution parfaite.

Ses pairs le considéraient comme un excellent ami, compréhensif et loyal ; plusieurs de ses amitiés perdurèrent tout au long de sa vie.

Aucune source ne précise qu’Al-Jounayd fut marié. Il avait une loyale servante appelée Zaytoûna, qui travaillait également pour deux autres chouyoûkh Noûrî et Aboû Hamza. Il reçut en cadeau une esclave qu’il céda à son tour à un autre de ses compagnons.

Al-Jounayd étudiait assidûment ; il se nourrissait modestement et menait une vie de recueillement équilibrée. Il accomplissait de nombreuses rak‘ât au cours de la journée, lisait le Coran et jeûnait régulièrement. Toutefois, sa corpulence en aurait fait douter plus d’un quant à l’authenticité de son ascétisme.

Al-Jounayd n’aimait pas s’impliquer en politique, et pour ne pas éveiller les soupçons des autorités, il n’enseignait jamais en public. Il était sceptique concernant la profession de juge, considérant comme bien d’autres ce hadîth prophétique littéralement : « Deux juges en enfer et un au paradis. » Deux de ses amis juristes avaient accepté des postes de qâdîs au sein du gouvernement ; Al-Jounayd les a fortement critiqués et s’éloigna d’eux pour cette raison.

Savant de grande renommée, il possédait des connaissances concernant les diverses matières enseignées à son époque ; il dit lui-même : « Il n’y a pas une seule science qu’Allâh ait donné aux créatures de connaître sans qu’Il m’en ait donné une part. » La jurisprudence, la théologie et la morale restaient néanmoins les spécialités dans lesquelles il excellait.

Malgré son éloquence, sa disposition intérieure faisait de lui une personne discrète et réservée qui vivait dans un état de conscience et d’auto-concentration mystiques. Lorsque quelqu’un le questionnait sur un état d’esprit précis, Al-Jounayd se retirait chez lui où il se concentrait en dévotion. Il émergeait quelques temps après et décrivait son expérience à son interrogateur. Khouldî, un disciple d’Al-Jounayd expliqua : « Nous ne connaissons pas d’autres chouyoûkh qui combinent aussi bien le savoir et l’expérience qu’Al-Jounayd. La plupart d’entre eux possède beaucoup de connaissances mais pas d’expérience, tandis que d’autres sont expérimentés, mais n’ont que peu de savoir. Al-Jounayd, en revanche, cumulait une expérience poussée et une vaste érudition. »

Al-Jounayd nourrissait une intuition profonde et surprenante, caractéristique propre à de nombreux classicistes perses. Malgré sa descendance perse, il possédait la discipline et la clarté propres à la doctrine islamique à l’image d’un penseur issu de l’école arabe. Il disposait donc, de même que bon nombre de personnalités remarquables, les vertus d’un héritage double.

Il est finalement facile d’imaginer Al-Jounayd comme étant un homme serein, sans prétention et de bonne humeur, irradiant ceux qui l’entouraient d’un éclat de sa vie intérieure.

Ses compagnons de route

Outre son oncle As-Saqtî, Al-Jounayd fréquenta un certain nombre de mystiques avec qui il eut des échanges formateurs. Parmi eux figurent :

- Aboû ‘Abdillâh Al-Hârith Ibnou Asad Al-Mouhâsibî qui rendait souvent visite à Saryy As-Saqtî. Al-Mouhâsibî versait également dans la science de la rhétorique (‘ilm al-kalâm) et débattait avec les mou‘tazilites. Al-Jounayd se garda bien de ne pas entrer dans cette polémique ;

- Aboû Ja‘far Mouhammad Ibnou ‘Alî Al-Qaççâb qu’Al-Jounayd appelait son « véritable professeur » et duquel il reçut les secrets réservés aux initiés ;

- Aboû Ja‘far Al-Karanbî Al-Baghdâdî qui fut probablement celui qui influença le plus Al-Jounayd dans son mode de vie ;

- Aboû Bakr Mouhammad Ibnou Mouslim ‘Abder-Rahmâne Al-Qantarî, à qui Al-Jounayd rendait souvent visite pour partager des discussions mystiques.

