mercredi 27 février 2008

Une courte biographie de Rûmi

Une courte biographie de Rûmi


De son vrai nom Muhammed Celaleddin, est l’un des principaux penseurs anatoliens du courant mystique dans l’Islam, appelé Soufisme.
Après son arrivée en Anatolie, Celaleddin Rumi (Rumi est, en référence à la présence passée romaine en Anatolie, le surnom attribué par les Arabes aux Anatoliens), devient Mevlânâ et sera désormais appelé ainsi.
Mevlânâ est né en 1207 dans la ville de Belh (dans l’actuel Afghanistan) alors sous domination des Harezmşah (dynastie turque des 11 eme et 12 eme siècles). Son père, éminent théologien et soufi, a le titre de « sultan des savants » : Bahaeddin Veled Sultanü’l-Ulema. En 1218, contrainte de quitter Belh en raison des invasions mongoles, la famille de Mevlana s’installe en Iran. Après y avoir vécu quelques années, le père se rend à la Mecque et devient pèlerin.
Au retour de ce pèlerinage la famille reprend les routes, passant d’abord par Bagdad, ils arrivent en Anatolie et s’installent un temps dans la ville de Karaman. En 1228 sur l’invitation du Sultan, Alaeddin Keykubad, lui-même, ils se rendent dans la ville de Konya, qui, sous le règne de la dynastie Seljukide, vit la période la plus brillante de son histoire. Le père Bahaeddin Veled y devient professeur et commence l’enseignement du Soufisme. A la mort du père en 1931, Mevlana, qui a suivi son enseignement durant 10 ans (1218-1228), lui succède au poste de professeur.
Jeune et ouvert aux influences, il s’est tour à tour imprégné de l’originalité du mysticisme d’un des anciens élèves de son père, Burhaneddin Muhakkik (1932), puis du grand penseur mystique Sadreddin Konevi, mais c’est surtout sa rencontre avec le Soufi iranien Sems’i Tebriz (1244) qui sera décisif et le conduira à épouser définitivement la doctrine soufie.
A la disparation de Sems’i Tebriz, Mevlânâ se retire de ses fonctions professorales et écrit le premier de ses grands livres : « Divan-ı Kebir. »
Entre temps en 1243 à la suite de la défaite de la bataille de Kösedağ, les Mongols envahissent l’Anatolie. Les crises morale et économique qui s’en suivent, ébranlent l’ordre établi et les croyances des habitants. C’est dans cette ambiance que l’audience du Soufisme augmentera et que les pensées de Hacı Bektaş Veli, de Yunus Emre, de Mevlânâ feront de plus en plus d’adeptes.
La pensée de Mevlânâ sera en particulier diffusée par l’enseignement de Selahaddin Zerbub et Hüsameddin Çelebi. Sur la demande de Hüsameddin, Mevlânâ écrira sa plus grande œuvre qui regroupe l’essentiel de son enseignement : le « Mesnevi. » Cette œuvre, qui contient plus de 26 000 distiques (pièce composée de 2 vers), est l’une des plus majestueuses et grandioses de la pensée mystique soufie.
Mevlânâ meurt à Konya en 1273, peu de temps après avoir achevé d’écrire le « Mesnevi », on peut encore aujourd’hui admirer son mausolée dans cette ville.
Après sa mort, ses proches amis publieront sa correspondance ainsi que, sous le nom de « Fih ma fif », ses discours et enseignements oraux. La traduction de ses œuvres du persan, qui était la langue culturelle de l’Anatolie de cette époque, au turc sera faite par Süleyman Nahifi.
Source : http://www.yerleske-campus.info/

dimanche 24 février 2008

Julien Jalal Eddine WEISS

Julien JalAl Eddine WEISS

L'ouverture des horizons culturels

Alsacien par son père, suisse par sa mère, Bernard Weiss est né et a grandi à Paris.
Au début des années 70, comme beaucoup d’adolescents de sa génération, ce guitariste de formation classique (il entre en 1965 à l’Ecole Normale de Musique) remet en question les valeurs de la culture occidentale et se laisse happer par la fièvre de la route. Ses voyages le mènent en Californie, au Maroc, puis aux Antilles ; il ouvre ses horizons culturels et se fait rebaptiser Julien par une jeune vénézuélienne, Isabelle Sotto, fille du fondateur de l’art cinétique.
De retour en France en 1974, il compose plusieurs pièces pour la guitare classique, et participe à une création du metteur en scène tunisien Sharif Allaoui.
En 1976 à Paris, lors d’une soirée chez le futur ministre de la culture Egyptienne, Farouk Hosni, l’écoute d’un disque du musicien irakien Mounir Bachir, grand maître du Oud (luth oriental le bouleverse au point qu’il abandonne la guitare classique et les harmonies jazz pour se lancer corps et âmes dans l’étude du luth arabe et des lois raffinées régissant la musique micro tonale orientale. Mais très vite, les limites de l’instrument le frustrent et lorsqu’il découvre les richesses offertes par la cithare orientale « le qanûn » la quête de Julien Weiss prend tout son sens. Dès lors il parcourt l’Orient et, de Tunis à Beyrouth, de Bagdad au Caire, d’Istanbul à Damas, il suit l’enseignement de grands maîtres. C’est ainsi qu’il devient le disciple puis l’ami de Mounir Bachir en l’honneur duquel il composera une « Suite Bagdadienne » interprétée lors du Festival de Babylone en Irak.


Acharnement et recherches musicales approfondies
Peu à peu Julien Weiss, par son acharnement et six heures de travail quotidien, devient un virtuose du qânun (cithare trapézoïdale à cordes pincées munie de résonateurs en peaux de poissons). C’est aussi un expert de la musique arabe classique, dominant toutes les complexités des gammes et des modes orientaux. Il se consacre de nombreuses années à l’étude des traités musicaux des Grecs Antiques comme ceux d’Aristoxène de Tarante et des Arabo-Persans comme Al-Kindî, Al-Farabî, Avicenne, ainsi que les théoriciens turcs, byzantins et même occidentaux, puis se livre à une étude comparative avec la pratique empirique des musiciens et chanteurs de l’Orient moderne.
Ainsi, il s’aperçoit au cours de ses continuels voyages que la notion de modalité, loin d’être fixe auprès de la conscience musicale arabe, fluctue d’un pays à l’autre et à l’intérieur même d’une région, variantes qui ne semblent guère embarrasser les musiciens. Il a donc cherché par tous les moyens à imposer un jeu où la justesse prend le pas sur la marge de tolérance accordée ici et là. Ses recherches le conduisent à faire construire à Izmir un qanûn original, par le luthier turc Egder Gülec : un système judicieux de clapets lui permet d’obtenir une division du demi-ton en micros tons inégaux de sept parties et huit intervalles, le nombre de cordes porté des 78 habituelles à 102 étend les possibilités de l’instrument à 5 octaves et lui donne dans le grave une couleur toute nouvelle. Avec cet instrument prototype (en fait une série de 9 vont se succéder), il peut ainsi accompagner avec une précision diabolique un musicien quel qu’il soit et d’où qu’il vienne. En 1990, le Prix de la Villa Médicis Hors les Murs, vient consacrer ses travaux sur la micro tonalité en musique arabe.


Musique instrumentale et chant classique

En 1983, il fonde l’ensemble instrumental Al-Kindî dont le nom fait référence au philosophe, mathématicien et astronome irakien du IXe siècle, Abu Yusuf Al-Kindî, père de la théorie scientifique de la musique arabo-musulmane.
Al-Kîndi est conçu comme un takht, un regroupement de solistes dont le joueur de ney Ziyâd Kâdî Amin, le luthiste Muhammad Qadri Dalal et le percussionniste égyptien Adel Shams el Din sont désormais les piliers. Ensemble, ils explorent les répertoires classiques sacrés et profanes en recherchant les œuvres les plus authentiques et les moins diffusées.
Conçu à l’origine comme un groupe exclusivement musical, JJ. Weiss se rend à l’évidence qu’en musique arabe le chant est indissociable de la musique, et que c’est dans le chant que s’exprime toute la richesse et les nuances de cet art. Seul ou avec Al-Kindî, il accompagne dès lors les grands interprètes du chant profane ou sacré, tels le tunisien Loufti Bouchnak, l’irakien Hussein Ismâïl-al-Azami, les syriens Sabri Moudallal, Omar Sarmini et Adib Daiykh, ainsi que l’hymnode de la Grande Mosquée de Damas Sheikh Hamza Shakkûr. Avec ce dernier, il explore la liturgie soufie de Damas et élabore un programme musical envoûtant, concert sacré rythmé par la danse rituelle des Derviches Tourneurs et présenté depuis sa création en 94 sur les plus prestigieuses scènes du monde entier.
En 2003, il explore le sublime répertoire de la confrérie soufie Qaderiya d’Alep avec le chanteur Sheikh Habboush.
Depuis, JJ. Weiss enrichit ses rencontres notamment dans la ville d’Istamboul où il a élu domicile depuis 2005 en collaborant notamment avec le chanteur Dogan Dikmen, spécilaliste de l’époque ottomane.

