lundi 28 janvier 2008

Un peu de poésie ...


" Le livre du dedans ", c’est à dire de l’intériorité la plus profonde, est le principal traité en prose du grand poète mystique Rumi , fondateur de la confrérie des derviches tourneurs, dont l’oeuvre reste méditée et commentée dans l’ensemble du monde musulman.


Il est dommage d’atteindre la mer pour n’y puiser qu’une cruche d’eau, alors qu’on y trouve des perles et cent mille choses précieuses. L’eau, quelle est sa valeur ? Et les sages, de quoi se glorifient-ils ? Pourquoi le font-ils alors que tout l’univers est une écume sur la mer ? Cette mer est la connaissance des saints. La Perle, où se trouve-t-elle ? Cet univers est une écume pleine de brindilles. A cause du mouvement des vagues, du bouillonnement de la mer, cette écume revêt une certaine beauté. " On a enjolivé pour les gens l'amour des choses qu'on désire: femmes, enfants, trésors d’or et d’argent, chevaux marqués, animaux et champs ; tout cela est la richesse de la vie présente ". Dieu a dit " enjolivé ", pour montrer que ces merveilles ne sont pas en elles-mêmes belles ; leur beauté a été empruntée et apportée d’ailleurs. C’est une fausse pièce recouverte d’or ; le monde, tel un flocon d’écume, est cette pièce, fausse et sans valeur ; mais nous l’avons recouverte d'or.
(…) Tous les désirs, les affections, les tendresses et les inclinations que les gens ont pour le père, la mère, les amis, les cieux, les terres, les jardins, les palais, les sciences, les actions, les aliments, les boissons, ils les croient raisonnables. Or, toutes ces choses sont des masques. Quand les gens passent hors de ce monde et voient le Roi sans masque, ils comprennent que toutes ces choses étaient des masques et des voiles. En vérité, leur idéal était cette seule Chose : toutes les difficultés sont résolues grâce à cette mise à nu. Toutes les questions et les problèmes qu’ils avaient dans le cœur recevront solution et seront dévoilés. La réponse de Dieu ne consiste pas en ce qu’il répond à chaque difficulté individuellement et séparément. Avec une seule réponse, toutes les questions seront éclaircies et les difficultés résolues

(…) Lorsque ici-bas beaucoup d’amis de noble origine se sont vus parfaitement les uns les autres, quand ils ressuscitent, dans l’autre monde, cette connaissance est renforcée et ils se reconnaissent vite entre eux ; ils savent qu’ils étaient ensemble dans ce monde, et ils se réunissent avec joie. Car l’homme perd vite son ami. Ne vois-tu pas que dans ce monde, quand tu sympathises avec une personne et qu’elle te semble séduisante comme Joseph, une seule action déplaisante suffit à la faire retomber hors de ton champ de vision ; et tu perds l’ami. Le visage de Joseph devient alors un visage de loup.(…) Demain, au Jour de la Résurrection, cette essence changera en une autre essence. Comme tu ne l’avais pas bien connu ni bien pénétré dans son essence, comment pourrais-tu le reconnaître ? Ainsi il faut se voir parfaitement l’un l’autre et dépasser les qualités bonnes et mauvaises qui sont accidentelles en chaque personne et pénétrer dans sa pure essence, car les qualités que les gens se donnent en réalité ne sont pas les véritables.
(...) Quelqu’un déclare : " Je connais très bien untel, et je vais vous donner son signalement ". On lui : " Fais-le ! ". Il répond : " Il était mon valet de ferme. Il avait deux vaches noires. " De même, les gens disent qu’ils ont un certain ami et le connaissent bien ; et le signalement qu’ils en donnent est en vérité aussi peu éclairant que l’histoire des deux vaches noires. Un tel signalement n’en est pas un et ne sert à rien. Il faut dépasser les faits bons et mauvais de l’homme, chercher quelle est son essence et sa réalité : voilà comment on peut voir et connaître véritablement.

(...) Nul besoin ne poussait Majnûn * à voir Laylâ de ses yeux, ni à entendre sa voix; car il ne voyait pas Laylâ séparée de lui-même et il disait :


Ton image est dans mes yeux, ton nom sur mes lèvres,
Ton souvenir dans mon cœur.
A qui écrirai-je ? Où te caches-tu ?
Je suis celui qui aime et celui qui m’aime
Nous sommes deux âmes incarnées en un seul corps.

* Majnûn et Laylâ, couple mythique de l’Islam. On dit que Majnûn priait tourné en direction de la tente de sa bien-aimée, et non en direction de la Mecque…

Donc, un être corporel exerce un pouvoir si grand que l’amour qu’il inspire produit des états où l’amoureux ne se voit pas séparé de celle qu’il aime ; tous ses sens perdent leur autonomie : l’œil, l’ouïe, l’odorat, aucun organe ne réclame une jouissance propre (…). Quand un organe obtient l’immersion, les autres organes se confondent en lui. De même, lorsque l’abeille vole haut, ses ailes, sa tête et tous ses organes se meuvent. Quand elle est noyée dans le miel, tous ses organes sont un. Ils ne bougent plus. L’immersion est acquise quand la personne s’installe hors le moi, hors l’effort, hors l’action, hors le mouvement. Elle est noyée dans l’eau ; chaque action qui émane d’elle n’est pas sienne, mais celle de l’eau (…). Est noyé dans l’eau celui à qui ne reste aucun mouvement ni action, mais dont les mouvements sont ceux de l’eau.

(...) Dans l’homme existent un amour, une douleur, une inquiétude, un appel, de sorte que s’il possédait les cent mille univers, il ne pourrait trouver le calme et le repos. Les gens exercent tous les métiers, tous les commerces, et procèdent à toutes sortes d’études : médecine, astronomie, etc., mais ils ne peuvent trouver le repos, car leur but n’est pas atteint. On appelle le Bien-Aimé " repos de l'âme " ; et comment pourrait-on trouver quiétude et repos ailleurs qu’en Lui ?
(...) Tous les plaisirs et toutes les fins sont tels une échelle ; chaque degré d’une échelle n’est pas un lieu de repos, mais un passage. Heureux celui qui se réveille tôt, afin de raccourcir le long chemin, sans perdre sa vie à trébucher sur les degrés.

(...) Un homme plante un arbre fruitier ; et n’est-il pas sûr que cet arbre qui a donné des fruits vaut mieux que cent arbres qui n’en ont pas donné ? Car il est possible que les autres arbres ne parviennent pas à produire des fruits. Bien des calamités peuvent advenir. Un pèlerin qui arrive à la Ka’ba vaut mieux que celui qui chemine dans le désert ne sachant pas s’il y parviendra ou non. Tandis que le premier est réellement arrivé. Une réalité vaut mille fois plus qu’une incertitude.