Quelques sages paroles

En parlant de la véracité qu’il enseignait à ses adeptes, Al-Jounayd disait : « La véracité authentique c’est d’être véridique dans des situations où seul le mensonge peut te sauver. »

Il définissait la sincérité en ces termes : « Il s’agit d’un secret entre Dieu et Son serviteur, nul ange ne le détecte pour l’inscrire, nul satan ne le connaît pour l’abolir, nul égo ne le décèle pour le prescrire. »

Lorsqu’il expliquait comment la pudeur s’installe dans le cœur du croyant, il disait : « C’est un état qui naît lorsque l’on voit les bienfaits divins et le manquement humain. »

En parlant du point commun de tous les soufis ― l’amour de Dieu ―, il détaille ses manifestations dans le cœur de l’aspirant en disant : « C’est l’imbrication des attributs de Celui que tu aimes avec tes attributs. C’est ton penchement total vers Dieu en lui donnant la priorité par rapport à ta propre personne, à ton âme et à tes biens matériels. C’est ton accord perpétuel avec Ses choix aussi bien en secret qu’en public, tout en ressentant ton manquement à l’égard de l’amour qu’Il mérite. »

Concernant les assises du rappel (مجالس الذكر), il disait :

« الجلوس مع الفكرة في ميدان التوحيد، والتنسّم بنسيم المعرفة، والشرب بكأس المحبة من بحر الوداد، والنظر بحسن الظن لله عز وجل

: il s’agit de s’asseoir pour méditer sur l’unicité, tout en étant caressé par la brise de la connaissance, en s’abreuvant du verre plein de l’amour de Dieu issu de l’océan de Ses bienfaits et en observant d’un œil satisfait tout ce qui vient de la part de Dieu exalté soit-Il. »

L’école soufie de Baghdâd

Les pères fondateurs de l’école mystique de Baghdâd étaient As-Saqtî et Al-Mouhâsibî. Cette école différait des centres soufis de Syrie et du Khorâsân, son principal sujet étant l’unicité. Ils développèrent leur propre doctrine, élaborèrent leur système qu’ils enseignèrent en secret. Réservée aux seuls initiés, la transmission des idées se faisait dans une terminologie ésotérique (إشارات : ichârât) spécifiquement inventée pour la cause.

Al-Jounayd restreignit le nombre de personnes avec qui il parlait de soufisme à vingt. Convaincu que ses enseignements ― susceptibles d’être mal interprétés ― pouvaient être une source de danger s’ils étaient divulgués au grand public, il prêtait également une grande attention à la formulation de ses lettres.

Vers la fin de la vie d’Al-Jounayd, l’école subit de graves persécutions. Accusés d’athéisme, d’infidélité et d’avoir foi en la réincarnation, les soufis étaient publiquement reconnus comme étant des hérétiques, y compris Al-Jounayd. Même si ce dernier possédait beaucoup de connaissances, était honoré et considéré comme un remarquable homme de religion, les gens témoignèrent contre lui. Profondément déçu, il se résigna et se mit de plus en plus en retrait de la vie en société. Il échappa néanmoins aux procès intentés contre les soufis en mettant en avant ses qualités de juriste.

Son départ de la vie

Lorsqu’Al-Jounayd atteignit ses dernières heures, il lisait le Coran vigoureusement malgré la maladie. Aboû Mouhammad Al-Jarîrî qui était à son chevet lui disait : « Repose-toi un peu » ; et le pieux de répondre : « Je n’ai jamais eu besoin de lire le Coran autant qu’à cet instant où mon livre est en train de se fermer ». Il continua de lire jusqu’à ce qu’il cria d’une voix imposante : « Au Nom d’Allâh Le Miséricordieux ! » puis il ferma les yeux et rendit l’âme. C’était un vendredi de l’année 279 H. Des milliers de personnes accomplirent la prière mortuaire sur lui, puis il fut enterré à côté de son oncle Sariyy As-Saqtî dans un cimetière de Baghdâd. Aboû Mouhammad Al-Jarîrî, qui le vit en songe et l’ayant questionné sur son sort, reçut de lui cette réponse dans son rêve : « Parce que je me levais la nuit pour une prière de deux rak‘ât, Le Seigneur m’a fait miséricorde. »