En 1983, il crée également une rubrique sur la musique arabe dans la revue de sciences politiques « Grand Maghreb ».
En 1986, le Français se convertit à l’Islam et devient Jalal Eddine en hommage au fondateur de l’ordre des derviches tourneurs Jâlal Eddine Rûmi.
La même année, commence une collaboration avec Mohamed Aziza, recteur de l’Université Euro-Arabe itinérante ; il organise des concerts dans le cadre des conférences données par l’Université, et dirige un Festival de Musique à Bologne en 87, pour la célébration du Ixième centenaire de la première Université d’Europe. Il reçoit à cette occasion la médaille Alma Mater Studiorum.
La rigueur et la qualité du travail de l’ensemble Al-Kindî, ses créations originales inspirées par des thèmes évocateurs de l’Orient « Le Salon de Musique d’Alep », « La Passion des Mille et Une Nuits », « L’Art Sublime du Ghazal», « Poètes et Musiques Arabes du Temps des Croisades »…lui ont valu de nombreuses distinctions discographiques (Diapason d’Or, Choc du Monde de la Musique…), la reconnaissance des médias (reportages, portraits, documentaire produit par Canal Plus en 1997), et la fidélité d’un public toujours plus large, et présent chaque année aux rendez-vous donnés au théâtre de la Ville de Paris, au Queen Elisabeth Hall de Londres...


L’aboutissement du « rêve d’Orient »
Poussant toujours plus loin son immersion dans la culture orientale, Julien Weiss fait l’acquisition en 1995 de la maison de ses rêves, un palais Mamelouk du XIVéme, niché au cœur de la vieille ville syrienne d’Alep, à proximité de ses Souks millénaires et de leurs senteurs orientales. Dans ce lieu magique et stimulant, quand les prestigieuses tournées internationales et les enregistrements discographiques lui en laissent le temps, il travaille à la préparation de nouveaux répertoires, à la découverte de voix et de traditions méconnues, à l’observation des nombreuses confréries mystiques qui l’environnent et se passionne pour l’art architectural et décoratif islamique.
Enfin, dans son salon de musique, renouant avec d’ancestrales traditions de cette cité mythique, réputée pour être une des villes les plus mélomanes du monde arabe, il convie régulièrement des musiciens, des voisins ou des étrangers de passage qui autour d’une tasse de thé ou de café partagent des heures durant les délices de la musique arabe classique la plus pure qu’elle soit sacrée ou profane.
Aujourd’hui, l’aventure de Julien Jâlâl Eddine Weiss se poursuit ; l’impossible rêve du musicien français : être reconnu comme l’un des leurs par les grands noms de la musique arabe, est devenu une réalité en Occident mais aussi à Babylone, Baalbeck, ou Fès, où son nom est désormais lié à la sauvegarde et la mise en valeur du patrimoine musical arabe et font de lui un artisan reconnu du dialogue Euro-Arabe.
Le 14 juillet 2001, il a été ordonné Officier des Arts et des Lettres par le Ministre de la Culture Française, Catherine Tasca.
En concert au festial de Fes : http://www.alkindi.org/rams/alkindi_fes.ram

jeudi 21 février 2008

Débat autour d'une nouvelle traduction du Coran en anglais

Débat autour d'une nouvelle traduction du Coran en anglais


Ce mois sort des presses une nouvelle traduction anglaise du Coran. Il en existe déjà une bonne vingtaine, mais celle-ci a suscité des controverses avant même sa publication. D’une part, la traductrice est une Américaine convertie à l'Islam soufie . D’autre part, la traduction remet en cause l’interprétation classique de certains versets.

“La première traduction du Coran par une Américaine.” Cela suffit déjà à susciter la curiosité pour ce volume, publié sous le titre The Sublime Quran. En septembre 2008 sera publiée une édition bilingue arabe-anglais. (Rappelons que, dans la tradition musulmane, le Coran est considéré comme intraduisible: il est admis d'essayer d'en rendre le contenu en d'autres langues, afin d'aider des croyants qui ne comprennent pas l'arabe, mais une il s'agit au sens strict d'une interprétation du texte saint plus que d'une traduction.)

Laleh Bhaktiar est née aux Etats-Unis, fille d’un médecin iranien et d’une infirmière américaine. De mère presbytérienne, elle devint catholique à l’âge de 8 ans. Elle épousa un architecte iranien, avec lequel elle émigra en Iran. Elle suivit les cours de Seyyed Hossein Nasr, célèbre spécialiste d’études islamiques, qui vit aujourd’hui aux Etats-Unis et exerça sur elle une influence décisive dans son cheminement en l’introduisant au soufisme. Elle se convertit à l’islam en 1964, à l’âge de 24 ans. Divorcée et désargentée, elle demeura plusieurs années en Iran après la Révolution islamique, travaillant notamment dans le domaine de la traduction, avant de retourner finalement aux Etats-Unis en 1988 et d'y reprendre des études. Auteur de plusieurs livres, dont Sufi Women of America: Angels in the Making (Chicago, Kazi Publications, 1996), elle voit son rôle comme celui d’un pont entre culture américaine et monde musulman. Elle n’a pas une formation d’islamologue, mais de psychologue. Elle est à l’origine d’un Institut de psychologie traditionelle. Elle vit à Chicago.

Cela fait sept ans, explique Laleh Bhaktiar, qu'elle travaille à sa traduction. Elle déclare être relativement familière avec l'arabe classique, mais ne parle pas couramment l'arabe moderne, ce qui fait froncer les sourcils de plusieurs spécialistes. Elle explique avoir effectué sa traduction en se plongeant constamment dans des dictionnaires pour découvrir les meilleures solutions.

Elle affirme s’être efforcée de trouver un équivalent anglais pour chaque forme grammaticale arabe, afin de garantir la cohérence de la traduction. Sa traduction est présentée ligne par ligne plutôt que verset par verset, ce qui lui semble mieux correspondre à la structure d’un texte récité.

Dans l’idée de rendre le texte plus accessible à des lecteurs occidentaux, elle a pris le parti de traduire Moïse et Jésus sous les noms connus, au lieu de conserver Moussa et Issa. Elle évite également des termes polémiques, comme celui d’“infidèle”.

C’est particulièrement la question de la traduction du verset 4:34 qui a suscité l’attention des médias. Il fait allusion à la punition qu'auraient le droit d'exercer des époux sur leurs femmes désobéissantes et est généralement traduit ainsi:

"Les hommes ont autorité sur les femmes en vertu de la préférence que Dieu leur a accordées sur elles, et à cause des dépenses qu'ils font pour assurer leur entretien. Les femmes vertueuses sont pieuses: elles préservent dans le secret ce que Dieu préserve. Admonestez celles dont vous craignez l'infidélité; reléguez-les dans des chambres à part et frappez-les. Mais ne leur cherchez plus querelle si elles vous obéissent." (trad. Denise Masson, revue par Sobhi el-Saleh)

Ce verset, en particulier le passage que nous avons mis en évidence, qui semble justifier la violence physique envers les femmes, est souvent considéré souvent comme embarrassant dans le contexte contemporain. Il est généralement expliqué comme un reflet des conditions sociales de l’époque de révélation du texte, ou est considéré comme non applicable aujourd'hui. D’autres auteurs soulignent que la lapidation pour différentes fautes est prévue par la Bible, et que l’on n’en tire pas pour autant des conséquences sur l’application de cette pratique dans le judaïsme ou le christianisme contemporain.

Pour Laleh Bhaktiar, soutenir que le Coran donne le droit à l’homme de battre sa femme dans certaines circonstances équivaut rien moins qu’à dénigrer l’islam (The Times, 31 mars 2007). Elle avoue avoir buté sur ce verset durant des semaines, et avoir presque renoncé à poursuivre son entreprise de traduction à cause de ce passage.