Histoire de lion…
La renommée d’un lion s’était répandue dans le monde entier. Par curiosité, un homme vint de très loin pour voir le lion. Il passa une année à parcourir les étapes ; arrivant au fourré, il vit de loin le lion; il resta sur place sans pouvoir avancer. On lui dit : " Enfin, tu as parcouru un long chemin pour le plaisir d’apercevoir le lion ; or, le lion a une caractéristique : si quelqu’un s’avance vers lui sans peur et le caresse avec tendresse, le lion ne lui fait pas de mal ; mais si quelqu’un a peur de lui, il se fâche, et parfois le tue, à cause des soupçons qu’il éprouve ". Ils dirent encore : " Puisqu’il en est ainsi, que tu as passé une année à courir les routes et que maintenant tu es arrivé près du lion, pourquoi rester immobile ici ? Avance d’un pas ". Personne n’eut l’audace de s’avancer. L’homme dit : " C’était facile de parcourir de si longues distances ; mais maintenant, je ne peux avancer d’un pas " . Très rares ceux qui franchissent ce pas. Il n’est le fait que d’une élite et des amis proches de Dieu qui renoncent à leur vie propre. Les autres pas sont des traces de pas.

(...) L’homme est comme un arc dans la main de la puissance divine ; Dieu le Très Haut l’emploie pour des actions ; ces actions, en réalité, sont l’action de Dieu, non de l’arc. L’arc est un instrument et un moyen, mais il est inconscient de Dieu, afin que l’ordre du monde soit maintenu. Quel heureux et excellent arc est celui qui sait dans la main de qui il est !

(...) A chaque endroit où l’on utilise un gros verrou, se cache quelque chose de précieux et de grande valeur. Et plus le voile est épais, plus le joyau est précieux. Tel le serpent qui se trouve au-dessus d’un trésor : ne regarde pas la laideur du serpent, mais considère les choses précieuses qui se trouvent dans le trésor.




" Le livre du dedans " est publié par les éditions Sindbad. Paris - 1982.
Il est traduit et présenté par Eva de Vitray-Meyerovitch, spécialiste de l’oeuvre de Rûmî. Convertie à l’Islam, elle a raconté son attrait pour le monde et la religion musulmane dans " Islam, l’autre visage ", publié chez Albin Michel.
Vous pouvez le commender ici :
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vendredi 25 janvier 2008

La caverne entre symbolique universelle et imaginaire soufi

La caverne entre symbolique universelle et imaginaire soufi


un article remarquable de Nayla Tabbara


Certains symboles sont des symboles que l’on peut appeler universels. Ils existent dans toutes les religions, qu’elles soient « révélées » ou « archaïques », et ils sont retrouvés à toutes les époques, des plus anciennes jusqu’à nos jours. Ce sont les symboles de la nature que l’homme, que ce soit l’homme de Néanderthal ou l’homo sapiens, a toujours trouvé devant lui et qui l’ont fasciné depuis les origines : tels le soleil, la lune, la mer, le rocher, l’arbre, la montagne, le désert et la caverne, qui figure dans les mythes d’origine, de renaissance et d’initiation de nombreux peuples.
Depuis la grotte de Lascaux, à la caverne de Platon et celle d’Ali Baba, la grotte ou la caverne a représenté tantôt un lieu de rencontre avec le surnaturel, le divin, le sacré, tantôt une image du monde, et tantôt un lieu secret et plein de richesses. De la grotte de la Nativité à la grotte de Hîra’, en passant par la caverne des dormants, elle représente un lieu de naissance ou de résurrection, un lieu protégé, un lieu de manifestation du sacré, un centre, un point axial dans le temps et l’espace, et par là hors du temps et de l’espace. [1]
Nous voulons esquisser ici une comparaison entre la caverne dans l’imaginaire universel : traditionnel, psychologique et même littéraire et la caverne dans l’imaginaire soufi, en décelant les points de rapprochement mais aussi en montrant la spécificité de l’approche soufie quant aux symboles.

I. LA CAVERNE DANS LA SYMBOLIQUE UNIVERSELLE

La caverne dans la symbolique universelle est un lieu central où s’effectue une transformation (mort, renaissance, initiation) ou bien un lien avec l’autre monde. C’est un espace sacré réel, physique, pouvant aussi être mental, dans lequel se passe quelque chose, soit au niveau individuel, soit au niveau cosmique.

1. La caverne comme centre

Pour Guénon, la caverne est le centre, l’origine, le point de départ, indivisible, l’image de l’unité primordiale. [2] De la Grèce antique (Platon) à l’Extrême-Orient, elle est conçue comme l’image du monde, le lieu de la naissance et de l’initiation, parfois aussi symbolisant le cœur [3]. En tant que lieu et centre, la caverne est considérée tantôt comme un réceptacle d’énergie tellurique [4], ceci pour la caverne souterraine, tantôt comme un lieu illuminé par rapport aux ténèbres de l’extérieur, car une initiation y a lieu et l’initiation, la seconde naissance, est une illumination [5]. En effet, la caverne qui serait en même temps lieu de mort initiatique et un lieu de seconde naissance, donne accès à la fois aux niveaux souterrains et aux niveaux supra terrestres. Là s’effectue la communication avec les états supérieurs et inférieurs : elle devient donc centre du monde, tous les états s’y reflétant. [6]

2. La caverne comme lieu de passage : lieu de Renaissance et d’initiation

En tant qu’archétype de la matrice maternelle (regressus ad uterum), la grotte et la caverne, comme la matrice, symbolisent les origines, les renaissances, ceci surtout au proche-orient [7]. Elle est donc le lieu de naissance, de regénération et d’initiation comme nouvelle naissance, mais aussi un lieu de passage de la terre vers le ciel, ou du ciel vers la terre, ainsi que le lieu où se fait un passage des ténèbres à la lumière [8].
Guénon explique : mort et naissance sont les deux faces d’un même changement d’état et ce passage d’un état à un autre doit toujours s’effectuer dans l’obscurité. Pour ce, la caverne est liée au voyage souterrain et elle est comparée à la baleine de Jonas [9]. Notons cependant que nous traiteront ici d’une caverne en montagne, ou du moins au dessus du niveau de la terre (pour la grotte), et non d’une caverne souterraine telle celle de Platon [10] qui représente le niveau inférieur. La sortie de la caverne platonicienne correspondrait à l’entrée dans la caverne que nous traitons, qui symbolise l’éloignement du monde des ombres et des habitudes.
La caverne est aussi le lieu d’une troisième naissance : la seconde étant une initiation aux petits mystères, relevant du domaine psychique, tandis que la troisième est l’initiation aux grands mystères, une renaissance spirituelle, précédée d’une seconde mort, non pas au monde profane mais au cosmos. C’est cette troisième naissance qui est une résurrection. Enfin, Guénon ajoute que, « pour que cette résurrection, qui est en même temps la sortie de la caverne, puisse avoir lieu, il faut que la pierre qui ferme l’ouverture du sépulcre (caverne) soit enlevée » [11], ce qui est en accord avec la fin de l’histoire des gens de la caverne (que ce soit dans les textes chrétiens de Jacques de Voragine ou Jacques de Saroug ou dans les textes musulmans d’exégèse coranique).
Enfin, Guénon souligne le caractère électif de l’initiation, en affirmant que seuls ceux qui sont aptes à entrer dans la caverne peuvent y avoir accès [12].

3. La caverne comme lieu de refuge et de repos

Si dans la symbolique universelle on ne voit pas la caverne comme refuge, lieu protégé ou lieu de repos, la littérature, elle, couvre cet aspect de la caverne ou de la grotte. Bachelard dit : « La grotte est un refuge dont on rêve sans fin. Elle donne un sens immédiat au rêve d’un repos tranquille, d’un repos protégé ». Elle a la fonction d’un « rideau naturel » [13]. Notons qu’elle représente aussi le lieu idéal de refuge non seulement pour les poètes et écrivains mais aussi pour beaucoup de combattants, qu’ils soient résistants ou terroristes.