Les sources du soufisme d’Al-Jounayd étaient profondément ancrées dans la tradition orthodoxe. Ses enseignements étaient donc acceptés à la fois par les soufis et les non-soufis de son époque, et sa personne ravissait même certains mou‘tazilites, à l’instar d’Aboû-l-Qâsim Al-Kalbî qui déclara : « J’ai vu à Baghdâd un chaykh du nom d’Al-Jounayd. Mes yeux n’avaient jamais vu quelqu’un comme lui. Les écrivains venaient à lui pour son style, les philosophes le cherchaient pour la profondeur de ses pensées, les poètes s’inspiraient de son imagination et les théologiens s’adressaient à lui pour le contenu de ses propos ; le niveau de son discours était toujours supérieur aux leurs en perspicacité, en éloquence et en savoir. »

  Son œuvre représente donc un héritage inestimable transmis à la postérité. Que Dieu aide chaque musulman à cheminer fermement vers Lui et qu’Il élève en degré ce noble personnage qui a su donner au mysticisme toute son
authenticité !

Source: http://www.al-wassat.com/index.php?option=com_content&view=article&id=254:al-jounayd--le-plus-orthodoxe-des-mystiques-&catid=75:les-savants&Itemid=145

mardi 4 juin 2013

En Syrie : la guerre du wahhabisme contre le soufisme



(Je trouve l'article très interessant même si l'on n'est pas obligé de souscrire à ce point de vue; on peut se demander également à qui profite en fin de compte la situation actuelle en Syrie; qu'Allah vienne en secour à toutes les personnes innocentes et justes.)

Par : Alaa Halabi, publié le 5/05/13

Il serait naïf de croire que l’assassinat de l’éminent dignitaire religieux syrien Mohammad Saïd Ramadane al-Bouti est exclusivement dû à ses positions politiques, en raison de son soutien au régime syrien. Pour les connaisseurs de la Syrie, il faut creuser en profondeur pour les déceler, en dehors du conflit entre le pouvoir et l’opposition, dans le conflit idéologique latent entre les écoles islamiques.

Dès le début des évènements, en 2011, la plupart des religieux syriens ont gardé le silence, lequel n’a été rompu que par cheikh Bouti qui a déclaré haut et fort que ce qui se passe a pour objectif de détruire la Syrie. C’est à ce moment-là que les religieux sont sortis de leur mutisme, adoptant une position similaire, estimant que le danger qui menace la Syrie et commence à dévoiler ses réels objectifs est « une menace contre le courant islamique soufi et modéré », et ce qui se passe « constitue un danger pour l’Islam du pays du Levant ».

 «  Les wahhabites se sont répandus en Syrie. Ils répudient tous ceux qui ne sont pas d’accord avec eux », constate un enseignant de l’université de la charia à Alep (elle a été détruite)...

Selon lui, le fait de parler d’un conflit confessionnel relève d’une vision très superficielle et très étroite de ce qui se passe. «  Il est vrai que les minorités sont prises pour cible. Mais il ne faut pas généraliser dans un Etat majoritairement sunnite. Le conflit confessionnel se limite à une zone géographique étroite, dans les frontières où se trouvent ces minorités. Mais dans une vision plus élargie des évènements de la guerre en Syrie, il est clair aussi que les Sunnites sont également visés. Tous les mausolées et sanctuaires soufis sont détruits, les religieux de ce courant sont tués », a-t-il décrit. Avant de conclure : «  c’est une guerre de l’extrémisme contre l’Islam modéré, lequel constitue la caractéristique essentielle du pays du Levant ».

Sachant que cheikh Bouti, considéré comme l’un des plus grands cheikhs soufis des temps modernes, a exprimé une position très claire à l’encontre du Wahhabisme. Dans une intervention intitulée «  Les trois clous britanniques pour démembrer l’unité islamique », en 2003, publiée sur son site, il a soutenu que « le wahhabisme a été confectionné par les Britanniques dans le but d’éradiquer l’Islam de l’intérieur, pour que les Musulmans s’insurgent les uns contre les autres, pour que l’Islam soit éradiqué par les Musulmans eux-mêmes ».