Mais son approche de la traduction du Coran se veut fondée sur l’usage de la raison. Puisque ce passage qui autoriserait les hommes à battre leurs femmes dans certaines circonstances lui paraît contredire tout ce que l'on connait du comportement du Prophète (qui n'aurait jamais frappé une femme), c'est donc que l'interprétation en est erronée, estime-t-elle. Après de longues réflexions, Bhaktiar découvrit dans un dictionnaire que le mot arabe utilisé dans ce passage pouvait également signifier non pas "frapper", mais "s'éloigner". Le Coran donnerait donc simplement l’ordre de “s’éloigner” de sa femme dans des situations conflictuelles, ce qui pourrait en effet être cohérent avec l'idée de laisser la femme dans une chambre à part. Bhaktiar conclut que le terme a tout simplement été interprété de travers depuis des siècles. Elle estime en outre que, à l'heure où l'on s'efforce de venir en aide aux femmes battues, une telle révision vient à point.

Cependant, d’autres traducteurs du Coran se montrent sceptiques face à une telle traduction, même si plusieurs soulignent que le terme utilisé connote une punition légère, pas plus d’un seul coup, ou lui assignent un rôle symbolique, comme Muhammad Asad dans son commentaire.

Dans l'immédiat, cela a suscité pour la traduction de Bhaktiar un intérêt qui a dépassé les frontières américaines et lui a valu une publicité avant même sa publication chez Kazi Publications, un éditeur musulman de Chicago. Bhaktiar ne se définit pas elle-même comme féministe, mais sa traduction témoigne en même temps de l'affirmation croissante de femmes musulmanes, notamment intellectuelles, dans les débats sur leur religion, et pas seulement aux Etats-Unis.

Pour plus d'informations sur la traductrice :

http://www.sublimequran.org/

http://www.sufienneagram.com/

Source : religioscope

mardi 19 février 2008

Les madrassas écologistes d'Indonésie

Les madrassas écologistes d'Indonésie

Un article de Saleem H. Ali

Dans un coin retiré du centre de l'île de Java, la plus peuplée d'Indonésie, s'est développée une forme plutôt inhabituelle d'environnementalisme.

Surplombée par le grand volcan Merapi et entouré de terres fertiles, où l’on cultive riz et canne à sucre, une petite école éduque de futurs écologistes dont l’engagement pour la planète n’est pas fondé sur des textes occidentaux relatifs à la protection de la nature, mais s’inspire plutôt des valeurs dérivées de l’Islam. Le directeur de l’école, Nasruddin Anshari, utilise fréquemment le slogan « une planète pour tous », tout autant que l’invocation musulmane «Allahou Akbar». (Dieu est grand).

En Indonésie, les pesantren (terme local pour madrassa ou école coranique) sont surveillés de près depuis quelques temps, puisque soupçonnés d’avoir un lien avec des actes de terrorisme tels que les attentats de Bali en 2005. Même Barack Obama, le prometteur candidat à la présidence des Etats-Unis, s’est senti obligé de se distancier par rapport à ses années d’enfance en Indonésie en raison d’une rumeur selon laquelle lui aussi aurait fréquenté un l pesantren, étant donnée que son père et son beau-père étaient tous deux musulmans.

En tout cas, la transformation qui a lieu au Pesantren Lingkungan Giri Ilmu plairait sans aucun doute à la plupart des électeurs occidentaux. Les enfants du village de Bantul sont en train d’apprendre l’importance de protéger l’écosystème comme étant un acte de piété envers Dieu.

Non loin de notre pesantren qui se veut respectueuse de l’environnement, l’Agence des Nations Unis, l’Université pour la Paix, a organisé en novembre 2007 un atelier d’une semaine se déroulant à la Gadjah Mada University de Yogyakarta,, et dont le sujet était l’éducation pour la paix dans un contexte islamique. Des universitaires de nombreux pays musulmans s’y sont retrouvés pour débattre des diverses dimensions de l’éducation pour la paix et pour en élaborer les structures d’enseignement à mettre en place dans les écoles islamiques.

L’avènement de l’Islam en tant que religion organisée eut lieu dans le désert d’Arabie, et de ce fait, les règles de l’Islam tiennent énormément compte de questions écologiques. Etant donnée la rareté des ressources, les premiers musulmans ont pris conscience qu’un développement durable n’était possible qu’en tenant compte des contraintes écologiques communes à toute l’humanité. Ainsi, l’universalité du problème des ressources naturelles fournit un précieux modèle en matière de construction de la paix.

Cependant, plusieurs difficultés systémiques font obstacle à la réalisation d'un paradigme de la réalisation d’un développement durable au sein de l’Islam contemporain. Premièrement, la croyance musulmane qui veut que l’homme soit la créature supérieure, parmi toutes celles que Dieu ait créees, constitue un sérieux obstacle lorsqu’il s’agit d’inculquer des règles d'éthiques écologiques, notamment s'agissant des droits des animaux. Néanmoins de nombreuses injonctions vont de pair avec la responsabilité de de « créature supérieure ». Le concept de khalifa (vice régent) exige que celui-ci agisse comme serviteur de la terre et de toute la création.

Deuxièmement, l’insistance sur la vie dans l’au-delà plutôt que la vie ici-bas, a induit à l’erreur beaucoup de musulmans qui considèrent les problèmes en matière d’écologie et de développement comme sans importance. D’où une certaine complaisance et une attitude fataliste par rapport aux problèmes de développement, puisque considérés comme volonté de Dieu. Mais ce fatalisme n’est plus systématique chez les musulmans pieux et pratiquants d’Indonésie. Les écoles coraniques du pays musulman le plus grand du monde se rendent compte que l’acte de piété le plus profond qui soit consiste à sauvegarder les ressources naturelles dont dépend tout être vivant. Tout comme le suicide, interdit en Islam par respect profond pour le caractère sacré de la vie, la profanation du système qui sert de support à la vie et fait que notre planète soit si unique est également proscrit.

Au-delà des frontières de l’Indonésie, on constate également des signes prometteurs de changement. L’Islamic Foundation for Ecology and Environmental Science, à Birmingham, en Angleterre, développe de nombreux programmes destinés à des institutions de pays musulmans. A la fin de l’année 2006, l’US Agency for International Development (USAID) a lancé un programme d’éducation écologique en Tanzanie, visant 12 650 élèves d’écoles primaires et 12 650 élèves de madrassas, en formant 220 enseignants d’écoles primaires et 220 maîtres d’écoles coraniques sur les questions relatives à l’écosystème côtier et marin.

Même un Etat comme l’Iran va de l’avant dans ce domaine, s’enorgueillissant du fait que la Convention de Ramsar sur les zones humides, qui remporte un grand succès, tire son nom de la ville d’Iran où elle fut signée en 1971. Malgré les années de guerre et d’indifférence écologique qui ont suivi cette signature, en 2004 le gouvernement iranien a organisé une conférence internationale sur l’environnement et la sécurité écologique à laquelle les Américains avaient également été conviés et où on a beaucoup insisté sur la protection de l’environnement en tant qu’outil de la construction de la paix. L’ancien président iranien, Mohammad Khatami, avait alors dit que la pollution constituait une menace plus importante encore que la guerre, ajoutant que la lutte pour la sauvegarde de la nature serait peut-être être ce qui allait réunir de façon la plus constructive les pays voisins du Golfe.

Les Etats du Golfe eux aussi sont en train de réduire leur énorme empreinte écologique. Abou Dhabi s’est engagé, d’ici 2012, à avoir la première ville de 40 000 habitants au monde qui soit neutre en émissions. Masdar City accueillera principalement une institution éducative et de nombreuses entreprises technologiques spécialisées dans l’environnement pour soutenir une économie durable.

Si l’énergie des érudits islamiques et de leurs madrassas tout comme celle de nos tsars du développement pouvaient s’unir et se canaliser vers des initiatives similaires, positives et engagées du point de vue social et écologique, peut-être pourrons-nous alors commencer à apprécier notre humanité commune. Plutôt que de rabâcher des discours qui divisent, où il n'est jamais question que de tribus, de sectes et de politique, nous avons le devoir théologique et téléologique de faire reverdir notre société.