4. La caverne symbole du moi intérieur

Finalement, la caverne symbolise aussi l’exploration du moi intérieur, et plus particulièrement du moi primitif, refoulé dans les profondeurs de l’inconscient [14]. C’est probablement pour cette raison que Jung a voulu interpréter la sourate coranique de la Caverne, qu’il conçoit comme symbolisant la transformation. Cela n’est pas étonnant, car l’entrée en soi mène toujours à un changement profond, à un renouveau, voire même une renaissance. Loti illustre cela en décrivant son attachement aux grottes dans ses Fleurs d’Ennui (p. 80) : « Je m’y sens rafraîchi, retrempé de prime jeunesse et de vie neuve ». Il couvre par-là les deux thèmes du repos et de la régénération ou renaissance [15].

II. LA CAVERNE EN ISLAM

1. La grotte et la caverne dans le Coran

Nous retrouvons la grotte (ghār) et la caverne (kahf) dans le Coran. Pour Malek Chebel la caverne ou grotte a deux portées : d’un côté, il s’agit du lieu ou s’effectue le rite d’incubation [16] (qu’il appelle istikhâra), de l’autre c’est le lieu de la révélation coranique (wahy). Ghâr Hîra’ où est descendue la révelation, est le prototype de la grotte sacrée. Une deuxième grotte importante en islam est celle où le Prophète Mohammad et son compagnon Abu Bakr se sont réfugiés [17]. Dans les deux cas, il s’agit de grotte (ghâr) et non de caverne (kahf). Isma’îl Hiqqi, auteur et exégète soufi d’origine Turque, explique la différence entre caverne (kahf) et grotte (ghâr) : les deux sont des cavernes dans la montagne, mais l’on parle de kahf (caverne) lorsque c’est vaste, et de ghâr (grotte) lorsque c’est étroit [18]. Notons cependant qu’en français d’après le Robert, la grotte est une vaste cavité naturelle dans la roche tandis que la caverne est simplement une cavité naturelle dans la roche - ce qui fait que la véritable traduction serait caverne pour ghâr et grotte pour kahf- tandis que dans le Larousse, la caverne est une excavation naturelle vaste et profonde et la grotte une excavation naturelle ou artificielle. Du fait qu’il n’y a donc pas de consensus dans la langue française pour les sens de grotte et de caverne, nous gardons la traduction communément admise, grotte pour ghâr et caverne pour kahf.
Le terme de kahf (caverne) est retrouvé dans le Coran, uniquement à la sourate La Caverne (al Kahf (18) et le terme de ghâr (grotte) à la sourate At-Tawbah (9), au verset 40 :
« Si vous ne portez pas assistance (à l’envoyé), Dieu l’assista quand, banni par les dénégateurs avec un seul compagnon, tous deux se trouvaient dans une grotte. Lors il dit à son compagnon : “Ne sois pas triste : Dieu est avec nous”. Et Dieu fit descendre sur lui Sa sérénité (Sakîna), le conforta d’armées invisibles à vos yeux, et mit à bas la parole des dénégateurs, alors que la Parole de Dieu fut la plus haute. Dieu est Puissant et Sage ».
La Caverne apparaît par contre dans un passage plus long, dix-sept versets dans une sourate qui fut descendue par 70.000 anges, selon le hadîth, et qui en porte le nom. Ces versets concernent l’histoire des gens de la Caverne, connus dans monde chrétien par la dénomination « les sept dormants d’Éphèse ». Dans le texte coranique il s’agit de trois, cinq ou sept jeunes gens (et leur chien) qui se réfugient dans une caverne pour fuir un roi qui leur demandait de sacrifier aux idoles, et qui s’endorment là pendant 309 ans pour être ensuite ressuscités.
9. Tiendras-tu (l’aventure) des compagnons de la caverne et de l’épitaphe pour un prodige d’entre Nos signes ?
10. Lors ces jeunes hommes se réfugièrent dans la caverne et dirent : « Notre Seigneur, accorde-nous une miséricorde de Ton sein, ménage-nous de notre chef rectitude ».
11. Nous assourdîmes leurs oreilles dans la caverne pendant des années en nombre
12. Puis les ranimâmes pour savoir lequel des deux partis serait le plus apte à compter le temps de leur séjour
13. Nous allons te narrer leur histoire dans le Vrai, C’étaient des jeunes hommes croyant en leur Seigneur : Nous les grandîmes dans la guidance
14. Nous ceignîmes leur cœur quand ils se levèrent, de sorte qu’ils dirent : « Notre Seigneur est le Seigneur des cieux et de la terre, nous n’invoquerons point de Dieu en dehors de Lui : nous aurions proféré une imposture
15.voici que notre peuple s’est donné des dieux en dehors de Lui ; faute d’apporter sur eux démonstration patente, rien n’est plus inique que de fabuler sur Dieu un mensonge
16. quand nous nous serons isolés d’eux et de cela qu’ils adorent à l’exclusion de Dieu, réfugions-nous dans la caverne, afin que notre Seigneur épanche sur nous un peu de Sa miséricorde et nous ménage de notre chef sollicitude »
17. Tu aurais vu le soleil à son lever obliquer à droite, et les laisser à son coucher sur la droite de la caverne, eux dormant dans l’une de ses cavités. Ce sont là des signes de Dieu ! Quiconque Il guide c’est lui qui bien se guide, quiconque Il fait s’égarer, tu ne trouveras nul protecteur pour le ramener à la rectitude
18. Tu les aurais crus éveillés alors qu’ils dormaient, et que Nous les retournions sur la droite ou sur la gauche, tandis que leur chien étendait ses pattes à l’entrée. Aurais-tu plongé sur eux ton regard, que tu leur eusses tourné le dos pour fuir, tant ils auraient empli ton cœur de crainte
19. Ainsi donc Nous les ranimâmes, pour les faire s’entrequestionner. L’un d’eux parla : « Combien de temps avons-nous séjourné ? ». Les autres dirent : « Un jour » ou « une partie d’un jour », ou, mieux : « Notre Seigneur est seul à savoir le temps que nous avons séjourné… Envoyons donc l’un de nous à la ville, muni de cette pièce d’argent que nous possédons, examiner qui y (vend) la nourriture la plus pure, et nous en ramener quelque attribution. Qu’il se montre accommodant, et prenne bien garde de n’éveiller sur nous l’attention de personne
20. car s’ils nous découvraient, ils nous lapideraient, ou nous feraient revenir dans leur secte : alors à jamais nous ne serions des triomphants »
21. Ainsi donc les fîmes-Nous découvrir par hasard, afin qu’on sût que la promesse de Dieu est Vérité et que l’Heure est inéluctable. Lors on s’ent’arracha leur sort. Certains disaient : « Murons-les sous une maçonnerie ; à leur Seigneur seul de connaître d’eux ! » Mais une opinion prévalut quant à leur sort : « Ménageons-nous sur eux un oratoire ! »
22. On dira : « Trois, plus leur chien pour quatrième ». Ou bien : « Cinq, plus leur chien pour sixième ». Autant conjecturer sur leur mystère ! Et l’on dira : « Sept et enfin le chien pour leur huitième ». Dis : « À mon Seigneur seul de connaître leur nombre ». Bien peu savent ce qui en est des Dormants. Ne dispute à leur sujet que dispute d’apparences. Ne consulte sur eux aucun des leurs.
23. Ne dis pas non plus d’une chose que tu vas la faire demain
24. sans ajouter : « Pourvu que Dieu le veuille ». Au cas où tu l’aurais oublié, rappelle le nom de ton Seigneur, et dis : « Puissé-je être par mon Seigneur guidé à plus près dans la rectitude »
25. … « Ils ont séjourné dans leur caverne trois cents ans, auxquels on en ajoutera neuf »
26. dis : « Dieu en sait plus que personne sur la durée de leur séjour ».
- À Lui appartient le mystère des cieux et de la terre. Comme Il voit ! Comme Il entend ! On ne peut avoir, hors Lui, de répondant. Il n’associe personne à Son pouvoir
[19].

