lundi 23 janvier 2012

Les quatre fondateurs d’école juridique et le soufisme

Salam alaikoum,

un extrait tres interessant du livre d'Eric Younès Geoffroy "Initiation au soufisme" sur l’attitude des quatre fondateurs d’école juridique sunnite.


Quelle est l’attitude des quatre fondateurs d’école juridique sunnite, qui ont vécu aux XIIIe et IXe siècles, à l’égard du soufisme ? Leur jugement, pour autant qu’on puisse l’authentifier, est important aux yeux des musulmans pour qui ils représentent une caution morale et scientifique. Il n’est pas indifférent que les soufis tardifs ainsi que les ulémas affiliés au tassawwuf invoquent leur autorité. Ils les considèrent comme des saints ou, à tout le moins, comme des modèles des « savants soufis », ceux qui ont su, avant d’autres, unir en eux l’extérieur et l’intérieur du message islamique.

Le premier imam, Abû Hanîfa (m.767), voyait fréquemment le Prophète en rêve et avait recours au « dévoilement » dans sa démarche juridique. Selon Hujwirî (XIe s.), il aurait été un parfait sûfi, qui portait un vêtement de laine et aimait la retraite (1). Abû Hanîfa aurait été le maître à la fois exotérique et ésotérique de Dâ ûd Tâ’î, et aurait fait partie d’une chaîne initiatique majeure où l’on retrouve, un siècle plus tard, les soufis de Bagdad (2). Son contemporain , Ja’far Sâdiq (m.765), sixième Imam du chiisme duodécimain, est à l’origine du rite juridique chiite ja’farite. Réputé pour sa science et sa sagesse, il exerçait une véritable maîtrise spirituelle sur plusieurs soufis « sunnites » et figure dans plusieurs chaînes initiatiques du soufisme primitif.

Du deuxième imam, Mâlik (m.795), nous possédons un aphorisme précieux, très souvent cité dans la littérature soufie : « Celui qui s’adonne au soufisme sans connaître le droit musulman tombe dans l’hérésie ; celui qui étudie le droit en négligeant le soufisme finit par rompre son âme ; seul celui qui pratique les deux sciences parvient à la réalisation spirituelle. » Mâlik aurait eu une conception spiritualiste de la science religieuse (’ilm) car, selon lui, celle-ci ne saurait s’évaluer à la quantité de l’enseignement transmis : s’inspirant de plusieurs traditions prophétiques, il présentait la science religieuse comme une lumière que Dieu dépose dans le cœur du savant (3).

Quant au troisième imam, Shâfi î(m.820), il se montra d’abord hostile aux soufis qu’il aurait traités de « gros mangeurs, ignares, intrus… (4) ». Mais ce jugement porte peut-être sur les faux ascètes que les maîtres vilipendaient. Peut-être aussi témoigne-t-il d’une rivalité naissante entre les « juristes » et les soufis. Puis, à la suite d’une rencontre avec un soufi, Shâfi î discerna entre le bon grain et l’ivraie dans les premiers milieux du tasawwuf (5). Dès lors, il changea radicalement de ton : « j’ai retiré de la compagnie des soufis deux choses : « le temps est comme l’épée ; si tu ne la casses pas, c’est elle qui te casse » et « si tu n’occupes pas ton âme charnelle par la vérité, c’est elle qui t’emploie à la futilité.(6) » Il fait cet aveu : « j’aime trois choses en ce monde : l’absence de maniérisme, fréquenter les humains dans une atmosphère paisible, et suivre la voie des soufis (7) ». On nous le dépeint encore, en compagnie d’Ibn Hambal , s’en remettant à l’intuition d’un spirituel pour résoudre des problèmes rationnellement insolubles. La postérité l’a considéré comme un saint et, plus particulièrement comme un savant « mettant en pratique son savoir »( al âlim al-âmil). Pour beaucoup , Shâfi î aurait occupé un rang élevé dans la hiérarchie ésotérique des saints et selon Ibn Hajar Haytamî (XVIe s.), il serait devenu le Pôle de cette hiérarchie peu avant sa mort (8). De nos jours encore, de nombreux Egyptiens lui adressent, à son tombeau au Caire, des demandes d’intercession par voie épistolaire.

Ahmad Ibn Hanbal (m.855), fondateur du rite hanbalite, est aussi à l’origine d’un mouvement de piété strictement fidèle aux sources scripturaires. D’après de nombreuses sources, il fit l’éloge de soufis comme Ma’rûf Karkhî et Abû Hamza, qu’il consultait sur des questions difficiles. Il s’opposait à Hârith Muhasibî (m857), le jugeant trop enclin à l’introspection psychologique et à l’usage du raisonnement dialectique, mais il écoutait en cachette le même Muhasibî , puis le remerciait pour ses paroles. Il enjoignait autrui à « prendre la science par le haut » , accordait un grand crédit aux visions spirituelles, aux miracles ainsi qu’à la hiérarchie ésotérique des saints (il a évoqué à plusieurs reprises les abdâl). On lui prête cette recommandation à son fils : « Cherche la compagnie des soufis, car ils nous dépassent quant à la science, le contrôle de soi et l’énergie spirituelle(9) . »

Ces quatre imams vivaient il y a plus de dix siècles, et la distorsion due aux temps fait que leurs points de vue nous paraissent parfois contradictoires. Ibn Hanbal, par exemple, semble tantôt favorable aux séances collectives de dhikr, tantôt hostile. En tant état de cause, ces imams n’ont pas dénoncé le soufisme, alors qu’ils ont critiqué la théologie rationnelle (kalâm) par exemple. S’ils se sont montrés ouverts à l’égard de la mystique naissante, pourquoi n’ont-ils rien écrit sur la vie spirituelle ? Sha’rânî (XVIe s.) répond que les musulmans des premiers siècles par leur proximité de l’époque prophétique, n’avaient pas encore besoin de tels écrits. Le cheikh Ahmad ’Alawi (XXe s.) note de son côté que les imams ne pouvaient dévoiler le versant ésotérique de leur personnalité scientifique (10).

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