* Le Dr. Saleem H. Ali (saleem@alum.mit.edu) est recteur associé pour les études post-licence à la Rubenstein School of Environment de l’Université du Vermont, il a également édité Peace Parks : Conservation and Conflict Resolution (MIT Press) .

mercredi 13 février 2008

La beauté et l'amour chez Djamî

La beauté et l'amour chez Djamî

Un texte de Patrick Ringgenberg°

Traduction des extraits de Djâmi par Andia Ringgenberg

Dernier grand poète classique de l’Iran, Djâmi (1414-1492) fut aussi un savant et un mystique. Auteur de plusieurs traités en prose, il est surtout connu pour son oeuvre poétique, notamment un Haft Awrang composé de sept oeuvres. Trois d’entre elles sont des histoires d’amour à caractère mystique et initiatique : Yussuf et Zuleikhâ, Madjnun et Leylâ, Salâman et Absâl. Le premier de ces trois romans versifiés, Yussuf et Zuleikhâ, comprend un prologue remarquable, qui compte parmi les plus beaux textes de la poésie persane. Djâmi y développe la relation de l’amour et de la beauté, leur origine en Dieu, puis leur déploiement et leur jeu dans la création. Il s’inspire de deux hadiths célèbres pour renfermer une clef du mystère de la création, de l’amour et de la beauté. Le premier établit la relation de la Beauté et de l’Amour divins : « Dieu est beau et Il aime la beauté ». Le second, dans lequel Dieu parle à la première personne, est une allusion au « pourquoi » de la création : « J’étais un Trésor caché, j’ai voulu être connu, et donc j’ai créé le monde ». Le texte de Djâmi se présente comme une illustration et un commentaire poétiques de ces deux hadiths.
Ainsi Djâmi raconte-t-il qu’avant la création des mondes, la beauté et l’amour étaient unis dans l’Infini.1

" Dans cette retraite solitaire, où l’existence était dépourvue de signes,
Et où l’univers était caché dans le coin du néant,
Il y avait un Être loin de toute dualité,
Loin de tout dialogue entre « Moi » et « Toi ».
La Beauté, absolue et libre des limites des apparences,
Ne se manifestait qu’à elle-même et par sa propre lumière.
Belle ravissante dans la chambre nuptiale du Mystère,
Sa robe était pure de toute atteinte de l’imperfection.
Ni le miroir n’avait reflété son visage,
Ni la main peigné ses cheveux.
Le zéphyr n’avait détaché aucun fil de ses boucles.
Son oeil n’avait jamais vu la poussière du khôl.
Aucun rossignol ne voisinait avec sa rose.
Son duvet n’avait jamais été orné de fleurs.
Son visage était libre de lignes [de maquillage] et de grain de beauté.
Aucun oeil, jamais, n’avait eu une image d’elle.
Elle composait de la musique pour se charmer elle-même
Et jouait avec elle seule au jeu de hasard de l’Amour. "

L’Amour et la Beauté n’ont ni origine ni fin. Le monde émane de leur bi-unité, mais l’Éternité est, invariablement, avant toute création et après toute fin du monde. Djâmi décrit ensuite l’extériorisation de cette beauté qui, ne pouvant demeurer seule dans son secret et sa solitude, aspire à se dévoiler, à embraser l’horizon de la création, à illuminer tous les miroirs des mondes de sa lumière.

" Mais la beauté, par nature, ne supporte pas d’être voilée,
Le beau visage ne peut endurer le voilement,
Et si tu fermes la porte à la belle face, elle se montrera par une autre ouverture.
Regarde la tulipe dans la montagne,
Comment elle se montre joyeuse et verdoyante au printemps,
Fendant la pierre dure
Et révélant alors sa beauté.
S’il te vient une idée dans ton âme,
Une idée brillante de rareté parmi les idées,
Tu ne peux pas renoncer à elle,
Tu l’exprimes par la parole ou par l’écriture.
Lorsqu’il y a la beauté quelque part, telle est son exigence [de manifestation].
Pour la première fois, ce mouvement apparut dans la Beauté prééternelle,2
Qui dressa sa tente dans les régions saintes,
Puis se manifesta aux horizons et aux âmes,
Se révéla dans chaque miroir [des créatures et des mondes].
Partout, alors, on parlait d’elle. "

Djâmi évoque alors les effets du rayonnement de la Beauté, dont la lumière embellit toutes choses. Chaque beauté est un miroir du Beau, et chacune enflamme d’amour. Aussi, l’Univers entier, les anges comme les hommes, est-il soumis à ces relations : l’amour engendre la beauté, la beauté éveille l’amour, en un mouvement sans fin et dont l’origine, éternellement présente, demeure l’unité divine de la Beauté et de l’Amour.

" De la Beauté rayonna un éclair sur la terre et les anges,
Qui d’éblouissement les fit tourner comme le ciel.
Tous les chanteurs de louange de Dieu, cherchant sans cesse à Le louer,
A force d’être hors d’eux-mêmes, ne chantaient que la louange de Dieu.
C’est de ces plongeurs de l’océan céleste
Que s’éleva un cri : « Loué soit le Seigneur des mondes ! »
De l’éclat de la Beauté jaillit une lumière qui tomba sur la rose,
Et la rose enflamma la passion du rossignol.
La bougie a allumé son visage à ce feu [de la Beauté]
Et partout la bougie a brûlé des centaines de papillons.
De cette Lumière, un seul rayon embrasa le soleil
Et le nénuphar sortit de l’eau.
La face de Leylâ emprunta à la face de la Beauté l’ornement de son visage,
Et à chacun de ses cheveux Madjnun attacha son coeur.3
La Beauté a sucré les lèvres de Shirin [la Douce]
Qui a charmé le coeur de Parviz4 et l’âme de Farhâd.5
La Beauté a sorti sa tête du col de la « lune de Canaan »6,
Qui a complètement ruiné l’âme de Zuleikha.7 "

Pour Djâmi, tout amour, toute beauté participent à ce jeu éternel de l’Amour et de la Beauté.

" C’est cette Beauté qui partout s’est manifestée [dans les beautés des mondes],
Bien qu’Elle-même se soit retirée derrière un voile aux yeux de tous les amoureux.
Quel que soit le voile [de beauté] que tu voies, c’est Elle [la Beauté].
Quel que soit le mouvement d’amour, c’est Elle qui le meut.
L’amour [de cette Beauté] est la source de la vie du coeur,
Et par cet amour l’âme est comblée de bonheur.
Tout coeur amoureux des beautés charmantes
Qu’il le sache ou l’ignore n’aime au fond que la seule Beauté."

Dans ce prélude, Djâmi a magnifié cette idée, omniprésente dans la poésie mystique persane, d’une Beauté divine qui embrase les mondes par l’amour, et d’un Amour sans cesse avivé par la présence multiple de la Beauté. Si Dieu a créé le monde, c’est pour jouer au jeu d’amour avec les créatures, pour révéler l’infinité de sa Beauté dans les transparences et les miroitements des créatures et des univers. Chaque atome danse une danse d’amour autour de Dieu ; chaque être est comme un fil de beauté et un noeud d’amour sur le tapis de la création. Pour l’Islam, les hommes sont issus de l’Unité divine, et ils y retournent. L’amour, quel qu’il soit, où qu’il soit, est un retour à Dieu, si bien que tous les amours sont finalement les rivières d’un seul océan sans rivages. Dieu est unique et son amour est aussi unique, même s’il touche les êtres de manière infiniment variée, subtile et différente. Chaque être est amoureux d’un seul Amour, aspire à la seule Beauté, et c’est la gloire de l’amour que de paraître inépuisable dans son unité. Djâmi traduit également bien les multiples paradoxes de l’amour, qui est à la fois plus haut que le ciel et plus près de l’homme que la veine de son cou. L’homme croit que le monde cache l’Amour, alors qu’en réalité, c’est lui-même qui se cache de l’Amour. L’amour est aussi comme la musique : on peut le savourer, non le comprendre : on ne peut pas parler de l’amour, on ne peut être qu’amoureux. L’amour est partout sans perdre son mystère, tout comme la beauté est à la fois l’apparence la plus éclatante et le secret le mieux gardé. Toutefois, si l’amour est partagé par tous, seuls ceux que l’amour a tués sont les vrais amoureux et les vrais connaissants de la Beauté. L’amour est dans toutes les rues, dans toutes les pupilles, mais seul l’oeil du coeur peut le voir – cet oeil qui voit dans une âme revenue à sa beauté première après s’être livrée corps et biens à l’amour. Nul doute que le poème persan de Djâmi se veut aussi un miroir de beauté et une parole de l’amour. Si, dans le monde iranien, l’arabe est toujours demeuré la langue de la Parole divine révélée par le Coran, la langue persane, à partir de Ferdowsi et de son épopée du Livre des rois (Shâhnâmeh) au XIe siècle, est devenue le véhicule privilégié d’une sagesse spirituelle, mystique et théosophique. A propos de ce qu’il nomme (entre guillemets) une « sacralisation » du persan, Nasrollah Pourjavady note que celle-ci a commencé au début du XIe siècle puis, pendant plusieurs siècles, elle « est passée par des étapes de perfectionnement spirituel jusqu’à son apogée dans la poésie mystique de Hâfez, surnommée « la langue du mystère » ».8 Nezâmi, dans le premier texte de son Khamseh, ne disait-il pas que « le poème, voile du mystère, est une ombre du voile prophétique » ? 9 Dans le prologue de Yussuf et Zuleikhâ, comme dans ses autres oeuvres, Djâmi conçoit également la poésie et le persan comme les moyens privilégiés d’un dévoilement d’ordre intérieur et intuitif. L’intelligence et la beauté des vers, des symboles et des métaphores sont là pour révéler un trésor caché, autrement dit une vérité accessible par l’intelligence contemplative et la connaissance du coeur : une vérité, manifeste dans la beauté symbolique de l’univers, mais aussi enfouie dans le tréfonds de l’âme et qui remonte, par-delà la création, « loin de tout dialogue entre « Moi » et « Toi » », à l’Être divin en « sa retraite solitaire ». La poésie est l’écho profond de cette intellection, inséparable de l’ivresse sobre de l’amour ; et la langue persane, avec sa musicalité et ses raffinements, est la voix privilégiée d’une intuition impossible à raconter et pourtant nécessaire à transmettre. La poésie, alors, épouse le mystère de dévoilement d’une Beauté par essence indicible, mais qui, par nature, tend à se rendre dicible pour illuminer amoureusement le monde du poète, du poème et de ses auditeurs ou lecteurs.