2. La caverne chez les exégètes traditionnels

Les exégètes orthodoxes ou traditionnels musulmans ont essayé de puiser dans les histoires chrétiennes et juives pour expliquer ce passage. Pour certains, tels Râzi, grand philosophe, théologien et exégète du VIe/XIIe siècle, l’histoire pourrait même être antérieure au christianisme. Dans leurs commentaires, ces auteurs traîtent de la caverne comme un lieu réel, physique et historique, et essayent à travers les histoires, de déceler son emplacement véritable (Éphèse, Jordanie, Syrie..). Ces exégètes orthodoxes sortent rarement des confins du commentaire littéral. Cependant, l’un des plus grands exégètes traditionnels, Ibn Kathîr, qui appartient au VIII/XIVe siècle, dit : « Dieu nous a fait connaître les attributs de la caverne mais non son emplacement car nous n’en avons pas besoin pour notre religion », et se rapporte au hadîth : « Je n’ai laissé aucune chose qui vous rapproche du paradis et vous éloigne de l’enfer sans vous l’avoir enseignée » [20], ouvrant la possibilité- sans le savoir peut-être et même sans le vouloir- à l’exégèse anagogique, en ne soulignant pas le caractère concret, l’emplacement géographique de la caverne, mais plutôt son sens ou sa portée.
Néanmoins, chez tous les exégètes orthodoxes traditionnels, la caverne des dormants signifie le lieu de résurrection. Paolo D’all Oglio, qui rapporte les interprétations de la sourate chez ces auteurs en soulignant son caractère éducationnel pour les musulmans du premier temps, la nomme la sourate de l’Espérance [21]. Tandis que Massignon, qui a effectué un vaste recherche quant aux interprétations orthodoxes traditionelles, soufies, chiites et ismaéliennes, souligne le caractère eschatologique de la sourate et l’appelle l’Apocalypse de l’Islam. Généralisant parfois, il mentionne entre autres que la caverne est essentiellement le Refuge où le Mahdi attend en secret le retour de Jésus (idée que l’on retrouve chez Qashâni) [22] et que, selon l’islam, la caverne d’Éphèse serait le lieu où retentirait le premier appel du Jugement dernier [23]. Elle est donc, selon cette lecture, étroitement liée à la fin des temps et à la résurrection.
Massignon rapporte aussi que dans la pensée ésotérique chiite, la Caverne symbolise ‘Ali (selon Tabarâni) [24] et dans la pensée ismaélienne elle représente le tâli : Muhammad ou Ali (selon Ja’far ibn Mansûr al Yaman) [25]. Dans ces deux exemples, nous voyons que la caverne est non plus un lieu mais une personne qui représente en soi le sens de l’histoire et de la création. Or lieu et personne sont du niveau du concret, alors que, comme nous le verrons plus loin, chez certains soufis il existe une transcendance du concret vers la topographie spirituelle, et même une transcendance de la topographie spirituelle vers l’Amour pur.

3. La caverne dans la symbolique soufie

Les deux modèles mystiques dans le Coran sont Marie et les dormants, exemples d’hommes et de femmes non-prohètes ayant reçu des charismes et possédant une relation sans intermédiaire avec Dieu. Or ces deux exemples ont des emplacements : Marie reçoit les dons de Dieu dans son Mihrâb (Sanctuaire) (Al Imrân 3 : 37) [mais aussi dans son ventre ce qui a poussé Massignon à comparer la caverne avec le ventre de Marie et de Fatima] et les dormants sont endormis, retournés et ressucités dans leur caverne. Qushayri, soufi du Ve/XIe siècle [26], explicite la théorie du lien entre l’âme et le lieu en commentant le verset 9 de la sourate la caverne (« Tiendras-tu (l’aventure) des compagnons de la caverne et de l’épitaphe pour un prodige d’entre Nos signes ? ») : « On dit qu’ils sont restés dans leur caverne une longue durée ; pour ce, Il les appelle les gens de la caverne (ahl al kahf) ; les âmes ont des emplacements, ainsi que les cœurs et les énergies spirituelles (himam) : et l’on demande une personne là où elle fait sa retraite » [27]. Cependant, si Qushayri effectue le lien entre les dévoilements et un lieu géographique terrestre précis, la plupart des soufis délaissent la géographie terrestre pour la géographie céleste.
Nous présenterons nos exégètes soufis par ordre chronologique, bien que ce passage entre topographie terrestre et géographie céleste ne suive pas cet ordre. Il reste une caracteristique personnelle, individuelle, tout comme l’expérience soufie elle-même. Rappelons que les commentaires mystiques sont des commentaires du sens anagogique. Certains expliquent et le sens apparent et le sens intérieur des versets, tandis que d’autres ne s’arrêtent qu’au sens caché. Or ce qui est intéressant chez les soufis en général, c’est qu’ils ne parlent que de leur vécu. Même quand il interprètent le Coran, c’est leur propre expérience, leurs propres goûts, et leur propre imaginaire que l’on lit à travers leurs commentaires. Nous pouvons donc affirmer qu’ils n’ont pas de distance par rapport au texte qu’ils vivent pleinement, ce qui fait que dans l’interprétation de la caverne des dormants ils s’identifient avec les ahl al kahf car, rappelons-le, ces gens de la caverne sont un modèle coranique pour le soufi. Nous remarquerons donc que beaucoup d’entre eux se projettent sur le texte coranique, le texte devenant un support à leur vécu ou à leur philosophie.

a) Hallâj [28] : Diwan

Nous commençons par Hallâj, en citant un poème de son diwân avant de passer à son interprétation d’un verset de la sourate la Caverne puisée chez Sulami.
Par Dieu, si les amants juraient qu’ils étaient victimes ou morts d’amour, ils ne parjureraient point Ce sont des gens qui, s’ils sont abandonnés après avoir été unis meurent, et s’ils sont réunis après cela, ils ressucitent Tu vois les amoureux gisant dans leurs demeures tels les jeunes gens de la caverne : ils ne savent pas combien de temps ils y ont séjourné [29].
Ici Hallâj ne semble pas donner d’importance à la caverne comme lieu, ni même au symbole. La caverne et le symbole sont dépassés par le Hâl, l’état puissant de l’amour. Cependant il s’agit ici d’un poème et non d’une interprétation.
Sa parole, exalté soit-Il : « Penses-tu que les gens de la Caverne et d’al-Raqîm ont constitué une chose extraordinaire d’entre nos prodiges ? » [18 :9]. Al Husayn [Ibn Mansûr al Hallâj] a dit : Les gens de la caverne sont au sein de la véritable connaissance originelle, Il ne les éloigne en aucun état, et c’est pour cela qu’Il a rendu leurs traces invisibles au monde [30].
Ici par contre, Hallâj donne une autre symbolique à la caverne : c’est pour lui le lieu de l’hospitalité divine, de la proximité, et de la connaissance originelle, par opposition à la connaissance accidentelle dans le monde temporel. C’est donc un lieu, mental, spirituel, qui porte quand même des traces de la symbolique universelle : centre du monde, lieu en dehors du temps et de l’espace, car la connaissance originelle appartient au monde prééternel, au monde sacré.