Tous les religieux soufis étaient de cet avis. Certains d’entre eux l’ont payé de leur vie.

«  Le courant soufi perd ses ulémas », constate l’enseignant à l’université de la charia à Alep, qui indique qu’un nombre important de ce courant ont été assassinés ces deux dernières années : dont entre autre l’imam de la mosquée Anas Ibn Malek à Damas, cheikh Ahmad Aouf Sadek, tué le 15 février 2012, l’imam de la mosquée Amena Bint Wahab à Alep, Abdel Latif Chami, qui a été kidnappé alors qu’il dirigeait la prière durant

le mois de Ramadan, le 25 juillet dernier, le directeur du legs à Raqqa, cheikh Abdallah Saleh, abattu le 30 janvier dernier, l’imam de la mosquée mohammadi à Mazzé, quartier de Damas, cheikh Adnan Saab, sans oublier cheikh Ahmad Karmouz, et le dernier qui a été abattu dans le quartier aleppin cheikh Maksoud, cheikh Hassan Seifeddine. Il a été décapité et sa tête a été plantée sur le minaret de la mosquée dans laquelle il priait.

Des mausolées et des sanctuaires soufis ont également été détruits ou vandalisés, dans plusieurs régions syriennes, surtout à Alep, qui est la ville soufie par excellence et qui compte quelques 200 centres soufis inscrits à la direction du legs, sans comptes les dizaines qui ne le sont pas.

Parmi ceux qui ont été saccagés, nous en citons les suivants : les takiehs (petites mosquées soufies) du Croissant, la tombe de cheikh Abou Baker al-Wafai, les zawiya (petites mosquées soufies)

d’Asliyya , de Moulawiyya dans l’ancien jardin, Akiliyya et Baaj, et les sanctuaires Abdel Kader Jilani, ( fondateur de l’école soufie Kadiriyya) et  du haj Khalil Tayyar qui a été bombardé.

Dans sa définition, le wahhabisme est un mouvement islamique politique fondé dans la région de Najed, au XVIIIème siècle, aussi par Mohammad Ben Abdel Wahhab et Mohammad Ben Saoud.

 Sans tarder, Mohammad Ben Abdel Wahhab a déclaré le jihad, en qualité de razzias, au cours desquelles il s’est emparé des biens de ses adversaires musulmans, soi-disant confisqués comme butins.

Le mufti de Lattaquié cheikh Zacharia Salwayet opère une distinction entre lewahhabisme et le salafisme, assurant qu’il n’existe aucun lien entre eux. «  Le wahhabite regarde toujours le mauvais côté des autres, il cherche en lui ce qui lui permet de le répudier et de le tuer. ce qui n’est pas le cas chez les salafs (les anciens religieux) intègres », fait-il remarquer.

Toujours selon ch. Salwayet, ce conflit remonte à bien loin, « depuis le conflit entre le Bien et le Mal », car d’après lui le fait de répudier les autres est « un mal absolu ». Et de poursuivre : «  Dieu n’a point autorisé de tuer. Aucun musulman ne peut prononcer le verdict d’apostasie à l’encontre d’aucun autre musulman. L’apostat est celui qui se déclare ainsi de son propre gré »....

Selon le chercheur syrien expert dans les mouvements jihadistes en Syrie, l’avocat Abdallah Ali, «  le conflit revêt deux visages : le premier est sanguinaire et s’illustre à travers les affrontements militaires et les liquidations sanguinaires et les fatwas de mort contre les religieux du courant islamique modéré, dont l’assassinat de cheikh Bouti en était l’illustration. Il y a aussi l’introduction par le courant des partisans du courant salafiste jihadiste d’un certain nombre de religieux, des saoudiens surtout, dans les provinces syriennes, pour qu’ils donnent des leçons pastorales et enseigner aux membres des milices armées et les civils qui les soutiennent les principes de l’école wahhabite ».