Notes :

°Diplômé de l’École Nationale des Beaux-arts de Genève, Patrick Ringgenberg, né en 1970, a publié, entre autres ouvrages d’histoire de l’art, La peinture persane ou la vision paradisiaque, Les Deux Océans, 2006. Il est l’auteur également d’un ambitieux Guide culturel de l’Iran, 2006.

1 Traduction Andia Abai-Ringgenberg, d’après l’édition complète du Haft Owrang, Edited by A. Afsahzâd et H. A. Tarbiyat, vol. II, Centre for Iranian Studies, Tehran, 1999, p. 34-35. Voir aussi la traduction française par E. Bricteux : Djami, Youssouf et Zouleikha, Librairie Orientaliste Paul Geuthner, Paris, 1927, p. 20-22. La traduction proposée ici ne saurait évidemment rendre compte de la beauté de la langue de Djâmi. On l’a voulue aussi la plus littérale possible, car chaque formule poétique recèle un trésor de formulation métaphysique et une précision philosophique que les traductions « littéraires » tendent parfois à sacrifier.

2 Si l’Éternité est une, sans passé ni futur, la mystique persane adopte un point de vue humain et cosmique et distingue l’Éternité avant la création (la prééternité, en persan : azal) et l’Éternité à venir ou l’Éternité après la création (la post-éternité, en persan : abad).

3 Leyla et Madjnun sont des célèbres amoureux de la littérature arabe, persane et turque.

4 Il s’agit d’un autre couple d’amoureux célèbre de la littérature : la princesse arménienne Shirin et le roi sassanide Khosrow Parviz, devenus les héros d’une histoire romancée, magistralement illustrée par Nezâmi au XIIe siècle (Khosrow et Shirin).

5 Sculpteur, amoureux malheureux de Shirin dans l’histoire de Khosrow et Shirin.

6 C’est-à-dire le prophète Joseph (Yussuf dans la tradition arabe), emmené en Égypte après avoir été abandonné par ses frères et devenu l’assistant de Putiphar, chef des gardes de Pharaon. Dans la tradition islamique et soufie, Yussuf est l’archétype de la beauté humaine et un symbole de l’Esprit. Son histoire, reprise de la Genèse, se trouve dans le Coran (Sourate XII, 4-111).

7 La femme de Putiphar, laquelle, selon la Bible et le Coran, tente de séduire Joseph. Dans le soufisme et dans le récit de Djâmi, Zuleikha est une figure de l’âme ardente et passionnée, qui entreprend tout pour son amour, s’humiliant et prête à mourir. Quant au prophète Joseph, il est l’image de l’Esprit pour la beauté duquel l’âme mondaine, païenne et profane (Zuleikha, l’Égyptienne), accepte de s’humilier, de lutter contre ses tendances négatives et de se sacrifier.

8 « Philosophie iranienne et caractère sacré de la langue persane », in Nasrollah Pourjavady, Mélanges littéraires et mystiques, Presses Universitaires d’Iran, Téhéran, 1998, p. 19.

9 Nezamî de Gandjeh, Le trésor des secrets, Traduction Djamchid Mortazavi, Desclée de Brouwer, Paris, 1987, p. 46.

mardi 12 février 2008

Une Technique Soufie de la Prière du Cœur

Une Technique Soufie de la Prière du Cœur.

« Dis Allâh et laisse-les à leurs vains discours » (Cor. 6, 91)


INTRODUCTION

Le texte qui suit est emprunté au « Tanwîr alqulûb » (3e édition, Le Caire, p. 548-558) du Sheikh Muhammad Amîn al-Kurdî al-Shâfi’i al-Naqshabandî, mort en 1332 de l’hégire (1914).
Nous recopions avec humilité et amour ce texte qui fut publié dans l’ouvrage « Petite Philocalie de la prière du cœur », éd. du Seuil, pp234-248.
Le dhikr, selon Ansârî, c'est « quand tu oublies tout ce qui n'est pas Lui et quand tu t'oublies toi-même dans l'acte de te rappeler, puis lorsque tu oublies l'acte de te rappeler dans l'acte de te rappeler, puis lorsque tu oublies tout rappel dans le souvenir actuel que Dieu a de toi. »
En arabe, le mot dhikr signifie "rappel, souvenir". Le dhikr est une pratique et une
méthode spirituelle basée sur l'invocation et la répétition de formules sacrées, de phrase tirées du Coran. Comme nous allons le lire plus loin, il peut être un dhikr « du cœur » ou un dhikr « de la langue », il se pratique soit individuellement soit collectivement dans des assemblées dédiées à cette pratique particulière. Le dhikr de la langue trouve sa source dans le Coran : « Ô vous qui croyez ! Invoquez Allâh d'une façon abondante et glorifiez-le à la pointe et au déclin du jour »
(Coran XXXIII, 41-42). La pratique du dhikr du coeur se transmet par une initiation qui implique la transmission du sir (ou secret spirituel du maître). Par le dhikr du cœur, l'invocation des Noms de Dieu fait agir le sir dans le coeur du disciple. Arrivé à une certaine élévation spirituelle, ce dhikr du coeur se révèle permanent dans le pratiquant, l’utilisation du verbe devient inutile, et la
Présence divine est manifestée en permanence au sein du pratiquant qui est alors « en Allâh, pour Allâh, par Allâh et avec Allâh ».


Une technique soufie de la prière du cœur

Section sur le dhikr intérieur ou pratiqué dans le cœur (adh-dhikru-l-qalbî), qui est supérieur au dhikr vocal (adh-dhikru-l-jahrî).
Sache que le dhikr est pratiqué de deux manière : avec le cœur et avec la langue. Chacune de ces formes a ses bases légales dans le Coran et dans la Sunnah. Le dhikr avec la langue, comportant une parole composée de sons et de lettres, ne peut être pratiqué à tout moment. L’activité commerciale et les activités similaires le contrarient nécessairement, à la différence du dhikr du cœur, car ce dhikr considère la signification de la parole en dehors de toute prononciation de lettres et de sons et, de ce fait, aucun obstacle n’arrête
celui qui invoque intérieurement.

Vers :
Invoque Allâh dans le cœur, en un secret
Que ne saisissent pas les créatures, sans lettres et sans voix !
Ce dhikr est la meilleure de toutes les incantations.
C’est de là que vient la gloire des hommes spirituels.

C’est pour cela que nos maîtres naqchabendites4 ont préféré le dhikr pratiqué avec le cœur, car le cœur est « le lieu où regarde Allâh », le Maître du pardon ; il est le « siège de la Foi » ainsi que la « mine des secrets » et la « source des lumières » ; quand il est sain, tout le corps est sain et quand il est corrompu il corrompt tout le corps, ainsi que nous l’a expliqué le Prophète choisi. Le serviteur n’est croyant que par l’engagement du cœur à ce qu’exige la foi et aucun acte
d’adoration n’est qualifié comme tel que par l’intention adéquate. Les chefs religieux sont d’accord que les actes des membres ne sont acceptés que par l’acte du cœur mais que, par contre, l’acte du cœur peut être accepté sans les actes des membres ; aussi enseignent-ils que si les actes du cœur ne sont pas acceptés, la foi ne sera pas acceptée.
La Foi (al-Imân) est l’adhésion sincère du cœur, Allâh a dit : « Il a inscrit dans leurs cœurs la Foi » (Cor. 58, 22). Il a dit : « Ceux-là sont ceux dont Il a soumis à l’épreuve les cœurs par la crainte » (Cor. 49, 3) et aussi : « Invoque ton Seigneur dans ton âme » (Cor. 7, 205) c’est-à-dire « dans ton cœur »,
interprétation qui est appuyée par un autre verset : « Ils disent en leurs âmes : Si Allâh ne nous punissait pas pour ce que nous disons » (Cor. 58, 9).