b) Ibn ‘Atâ’ al Adami [31] et Fâres (des Haqâ’ia at-Tafsîr de Sulami)

Il les a repris d’eux-mêmes et Il S’est mis entre eux et tout autre (al-aghyâr). Il leur a donné refuge dans la caverne de la familiarité [en Sa compagnie] (uns), les hébergeant en sécurité, puis Il les a anéantis à eux-mêmes et les a absentés d’eux-mêmes, de leur volonté et de leurs significations (ma’ânîhum). Alors ils se sont éperdus dans la présence [divine], passionnés. C’est pour cela qu’Il a dit : « Penses-tu que les gens de la Caverne et d’al-Raqîm ont constitué une chose extraordinaire d’entre nos prodiges ? » [18 :9] [32].
Chez Ibn Atâ’, l’on retrouve les thèmes de l’hospitalité divine, du refuge et de la sécurité [33], connotation que l’on retrouve en littérature. Mais l’on retrouve surtout ici les thèmes de fanā’ et baqā’, extinction et surexistence, et l’on décèle un parallèle entre ce couple de thèmes et le couple mort-résurrection, vécu par les dormants : le fanā’ et le baqā’ sont la mort et la résurrection vécus au niveau du monde de l’esprit, sans passer par la mort naturelle. En ce qui concerne la Grotte (ghâr), commentant le verset 40 de la sourate 9 al Tawbah :
Ibn ‘Ata dit : « tous deux se trouvaient dans une grotte dans l’emplacement de la proximité (mahall al qurb) dans la caverne des lumières, dans la prééternité » [34]
Même symbolisme que le cas précédant : proximité et lumière prééternelle qui pourrait signifier la connaissance prééternelle et originelle mentionnée par Hallâj, car la connaissance est lumière.
Fâres [35]dit : tous deux se trouvaient dans une grotte : Ce qui les avait fait sortir vers la grotte, c’est la jalousie (ghîra) sur la religion, causée par tout ce qu’ils voyaient comme désobéissance au vrai, donc cette jalousie les a fait sortir et arriver vers la grotte (ghâr), et la jalousie de Dieu (ghâra) fit qu’Il les couvrit par rapport aux yeux de toutes les créatures. Car ils étaient dans Sa contemplation, Il les contemplait et eux Le contemplaient. Ne vois-tu pas comment le Prophète dit à Abu Bakr : “que penses-tu de deux ayant Dieu pour troisième” dans le fait qu’Il les contemple, les assitste et les rend vainqueurs [36].
Fâres rejoint ainsi Ibn ‘Atâ’, car après un jeu de mots sur ghâr (grotte) et ghîra (jalousie), il présente la caverne comme un lieu de contemplation du divin, donc aussi de connaissance, car la véritable connaissance pour le soufi passe par la contemplation. Remarquons que pour beaucoup de soufis des premiers siècles, les soufis prudents qui se démarquent de Hallâj, la contemplation de Dieu est l’achèvement du chemin de l’amour, ces derniers n’osant pas demander l’union mystique, comme le feront les soufis des siècles ultérieurs.

c) Qushayri [37](465H/1073) : Latâ’if al Ishârât

« Lors ces jeunes hommes se réfugièrent dams la caverne et dirent : « Notre Seigneur, accorde-nous une miséricorde de Ton sein, ménage-nous de notre chef rectitude » [10]. Exotériquement, Il les as fait entrer dans la caverne, tandis qu’ésotériquement, Il les a mis sous l’égide de Son attention (‘inâya) et de Son agrément (iqbâl), puis Il les a ravis à eux-mêmes, S’est levé en eux à leur place, et a fait couler en eux les états alors qu’ils étaient absents à eux-mêmes (ou : à la vision d’eux-mêmes (shawâhiduhum)) [38]
Nous retrouvons ici les mêmes thèmes : hospitalité divine accompagnée de bienveillance et d’attention de la part de Dieu accordés aux saints, tout comme nous retrouvons le thème d’extinction-surexistence (fanā’/ baqā’), puisqu’ Il se lève en eux à leur place.
La caverne symbolise ainsi pour lui la demeure spirituelle du dépouillement (tajrîd) qui précède et entraîne l’extinction (fanā’). Or le dépouillement vient toujours chez les soufis avec l’esseulement (tafrîd).
Pour ce, il continue :
« Et quand vous vous serez séparés d’eux et de ce qu’ils adorent en dehors d’Allah, réfugiez-vous donc dans la caverne : votre Seigneur répandra de Sa miséricorde sur vous et disposera pour vous un adoucissement à votre sort » [16]. L’isolement par rapport aux autres entraîne nécessairement l’union (wasla) à Dieu. En fait, l’union à Dieu ne peut avoir lieu qu’à la suite d’un isolement par rapport à tout ce qui n’est pas Dieu. On dit que lorsqu’ils s’isolèrent de tout ce qui est adoré outre Dieu, Dieu les a fait entrer au sein de Sa bienveillance (ri’âya), et leur a preparé une demeure dans la caverne de Sa sollicitude (‘inâya) [39]
Ainsi, il introduit ici une nouvelle connotation de la caverne : l’isolement, la réclusion par rapport au monde, la demeure du tafrîd, pour accéder à l’union et non seulement s’arrêter à la contemplation.
En ce qui concerne la grotte, il la connote avec l’idée de refuge, mentionnée chez Ibn ‘Atâ’ et en littérature :
On dit : Les grottes ne sont pas toutes des refuges pour les serpents, certaines sont des refuges pour les bien-aimés [40].