Maitre Harb donne l’exemple du religieux saoudien wahhabite, qui s’appelle Othamne Nazeh, doctorant en philologie et ses principes.

«  Ce cheikh effectue de nombreuses sessions culturelles dans les provinces de Lattaquié, d’Alep et d’Idleb, pour enseigner le recueil de Mohammad ibn Abdel Wahhab, (« Les trois fondements », et compte édifier un centre religieux, pour enseigner l’école wahhabite, tellement il connait un grand succès, d’après ce qu’il en dit sur son compte Twitter », poursuit-il.

Dans les circonstances actuelles, il est difficile de définir à quel point le wahhabisme s’est répandu en Syrie. Mais il connait une expansion importante. Selon maitre Ali, les tentatives d’infiltration de cette école dans le pays, malgré les réticences du pouvoir, remontent à plusieurs années. Elles ont été amorcées à travers les Syriens qui avaient vécu en Arabie saoudite, et en était rentrés totalement absorbés par cette école. Ils ont depuis tenté de convertir leurs proches dans leurs régions d’origine.« N’oublions pas que la plupart des Syriens qui sont sortis de la Syrie après les évènements des années 80 se sont rendus en Arabie saoudite, où leurs croyances ont sérieusement été altérées et mélangées avec les principes wahhabites. Ce mélange est à l’origine d’une croyance hybride qui s’appelle la Srouriyya », poursuit l’avocat syrien. la Srouriyya remonte à cheikh Mohammad Srour Zein el-Abidine , un syrien du Hourane, qui faisait partie des Frères Musulmans, avant de faire défection.Mais c’est surtout après l’invasion de l’Irak que le salafisme jihadiste est apparu en Syrie. Surtout qu’il disposait d’un appui latent du gouvernement syrien qui voulait exporter les jihadistes en Irak. Son porte-parole le plus célèbre en Syrie a été le religieux aleppin Mahmoud Koll Agaci, ( Abou Kaakaa).

Il a été tué en 2007  par ses partisans après avoir suspendu ses activités jihadistes. Un grand nombre de jihadistes sont revenus en Syrie au début des évènements syriens, après avoir acquis une expérience importante, qui leur a permis de répandre cette pensée ...

A noter qu’un grand nombre d’importants dirigeants salafistes jihadistes de renommée mondial sont d’origine syrienne, dont Marwane Hadid, Abou Mousaab le Syrien, dont les ouvrages sont références sur lesquelles s’appuient les combattants d’Al-Qaida, aussi bien pour le côté idéologique que pour la stratégie militaire. il y a aussi Abou Bassi at-Tartouci, particulièrement actif dans la province d’Idleb, et qui est considéré comme le guide spirituel d’un certain nombre de milices, à leur tête « Fajr el-Islam » (Crépuscule de l’islam) et Ahrar esh-Shame » (Libres du Levant).

Les prévisions sur la fin de ce conflit divergent de part et d’autres. Alors que les partisans du soufisme mystique assurent que le courant jihadiste va perdre la bataille en Syrie, certains observateurs estiment qu’il va s’ancrer en Syrie, surtout que le salafisme jihadiste a trouvé en Syrie un terrain propice. Il se peut qu’il ne parvienne pas à éradiquer le soufisme, mais l’environnement qui se forme à l’heure actuelle de par l’emprise des courants religieux sur les rouages du pouvoir dans plusieurs États arabes, aura pour impact permettre leur prolifération.

«  L’histoire de la région verra dans les années suivantes la perduration du conflit entre les courant extrémistes et modérés, sans victoire pour l’un ni pour l’autre. Et ce jusqu’à ce qu’on atteigne une nouvelle phase charnière de l’histoire », a prédit l’avocat Ali.


Alaa Halabi

Cet article paru dans le quotidien libanais indépendant As-Safir a été traduit de l’arabe par le site Al-Manar

Source: http://www.afrique-asie.fr/menu/moyen-orient/5571-en-syrie-la-guerre-du-wahhabisme-contre-le-soufisme.html