Le poète Akhtal5 a dit :
« En vérité la parole est dans le cœur
Et la langue n’a été mise que comme preuve contre le cœur ».

Allâh a dit : « Invoquez votre Seigneur humblement et secrètement » (Cor. 7, 55). Aïcha 6 – qu’Allâh soit satisfait d’elle ! – rapporte que le Prophète – qu’Allâh prie sur Lui et Le salue ! – a dit : « Le dhikr est 70 fois supérieur au dhikr (c’est-à-dire le dhikr secret est supérieur au dhikr oral). Le jour de la
Résurrection, Allâh ramènera les créatures à la reddition des comptes et les anges surveillants viendront avec ce qu’ils ont observés et inscrit. Allâh dira : « Regardez, reste-t-il encore quelque chose en faveur de mon serviteur ? »
Les anges répondront : « Nous n’avons rien oublié de ce que nous avons appris et retenu, car nous avons tout compté et inscrit. » Allâh dira au serviteur « Il te reste encore une chose chez Moi, et Je t’en récompenserai : c’est le
dhikr secret (adh-dhikru-l-khafî) ». De même, il est rapporté dans les hadith7 sûrs qu’Allâh – qu’Il soit exalté ! – a dit : « Je suis auprès de la pensée que se fait de Moi Mon serviteur et Je suis avec lui quand Il Me mentionne (dhakaranî) ; s’il Me mentionne en son âme, Je le mentionne en Mon âme, s’il Me mentionne dans une assemblée, Je le mentionne dans une Assemblée meilleure que la sienne ». Un autre hadith du Petit Recueil (al-Jâmi’u-ç-caghîr) de as-Soyûtî8 dit : « Le meilleur dhikr est le dhikr secret, et la meilleure richesse est celle qui suffit ». Un autre hadith dit : « Le dhikr que n’entendent pas les anges surveillants est supérieur 70 fois à celui qu’ils entendent ». Ce hadith qui remonte à Aïcha est rapporté par al-Baîhaqî9 qui a dit : « ce hadith est considéré comme bon » (sous le rapport de l’authenticité). Enfin les hadiths relatifs aux mérites du dhikr caché sont nombreux.
L’un des commentateurs a dit à propos du verset (Cor. 35, 29) : « Il y a des serviteurs qui sont injustes envers leurs âmes » : ce sont les invocateurs de langue seulement ! « Et il y en a de bien dirigés » :
ce sont les invocateurs du cœur ! « Et il y a des serviteurs qui font à l’avance le bien » : ce sont les invocateurs qui n’oublient pas leur Seigneur (de sorte qu’ils n’ont pas à se ressouvenir de Lui par le dhikr) !
Un des Connaissants (al-Arifûn) a déclaré : « Le dhikr avec le cœur est le sabre des aspirants (saîfu al-murîdîn) : c’est par lui qu’ils combattent leurs ennemis et par lui ils repoussent les calamités qui veulent les atteindre. En vérité, quand le malheur attaque le serviteur et qu’il se réfugie avec son cœur vers Allâh, Allâh écarte aussitôt tout ce qui peine le serviteur ».
Le Prophète – qu’Allâh prie sur Lui et Le salue – a dit : « Quand Allâh veut le bien à quelqu’un, Il lui ouvre la serrure du cœur et y met la certitude ».
Le Sheikh Abù Sa’îd al-Kharraz10 a dit : « Quand Allâh veut prendre comme ami l’un de Ses serviteurs, Il lui ouvre la porte de Son dhikr, et quand celui-ci se complaît au dhikr, Il lui ouvre la porte de la Proximité, ensuite Il l’élève à la séance de l’Intimité, ensuite Il l’installe sur le trône de l’Unité, ensuite Il lui enlève le voile et le fait entrer dans la Maison de la Singularité et lui dévoile la Majesté et la Magnificence, et lorsque le regard du serviteur rencontre la Majesté et la Magnificence, il reste « sans soi » (bi-lâ huwa). Alors il devient éteint
pour un temps et entre dans la protection divine, préservé de toute prétention de soi ».
Khâlid ibn Ma’dân a dit : « Chaque homme a deux yeux dans son visage, par lesquels il voit les choses de ce bas monde, et deux yeux dans son cœur par lesquels il voit l’autre monde. Si Allâh veut le bien pourun serviteur, Il lui ouvre les yeux du cœur pour que Son serviteur voie tout ce qu’Il lui a promis et qui n’est pas ici ; et si Allâh veut autrement, Il le laisse dans l’état où il se trouve ».
Ahmed ben Khidrawaïth a dit : « Les cœurs sont des vases ; s’ils sont remplis de vérité, le surplus de leurs lumières se déverse sur les membres et s’ils sont remplis d’erreur, sur les membres se déverse le surplus de leurs ténèbres ».
Dhû-n-Noun al-Miçri a dit : « La réconciliation du cœur pendant une heure est meilleure que les œuvres religieuses des deux espèces douées de pesanteur (Les Djinns et les hommes). Si l’ange n’entre pas dans une maison où se trouve une image (ainsi que le dit un hadith), comment le Témoin de Dieu entrera-t-il dans un cœur qui contient les traits d’un autre que lui ? »
L’un des hommes spirituels a dit : « Un atome des œuvres des cœurs est plus méritoire que des montagnes des œuvres des membres ».

SECTION SUR LA MÉTHODE DU DHIKR CHEZ LES MAÎTRES NAQCHABENDITES.

Sache que le dhikr du cœur (adh-dhikru-l-qalbî) se pratique par deux moyens :
1- Avec le Nom de l’Essence Suprême (Ismu-dh-Dhât), ou
2- Avec la formule de négation et d’affirmation (an-naf yu wa-l-ithhât).
Le Nom de l’Essence est Allâh, (Sous ce rapport de pure désignation de Soi), Allâh a dit :
« En vérité, Moi, Je suis Allâh » (Cor. 20, 14). Aussi (quant à l’emploi direct et précis de ce nom en
tant que moyen de dhikr) Il a dit : « Dis : Allâh ! Et laisse-les à leurs paroles frivoles » (Cor. 6, 91).

Vers :
« Dis : Allâh et laisse l’univers et ce qu’il contient,
Si tu désires atteindre l’universalité !
Car tout ce qui est en dehors d’Allâh, si tu réalises bien la chose,
Est pur néant, que ce soit pris analytiquement, ou synthétiquement.
Sache que toi et tous les mondes,
Sans Lui, vous êtes perdus sans aucune trace !
Ce qui n’a pas d’tre à soi de soi-même
Sans Lui est pure impossibilité.
Les Connaissants qui se sont éteints en Lui,
Ne connaissent rien d’autre que le Tout-Puissant,
Celui qui transcende les transcendances,
Et ce qui est « autre que lui », ils le voient évanoui
Tant dans le présent que dans le passé et l’avenir ».