d) Ruzbahân Baqli al Shirâzi [41] (606/1209) : ‘Arâ’is al Bayân

Parmi les soufis que nous avons mentionnés, nous pouvons affirmer que Ruzbahân est celui qui a vécu le plus de dévoilements et qui a eu l’une des vies les plus riches quant au parcours soufi dans le monde imaginal. Pour lui, la caverne est avant tout le symbole de l’union, la chambre nuptiale.
Leur futuwwa (jeunesse ou chevalerie spirituelle), c’est le fait qu’ils se détournent de tout ce qui n’est pas Dieu, du monde entier, et le fait qu’ils approchent de Dieu en prenant refuge dans les cavernes de Son union, à l’ombre, au sein de Sa beauté, dans les citadelles de Sa familiarité et les châteaux de Sa sainteté [42].
Puis Il raconte comment par un excès de bienveillance envers eux, Il a eloigné d’eux les effets des éléments provenant de la nature du soleil, de la lune et des planètes. Il a éloigné d’eux la chaleur du soleil et ses rayons afin que leurs corps sans âmes (ashbâh) ne se modifient pas par rapport aux lois de l’esprit, comme S’Il les avait fait entrer dans la chambre nuptiale de la familiarité dans le monde de la sainteté, et qu’Il ait fait ce monde dans la caverne- Lui qui peut créer mille parardis dans l’œil d’une fourmi ; alors, lorsqu’Il les hébergea dans la chambre de Son union, Il éloigna d’eux les transformations relatives à tout ce qui est accidentel (hadathiyya), ainsi que toute connaissance de la part des créatures en ce qui les concerne, par jalousie. Par jalousie divine, Il a donc voilé d’eux le soleil montant qui est dans la quatrième sphère. Et s’Il les a voilés du soleil avec toute la majesté de ce dernier qui est la cause de la croissance du monde, alors comment une autre créature pourrait-elle les voir ? [43]
Or il nous montre clairement ici que l’endroit ou le symbole aurait pu être autre sans pour autant changer le sens. Il ne s’arrête ni à l’histoire, ni au lieu, ni au symbole, car dans sa philosophie de l’équivocité (iltibâs), Dieu peut se manifester en tout. Dieu peut créer ce qu’Il veut là où Il veut. Ici, la caverne est le lieu choisi par le divin pour représenter le monde de la sainteté, mais ça aurait pu être n’importe quel autre lieu. Pour Ruzbahân, les lieux et les choses ne comptent que s’ils sont choisis par Dieu pour une manifestation quelconque. Et si la manifestation a lieu, Ruzbahân ne s’arrête pas à l’endroit mais uniquement à l’expérience.
« Tu aurais vu le soleil à son lever obliquer à droite, et les laisser à son coucher sur la droite de la caverne » [17]. L’allusion en vérité est qu’Il les a cachés dans la caverne des secrets, les a fait asseoir dans l’étendue des lumières, leur a montré les visions de la Beauté, leur a donné refuge dans la splendeur de la beauté et les a protégés des assauts de la lumière du soleil de la puissance, de la grandeur et de la magnificence qui se lève à l’orient de la prééternité et se couche à l’occident de la postéternité, pour qu’ils ne brûlent pas dans les lumières de l’essence de la divinité, ne s’annihilent pas dans la puissance du rayonnement de la gloire de la Magnificence, et ne regardent pas les trésors du mystère (ghuyûb) de la surexistence (baqā’) [44].
Si nous comparons ceci avec le Journal Spirituel de Ruzbahân intitulé Le Dévoilement des Secrets, nous remarquons que ce qu’il décrit ici découle de sa propre expérience dans le monde spirituel, le monde imaginal, ses propres visions ainsi que la force de l’émotion ressentie lors de l’approche de la contemplation de l’Essence divine (dans lequel cas il se compare à Moïse). Or Ruzbahân a vécu ses dévoilement depuis l’âge de trois ans, sans choix aucun de sa part mais par pure élection divine. Pour ce, il appelle la caverne- qu’il utilise ici comme support à ses propres visions- « la caverne des secrets », soulignant par là le thème de l’élection. Cette caverne n’est pas ouverte à tous, seulement à ceux que Dieu décide d’y faire pénétrer. Et ceux là, les saints, sont protégés, non seulement dans le monde terrestre, mais aussi dans le monde spirituel, ainsi que du monde spirituel (le monde des mystères) lui-même.
Autre caractéristique chez Ruzbahân : les dormants ne sont ni dans le fanā’ ni dans le baqā’ : ils ne sont pas ‘extincts’ car ils contemplent, et ne sont pas dans la surexistence car ils en sont protégés. Sont-ils dans un entre-deux ou sont-ils au-delà de cette distinction centrale pour les soufis ?
Ils sont dans une cavité ou partie spacieuse de l’union. Le soleil de la superbe s’écarte de la caverne de leur proximité du côté droit, la prééternité, et du côté gauche, la postéternité, et ils sont dans une cavité : celle de l’ininterruption (wisâl) de la comtemplation de la Beauté et de la Majesté, gardés et protégés de la rigeur (qahr) de la puissance de l’Essence pure prééternelle, qui fait les mondes s’évanouir dans les premiers déserts de Sa resplendissance. Quel signe est plus grand que celui-ci : ils sont au milieu des feux de la superbe et ne s’y brûlent pas. Ils sont restés en vérité/ en Dieu avec Dieu, heureux de cette compagnie (musta’nisîn) par Dieu pour Dieu, avec l’attribut de la perte de la sensation à la station de la familiarité (isti’nâs), absents à eux-mêmes, témoins de Dieu sur Dieu. [45]
En fait, ils sont à la station de l’ininterruption de l’union. Ils sont au centre de la caverne, en union complète, ininterrompus par la sensation d’eux-mêmes tout en étant à la fois témoins-contemplateurs.

e) Rûmi [46] (672/1273)

Un autre grand amoureux est Rumi, fondateur indirect de la Mawlawiyya, grand poète persan de l’amour divin.
Quelqu’un demanda : “Quelle est la Voie ?”
Je dis : « La Voie c’est renoncer aux désirs ».
O toi, amoureux de Dieu ! Sache que ta voie
Consiste dans la recherche du consentement de ce Maître.
Puisque tu recherches le désir et la volonté de l’Ami,
La recherche de ton propre désir est pour toi illicite.
L’âme est devenue toute entière amour de l’Aimé
Cet Amour est un monastère sublime.
L’amour pour Lui n’est pas plus aisé à atteindre que la cime des monts.
Le faîte de la montagne, pour nous, c’est l’accomplissement
La grotte où se cache l’Ami, c’est l’amour.
L’harmonie de l’âme est l’œuvre de Sa beauté ;
Toutes les choses que te donne la pureté sont licites.
Il ne m’appartient pas de préciser lesquelles :
Garde le silence et suis le Pîr de l’amour ;
Lui seul est ton guide dans ce monde et dans l’autre.
Nous décelons chez Rûmi, comme chez Ruzbahân, le thème de l’élection, car l’Ami recherché s’y cache. La différence entre les deux est que Ruzbahân a été enlevé et Dieu s’est dévoilé à lui, tandis que Rûmi est totalement épris mais est toujours en epectase, en attente d’atteindre la cîme.
Cependant, l’importance de Rûmi pour notre thème de la Caverne est que chez lui la caverne ou la grotte n’est même plus un lieu spirituel, une demeure, une station, ou un topos dans la géographie céleste. Ce n’est même plus un état (hâl) comme chez Hallâj, mais c’est carrément l’Amour. On Le recherche et on Le retrouve dans l’Amour. Et probablement l’Amour ici est non pas le nôtre mais le Sien, qui englobe le monde entier comme une matrice d’où la connotation avec la caverne ou la grotte dont une des symboliques universelles est celle de la matrice.

f) Najmuddîn Dâya (m. 654/1256)