Le dhikr du cœur a onze règles :
1° L’tat de pureté rituelle (at-tahârah) obtenue par l’ablution, en raison de la parole du
Prophète – qu’Allâh prie sur Lui et Le salue - : « L’ablution (al-wud’û) efface les péchés ».
2° L’accomplissement d’une prière de deux rak’ah11.
3° L’orientation avec la face tournée vers la qiblah (direction rituelle vers la Mecques, lieu
de la Maison d’Allâh, la Ka’abah) en se tenant dans un endroit solitaire, conformément à la parole
prophétique : « La meilleure position est celle où l’on se tient orienté vers la qiblah » et aussi à
l’enseignement donné par le Prophète à Ali : « Il te faut pratiquer continuellement le dhikr dans la solitude
(al-khalwah) ».
4° La position appuyé sur l’autre côté que celui sur lequel on s’appuie dans le rite de la
prière (donc le séant appuyé sur le talon du pied droit couché vers l’intérieur pendant que le pied
gauche reste en dehors appuyé sur la pointe des doigts et avec le talon redressé). Telle est la
position qu’observaient les Compagnons auprès du Prophète – qu’Allâh prie sur Lui et Le salue !
– Cette position est plus propice à l’tat d’humilité et plus favorable à la concentration des sens.
5° La demande de pardon (al-istighfâr) pour tous ses péchés, en se représentant leur
étendue devant soi d’une façon synthétique, avec la conscience qu’Allâh voit l’tre et ne cesse de
le regarder ; ainsi on se représente l’immensité et la majesté d’Allâh, ainsi que la sévérité de Sa
saisie et de Son pouvoir réducteur et en même temps on se débarrasse de toutes les pensées
mondaines. On sent la frayeur devant le Seigneur, et on demande le pardon, tout en sachant qu’Il
est généreux et pardonnant. C’est dans cet état qu’on prononce avec la langue : Astaghfiru-llâh, « Je
demande pardon à Allâh » et en même temps on considère avec le cœur le sens de ces paroles. On
fait ainsi cinq fois, ou quinze fois, ou vingt-cinq fois, ce qui est plus méritoire. La pratique de
l’istighfâr (la demande de pardon) est en raison du hadith suivant (entre autres) : « A celui qui
s’attache à la pratique de l’istighfâr Allâh accorde une issue de toute porte et un soulagement contre toute affliction,
ainsi que des biens qui lui arrivent d’une manière imprévisible ».
6° La récitation de la Fâtihah (première sourate du Coran) une fois, et de la sourate al-
Ikhlâç (la 112e) trois fois, en les offrant à l’esprit de notre Seigneur Muhammad – et aux esprits de
tous les maîtres de la Tarîqah12 Naqchabandiyyah.

7° On ferme les yeux, on serre les lèvres, et on colle la langue contre le palais vers la gorge
avec un calme parfait ; c’est ainsi qu’on expulse les pensées étrangères (al-khawâtir) que véhicule le
regard. Cette règle est conforme à l’ordre que le Prophète – qu’Allâh prie sur Lui et Le salue ! –
donna à Ali13 quand il enseignait comment il faut pratiquer le dhikr : « O Ali, ferme les yeux ! ».
8° L’acte spirituel appelé « l’attache au tombeau » (râbitatu-l-qabr) qui désigne la
considération de la mort : tu te vois mort, lavé, enveloppé dans le linceul ; la prière funéraire faite à ton sujet ; tu te vois porté au tombeau et enseveli dedans ; ta famille et tes amis sont partis, te laissant tout seul, et tu sais ainsi que rien ne saurait te porter profit si ce n’est tes bonnes œuvres.
Cette règle est conforme à la parole prophétique : « Sois dans ce bas monde comme un étranger ou un voyageur et compte-toi au nombre des habitants des tombeaux ».
9° L’acte initiatique appelé « l’attache au directeur spirituel » (râbitatu-l-murchid) ; par cet acte le disciple tient son cœur en face du cœur de son maître, et garde l’image de celui-ci dans sa conscience, même quand celui-ci est absent ; il se représente que le cœur du maître (Sheikh) est comme une gouttière et que le flux spirituel (al-faîd) vient de sa « Mer enveloppante » vers son propre cœur et qu’il reçoit ainsi la barakah14, car le maître est le lien qui assure la jonction divine (at-Tawaçul) ainsi qu’il résulte de divers versets coraniques et hadith. Allâh – qu’Il soit exalté ! – a dit : « O ceux qui croyez, craignez Allâh et cherchez le moyen de la Proximité de Lui » (Cor. 5, 35) et
encore : « O ceux qui croyez, craignez Allâh et soyez avec les Sincères » (Cor. 9, 119). D’autres part le Prophète – qu’Allâh prie sur Lui et Le salue ! – a dit : « L’homme est avec celui qu’il aime » et aussi « Sois avec Allâh ». « Si tu n’y arrives pas, sois avec ceux qui sont avec Lui ».
On a dit : « L’extinction (al-fanâ) dans le Sheikh est la prémisse de l’extinction en Allâh ». Avertissement. Celui qui trouve dans la représentation de la forme (de son Sheikh) une ivresse (surk) ou un évanouissement extatique (ghaîbah) doit renoncer à l’image et s’orienter vers l’tat même qui en résulte pour lui.
10° La concentration de tous les sens corporels en les soustrayant à toute autre
occupation et à toute suggestion venue de l’intimité même de l’être, en s’orientant avec toutes les facultés de perception vers Allâh – qu’Il soit exalté ! – Ensuite on dit : « Tu es mon but et Ta satisfaction est ce que je demande ». Après cela on récite le Nom de l’Essence (Ismu-dh-Dhât) dans le
Cœur, en faisant que le mot Allâh passe sur lui, pendant qu’on considère son sens, à savoir qu’il s’agit de l’Essence sans Similitude (adh-Dhâtu-bi-lâ mithl). Cependant on est conscient qu’Allâh regarde l’être et l’enveloppe de toutes parts, conformément à la parole prophétique (dite dans la définition de l’Ihsân, la Vertu de perfection adoratrice) : « Que tu adores Allâh comme si tu le voyais, car
si tu ne le vois pas, Lui te voit ».
11° L’attente de l’effet (éventuel) de l’invocation (wâridu-dh-dhikr) lors de sa cessation, en restant ainsi un peu avant de rouvrir les yeux. S’il se présente un « évanouissement extatique » (ghaîbah) ou un « rapt spirituel » (jadhbah), qu’il évite de l’interrompre.
Remarque. Si, dans le cours de l’invocation, le dhâkir15 est importuné par quelque « resserrement » (qabd) ou par des idées qui troublent la concentration du cœur, qu’il ouvre donc les yeux, car le trouble cessera ; s’il ne cesse pas, l’invocateur prononcera avec sa langue : « Allâh me regarde, Allâh est présent auprès de moi » (Allâhu nâzhirî, Allâhu hadhirî) trois fois.
Si toutefois la dispersion persiste, l’invocateur cessera le dhikr et reprendra « l’attache au directeur » (râbitatu-l-murchid). Si cela ne suffit pas, il fera la petite ablution (wud’), ou même la grande (ghust), et ensuite il fera une prière de deux rak’ah suivie de la « demande de pardon » et complétée par cette demande : « O Celui qui enlève toute peine, ô Celui qui répond à toute demande, ô Celui
qui répare ce qui est brisé, ô Celui qui rend facile tout ce qui est difficile, ô Compagnon de tout étranger, ô Intime de tout isolé, ô Unificateur de toute division, ô Celui qui retourne tout cœur, ô Celui qui convertit tout état ! Pas de
Dieu autre que Toi ! Gloire à Toi, en vérité je suis d’entre les injustes ! Je Te demande de m’accorder un soulagement et une issue, de m’infuser l’amour de Toi dans le cœur, afin que je n’aie aucun désir ni souci dans mon cœur, et que Tu me protèges et me fasses miséricorde ! Par Ta Miséricorde, ô le plus Miséricordieux des Miséricordieux ! » Par cette demande seront chassées toutes les pensées troublantes, s’il plaît à Allâh, le Sublime.