[47]
Bien que Persans et contemporains de Rûmi et de de Ruzbahân, Kubra et Daya en diffèrent. Ce sont des soufis d’un ordre établi, d’une tarîqa, au sein de laquelle l’accent est mis sur les visions lors des reclusions. Leur interprétation coranique sert de support non pas à leur expérience propre, mais aux règles ou au « manifeste » de leur tarîqa.
« Tiendras-tu » [9], une indication au Prophète, c’est-à dire : au cas où tu tiens les états des compagnons de la caverne et de l’épitaphe d’entre Nos signes, c’est-à dire entre les signes de Notre bonté envers le serviteur, pour un prodige, sache que dans ta communauté il existe ceux dont l’état est plus prodigieux que le leur, car il y a parmi eux les gens des réclusions, pour lesquels la caverne dans laquelle ils se retirent est la maison de reclusion et leur Raqîm c’est leurs cœurs qui sont marqués (marqûm) par la marque (raqm) de l’Amour, ce sont Mes amoureux et ceux que J’aime, et les tablettes de leurs cœurs sont marquées par les sciences divines (‘ulûm ladunniyya) [48].
C’est donc une apologie de la reclusion, règle centrale de la Kubrawiyya, mais aussi de la haute station des saints. N’empêche que là, nous avons une symbolique directe de la caverne : lieu de réclusion, mais aussi lieu de rencontre avec le divin (comme nous le verrons dans l’extrait suivant), retrouvant par là l’un des thèmes de la symbolique universelle.
Et si les gens de la caverne se sont réfugiés dans la caverne par peur de Diqyanus (Dèce), le fuyant, ceux-là sont entrés dans la caverne de la réclusion par désir ardent de Me rencontrer et en fuite vers Moi [49].
Et s’ils recherchaient en disant « Notre Seigneur, accorde-nous une miséricorde de Ton sein, ménage-nous de notre chef rectitude » d’être sauvés de la malveillance de Diqyanus et de sortir de la caverne sains et saufs, ce que demande cette communauté [les soufis, les reclus] c’est d’être sauvés du mal de leurs âmes et de sortir des ténèbres de la caverne de l’existence pour arriver à Ma Beauté et Ma Majesté [50].
Ici par contre nous retrouvons la caverne dans son sens négatif, comme la caverne de Platon.
« entrez dans la caverne » indique le refuge dans la réclusion et le fait de s’attacher à l’un des shaykhs qui conduisent à cette voie [51].
La caverne est donc mise en parallèle avec le lieu de reclusion et avec le shaykh, le guide spirituel, le chef de la tarîqa. Il est donc clair que le commentaire de Kubra et de Daya est adressé aux disciples de leur tarîqa ou à de futurs disciples [52].

g) Qashâni, ‘Abd al Razzâq (m. 730/ 1329), Tafsîr al Qur’an al Karîm :

Qashâni, l’un des principaux disciples d’Ibn ‘Arabi, se démarque des autres soufis dans le fait qu’il tend à être plus universel dans son interprétation : il ne projette pas son expérience personnelle ni ne fait-il preuve de prosélytisme pour une confrérie donnée.
Le pôle correspond au soleil, la caverne est l’intérieur (bâtin) du corps, al-Raqîm en est l’extérieur (zâhir), marqué par l’image des sens et des membres [53]
« Lors ces jeunes hommes se réfugièrent dans la caverne » veut dire la caverne du corps, en s’y attachant, alors ils dirent, par la locution provenant de l’état spirituel (lisân al hâl) : « Notre Seigneur, accorde-nous de Ton sein Miséricorde » [54].
« Et quand vous vous serez séparés d’eux » c’est-à dire quand vous vous serez séparés de vos âmes charnelles et de leurs puissances par dépouillement, « et de ce qu’ils adorent en dehors de Dieu » des passions et demandes des âmes ;« réfugiez-vous donc dans la caverne », le corps, pour utiliser les outils corporels en vue de la perfection dans les sciences et les actes [55].
Ou [« Et quand vous vous serez séparés d’eux » veut dire] si vous abandonnez votre peuple et ce qu’ils adorent outre Dieu, de leurs demandes diverses, leurs buts éparpillés, leurs passions variées et leurs idoles créées ; alors entrez dans les cavernes de vos corps, et abstenez-vous de la curiosité des mouvements, de la sortie à la suite des désirs, et arrêtez-vous sur les exercices spirituels, Dieu répandra sur vous de Sa miséricorde une augmentation en perfection, une force et une assistance provenant du Plérôme angélique (malakût), et un support [provenant du monde] sacro-saint. Il vous fera les vaincre, et vous préparera une religion et un chemin utiles, et une acceptation qui fera que vous serez des guides pour les créatures sauvées [56].
Il se rapproche de la symbolique universelle dans le fait qu’il pose les jalons pour l’ascension sprirituelle individuelle et la purification intérieure. Il ne parle pas pour exprimer l’amour mais pour produire un enseignement didactique, comme Kubra et Dâya, mais cette fois en dehors de toute organisation mystique ou religieuse. Et même s’il parle de pôle dans la première citation, il est clair que le chemin auquel il appelle est celui des exercices spirituels, de l’abstention et du dépouillement, sans l’assistance d’un guide, mais plutôt avec l’assistance divine donnée à tous les croyants qui suivent le chemin de Dieu. Qashâni dans son interprétation est bien loin du concept de l’éléction. La sainteté semble pour lui ouverte à tout homme et femme car elle ne demande qu’une volonté de purification intérieure et n’a besoin d’aucune assistance externe, ni lieu ni personne. Elle n’a besoin que de ce que tout le monde possède : un corps. Ainsi, pour Qashâni, le lieu sacré n’est plus la caverne mais le corps humain et les facultés de tout individu.

h) Mystiques non musulmans

Par son approche, Qashâni avoisine celle de saint Jean de la Croix (m. 1591), grand mystique chrétien espagnol, qui dans sa Vive Flamme d’Amour utilise le symbole de la caverne en relation avec les puissances. Il les appelle « les profondes cavernes du sens » et explique que ce sont les puissances de l’âme : la mémoire, l’entendement et la volonté, qui sont capables de reçevoir les plus grands biens, l’infini, une fois libérées de toutes les créatures. Car lorsque chacune de ces puissances est vide de tout créé, elle ressent une soif ardente de Dieu, une faim, et se fond dans l’attente [57].
Saint Jean de la Croix et Qashâni se rejoignent donc puisque, pour l’un comme pour l’autre, la caverne symbolise les facultés propres à tous les êtres humains, et parce que tous deux proposent une voie de purification intérieure accessible à quiconque a la volonté de suivre la voie du dépouillement.
Enfin, un dernier commentaire de la sourate est dans la ligne de pensée de Qashâni et de saint Jean de la Croix est le commentaire du psychanaliste mystique Carl Jung. Dans l’interprétation qu’il fait de la sourate la caverne, Jung représente la caverne comme un lieu de la renaissance, un espace clos où l’on est enfermé pour y être couvé et renouvelé. C’est initialement pour lui un lieu de transformation, et il rejoint par là la symbolique universelle. Cependant son approche est elle aussi universelle comme celle de Qashâni et de Jean de la Croix. Il dit : « Celui qui d’aventure pénètre dans cette caverne, c’est-à-dire dans la caverne que chacun porte en lui, ou dans cette obscurité qui se trouve derrière sa conscience, celui-là est entraîné dans un processus de transformation d’abord inconscient. Entrant dans l’inconscient, il établit un lien entre entre les contenus de celui-ci et sa conscience. Il peut en résulter une modification de sa personnalité, lourde de conséquences positives ou négatives. Souvent cette transformation est interprétée dans le sens d’une prolongation de la vie naturelle, ou d’une perspective d’accès à l’immortalité. » [58]
Jung ne symbolise donc pas la caverne par le corps ni par les puissances, mais par l’inconscient, qui lui aussi, selon les psychanalistes, est chose commune à tous les hommes.