Sache que les maîtres de cette voie élevée envisagent de façon technique certains centres subtils de l’être humain (al-latâifu-l-insâniyya), dans le but de faciliter le parcours de la voie aux pratiquants.
Comme moyen de dhikr en rapport avec ces centres subtils, ils emploient le Nom Divin Allâh (désigné couramment par l’épithète de « Nom de la Majesté Divine ») afin de réaliser l’tatappelé le « rapt proprement essentiel » (al-jadhbatu-l-mu’aiyanatu-dh-dhâtiyyah).
1° Le premier de ces centres subtils (latâif) est le « cœur » (qalb) qui est considéré comme se situant à deux largeurs de doigt sous le sein gauche, incliné vers le flanc et ayant la forme d’une « pomme de pin ». Le « cœur » ainsi considéré compte comme étant sous le « pied » (qadam) d’Adam – sur lui le Salut ! La Lumière qui lui correspond est « jaune ». Quand la lumière de ce
centre subtil (latifâh) sort du côté de son épaule et s’lève, et qu’il s’y produit un tremblement (ikhtilâj) ou quelque agitation (harakah) puissante, l’invocateur fera un transfert dans le point qui correspond au centre subtil appelé « l’esprit » (ar-rûh).
2° L’ « esprit » (ar-rûh) est symboliquement situé à deux largeurs de doigt sous le sein
droit, vers la poitrine. Ce centre subtil est sous le « pied » de Noé et d’Abraham – sur les deux le salut ! Sa « lumière » est « rouge ». Ainsi, le dhikr sera dans l’ « esprit » et l’ « arrêt » (al-wuqûf) dans le « cœur ». S’il s’y produit quelque agitation (harakah) qui trouble le dhakîr, celui-ci fera un transfert au point qui correspond au centre subtil appelé « secret » (as-sirr).
3° Le « secret » (as-sirr) est situé de la même manière à deux largeurs de doigt au-dessus du sein gauche. Ce centre subtil est considéré comme étant sous le « pied » de Moïse – sur lui le salut ! Sa « lumière est « blanche ». C’est dans ce centre que se fera le dhikr alors que l’ « arrêt » sera dans le « cœur ». S’il s’y produit quelque trouble, le dhâkir fera un transfert au point qui
correspond au centre subtil appelé le « caché » (al-khafî).
4° Le « caché » (al-khafî) est situé symboliquement à deux doigts au-dessus du sein droit vers la poitrine. Ce point est sous le « pied » de Jésus – sur Lui le salut ! Sa « lumière » est « noire ». Si le dhâkir y éprouve quelque trouble, il fera un transfert au point qui correspond au centre subtil appelé « le plus caché » (al-akhfâ).
5° « Le plus caché » (al-akhfâ) est situé symboliquement au milieu de la poitrine. Ce centre est considéré comme étant sous le « pied » de notre Prophète Muhammad – qu’Allâh prie sur Lui et Le salue ! Sa « lumière » est « verte ». Il y oeuvrera comme il a été dit précédemment (c’est-à-dire, que comme pour tous les centres subtils indiqués, le dhâkir y fera son dhikr pendant que l’ « arrêt » sera toujours dans le premier centre appelé « cœur »).
On entend par l’expression « pied » (qadam) la sunnah (le chemin) et la tariqâh (la Voie).
Celui qui obtiendra l’ascension (at-taraqqî) vers l’un de ces centres subtils (latâif) et y constatera la particularité et l’état afférent puisera son « breuvage » (machrab) auprès du Prophète sous le « pied » duquel se trouve le centre subtil en question.
Ensuite le dhâkir passe à « la négation et à l’affirmation » (annaîyu wa-l-ithbât) représentées par la formule Lâ’ilâha’illâh-Llah = « Pas de dieu si ce n’est le Dieu (Absolu et Universel) ».

La méthode d’emploi de cette formule est la suivante :
- Le dhâkir collera sa langue au palais de la gorge
(safu-l-halq) et, après avoir inspiré, il retiendra son
souffle. Alors, il commencera la prononciation par
le vocable lâ (« pas ») en se l’imaginant (bi-t-
takhaiyul) placé sous le nombril ; de là il tirera ce
vocable vers le milieu des centres subtils où se
trouve le centre appelé « le plus caché » (al-akhfâ) et
le prolongera jusqu’à ce qu’il atteigne le point qui
correspond au centre subtil de l’ « âme logique » ou
« raisonnable » (an-naf su-n-nâtiqah) ; ce dernier centre est situé symboliquement dans la
première enceinte (al-bâtinu-l.awalu) du cerveau (ad-dimâgh) appelée le « chef » (ar-ra’îs).

- Ensuite le dhâkir procédera à l’articulation du mot ‘ilâha (« dieu ») en commençant imaginativement avec l’élément phonétique appelé hamzah (figuré dans la transcription par l’apostrophe) depuis le cerveau en le faisant descendre jusqu’à l’paule droite pour faire couler vers le point correspondant au centre subtil appelé l’ « esprit » (ar-rûh).
- Enfin le dhâkir procédera à la prononciation de ‘illâ-Llâh (« si ce n’est Dieu ») en faisant partir imaginativement le hamzah de ‘illa depuis l’paule (droite) et en l’tendant vers le « cœur » (al-qalb) où le dhâkir frappera avec la parole finale Allâh (représentée dans la transcription précédente sans le A en raison de l’lision qu’amène la réunion de ces éléments de la formule) ; la force du souffle retenu frappera ainsi le « petit point noir du cœur » (suwaîdû‘u-l-qalb) pour en faire sortir l’effet (al-athar) et la chaleur (al-harârah) vers le reste du corps et pour que cette chaleur brûle toutes les parties corrompues du corps, alors que les parties pures de celui-ci seront illuminées par la lumière du Nom d’Allâh.
Le dhâkir considérera la formule Lâ ‘ilâha ‘illâ-Llah dans le sens qu’il n’y a pas d’ « adoré » (ma’bûd) ni de « visé » (maqçd) ni d’ « existant » (mawijûd) si ce n’est Allâh. De ces trois acceptations la première (il n’y a pas d’adoré) convient au commençant (al-mubtadî), la deuxième (il n’y a pas de « visé ») à « celui qui est au milieu de la voie » (al-mutawassit) et la troisième (il n’y a pas d « existant » au « finissant » (al-muntahî).
Lorsque le dhâkir prononcera la partie négative de cette formule, il niera l’existence de toutes les choses contingentes (al-muhdathât) qui se présentent à sa vue et à sa pensée, et il considérera donc ces choses avec le regard de l’extinction (bi-nazhari-l-fanâ) ; lorsqu’il prononcera la partie affirmative, il affirmera dans son cœur et dans sa vue la réalité de l’Etre Vrai – qu’Il soit
exalté ! - et il considérera donc l’Etre Vrai du « regard de la permanence » (bi-nazhari-l.baqâ).
A la fin de cette formule, il fera imaginativement un arrêt en un nombre impair (de temps) et prononcera : Muhammadun rasûlullâh (Muhammad est l’Envoyé d’Allâh), du cœur au-dessous du sein gauche en entendant par cela la conformité au Prophète – qu’Allâh prie sur Lui et Le salue ! – et l’amour pour Lui. Ensuite, il relâchera son souffle lorsqu’il sentira la nécessité de le
faire et il s’ « arrêtera » selon un nombre impair (de temps) : trois ou cinq ou sept, etc. jusqu’à vingt et un. C’est ce qu’on appelle chez nos maîtres l’ « arrêt compté » (al-muqûfu-l-‘adadî). Quand il relâchera le souffle, le dhâkir dira avec sa langue mais silencieusement : « Mon Dieu, vers Toi je me dirige et Ta satisfaction est ce que je demande » (Ilâhî Anta maqçdî wa ridâ-ka matlûbî).
Une fois le souffle expulsé, il reprendra un autre souffle qu’il utilisera de la même façon que le premier mais entre une expiration et une inspiration, il observera cette attitude imaginative (pour le décompte des temps).
Quand le dhâkir arrivera à la 21e fois, lui apparaîtra le résultat du dhikr du cœur. Ce résultat lui viendra de l’abolition de son humanité et de ses pensées de créature ainsi que la perte de l’être dans le « rapt divin essentiel » (al-jadhbatu-l-ilâhiyyatu-dh-dhâtiyyah). Alors dans son cœur apparaîtra
la vertu agissante de ce « rapt divin » et cela consiste dans l’orientation (tawajjub) du cœur vers le Monde Sanctissime (al-âlamu-l-aqdas) ainsi que l’effet survenu. L’tre en tirera alors son profit selon sa « prédisposition » (isti’dâd). Cette « prédisposition » est elle-même le don divin fait aux esprits avant que ceux-ci ne s’attachent au corps, don qui provient de la proximité essentielle et
datant de toute éternité.
Il y a des invocateurs chez lesquels survient au début un « évanouissement extatique » (ghaîbah) c’est-à-dire un abandon de tout ce qui est autre qu’Allâh.
Il y en a chez lesquels survient l’ « ivresse extatique » (as-sukr) c’est-à-dire la stupéfaction (al-haîrah) et l’ « évanouissement extatique » (al-ghabah) tout à la fois.
D’autres obtiennent l’état d’anéantissement (al-dam) c’est-à-dire l’extinction (al-ifnâ) de leur humanité après quoi ils s’illuminent par l’extinction qui est la disparition dans le « rapt divin ».
Si le dhâkir n’obtient aucun résultat, cela est à imputer au défaut d’accomplissement des règles requises. C’est règles sont : la sincérité de la volonté (çidqu-l-irâdah), l’ « attache au Sheikh », la conformité aux ordres du Sheikh, l’abandon entre ses mains de tous ses intérêts, la renonciation complète à toute préférence personnelle en faveur de la préférence du Sheikh et la
recherche de sa satisfaction en tout chose. Par l’observance de ces règles est attiré le flux divin (al- faîdu-l-ilâhî) de l’intérieur du Sheikh vers l’intérieur du disciple, car le Sheikh est la voie du flux etde la grâce divine. Il faut donc que ces règles soient observées strictement et la réussite est par
Allâh.

« Toute chose a un moyen par laquelle elle peut être purifiée, et le moyen pour le Cœur est le dhikr » -

le
Prophète Muhammad (saws)