CONCLUSION

Nous avons pu remarquer, dans les passages précédents, les différences entre les auteurs soufis, entre leurs goûts personnels, ainsi que la variété de leurs expériences et de leurs discours. Nous retrouvons cependant une homogénéité, que cela soit chez les auteurs soufis entre eux, ou bien entre les conceptions de ces auteurs et la symbolique humaine universelle. Il semble que tous perçoivent la caverne comme symbole de transformation, qu’elle soit lieu physique concret, lieu mental spirituel, ou lieu métaphorique. Et cette transformation peut être une initiation, une mort et une renaissance, une résurrection, un passage du fanā’ au baqā’, un passage de la souillure du monde vers la purification, un passage du monde qui fait peur à la protection divine, ou bien un passage de l’ignorance à la connaissance, de l’éloignement de Dieu vers la proximité, de l’obscurité à la lumière, ou bien finalement une transformation provoquée par l’amour.
N’empêche que l’on décèle une différence chez les mystiques ici étudiés dans leur relation à l’espace. Si chez Qushayri le lieu est important, nous remarquons que les autres montrent indirectement que ce n’est pas le lieu qui transforme la personne, qui la sanctifie, mais que c’est ou bien la personne elle-même qui se purifie, se sanctifie, sacralisant par là l’espace, ou bien, ce qui est plus dans la thématique soufie : c’est Dieu qui sanctifie la personne, en l’enlevant à elle même et la plaçant dans ce topos spirituel symbolique. Car en fin de compte, pour la pensée soufie, toutes les créatures, qu’elles soient humaines ou rocheuses (ou autres), n’existent que par Lui et ne dépendent ni d’elles-mêmes ni des autres, ni des lieux ni des temps, mais uniquement de Lui.

[1] Telle La Caverne des Anciens dont parle Llobsang Rampa ou la caverne du peuple vrai (les aborigènes d’Australie)…
[2] Guénon, « L’idée du centre dans les traditions antiques », in : Symboles de la science sacrée (Paris : Gallimard, 1962), p. 66.
[3] Chevalier et Gheerbrant, Dictionnaire des symboles (Laffont 1982), p. 182.
[4] Dictionnaire des symboles, p. 181.
[5] Guénon, « La caverne et le Labyrinthe », in : Symboles de la science sacrée, p. 194.
[6] Guénon, « La caverne et le Labyrinthe », p. 198-199 ; cf. aussi l’axe du monde chez Eliade.
[7] Dictionnaire des symboles, 180.
[8] Dictionnaire des symboles, 183.
[9] Guénon, « La caverne et le Labyrinthe », p.191-193 et Guénon, « Les mystères de la lettre nun », p. 157.
[10] Platon, La République (GF-Flammarion 1966).
[11] Guénon, « La caverne et l’œuf du monde », in : Symboles de la science sacrée , p. 213-214.
[12] Guénon, « La caverne et le Labyrinthe », p. 195.
[13] Bachelard, La terre et les rêveries du repos (Tunis 1996), p. 189.
[14] Dictionnaire des symboles, 180 ?
[15] Bachelard, 194.
[16] Lieu où quelque chose attend sa création.
[17] Chebel, Malek, Dictionnaire des symboles musulmans (Albin Michel 1995), p. 187-188.
[18] Hiqqi, Tafsîr Rûh al-Bayân. Al Matba’a al ‘Uthmâniyya, 1331 H. V, p. 218 [Isma’il Hiqqi al Barawsawi (1127/1715), exégète soufi turc de la tarîqa Khalwatiyya].
[19] Traduction de Jacques Berque.
[20] Ibn Kathîr (m. 774H/1373), Tafsir al Qur’an al ‘Azîm. III : 74.
[21] Dall’Oglio, Paolo, Speranza nell’Islam, Interpretazione della prospettiva escatologica di Coran XVIII (Italia : Marietti, 1991).
[22] Massignon (textes réunis par Y. Moubarac), Les « sept dormants » Apocalypse de de l’islam. Opera Minora III, (p. 104-180), p 113. cf Qashâni, « Un autre secret peut être compris de l’entrée dans la caverne, et c’est l’entrée du Mahdi dans la caverne (ghâr) lorsqu’il apparaît et que Jésus descend, et Dieu sait plus ». (Qashâni, 750).
[23] Massignon, “Les sept dormants d’Ephèse en Islam et en Chrétienté » (Recueil documentaire et iconographique réuni avec le concours d’Emile Dermenghem, Lounis Mahfoud, Dr Suheyl Unver, Nicolas de Witt) Revue des Etudes Islamiques, t. XXII (1954) (p. 59-112), p. 63.
[24] Massignon (textes réunis par Y. Moubarac), Les « sept dormants » Apocalypse de de l’islam. p. 111.
[25] Massignon (textes réunis par Y. Moubarac), « Le culte liturgique et populaire des VII dormants martys d’Ephèse (ahl al Kahf), trait d’union orient-occident entre l’islam et la chrétienté ». Opera Minora III, (p.119-180). p. 148
[26] Abu al Qâsim ‘Abd al Karîm ibn Hawâzin ibn ‘Abd al Malik ibn Talha al Qushayri, al Khurâsani al Nishâbûri al Shâfi’i (465H/1073), d’une famille originairement arabe qui s’est installée au Khurassan. C’est un exégète soufi, Ash’ari et Shafi’i. C’est aussi un juriste (Faqîh), un savant des principes, sources ou fondements de la religion (usûli), un traditionniste (muhaddith), un linguiste (nahwi, lughawi), un écrivain et poète (adîb) et un connaisseur du Coran (Hâfiz).
[27] Qushayri, Lata’if al Ishârat, vol. II (Le Caire 1981), p. 379.
[28] Al Husayn Ibn Mansûr al-Hallâj. (Sulami l’appelle tout simplement al Husayn). Soufi persan ivre d’amour, crucifié pour ses idées à Bagdad en 309/922. Les soufis eux-mêmes se disputent à propos de son cas : certains l’ont renié, et lui ont refusé l’appellation de soufi tandis que d’autres l’ont accepté en tant que savant vérificateur réalisé.
[29] Hallâj, Diwan. Koln, Al Kamel Verlag 1997 (en arabe), p. 32-33.
[30] Sulami, Abu ‘abd al Rahmân ibn al Husayn (ob. 412/1021), Haqa’iq al tafsir (Beyrouth : Dar al Kutub al ‘Ilmiyya, 2001). I : 402.
[31] Ibn ‘Atâ al Adami, Ahmad ibn Muhammad ibn Sahl Ibn ‘Atâ’ : parmi les shaykhs soufis les plus savants. Spécialisé dans le Coran, compagnon de Junayd, et muhaddith. Ob. 309/922 ou 311/924.
[32] Sulami, Haqâ’iq. I :402 et Nwuiya : « Ibn Atâ’ al Adami » dans Trois œuvres inédites de mystiques musulmans : Shaqiq al Balkhi, Ibn ‘Ata, Niffari (Beyrouth : Dar al Machreq, 1982), p. 79.
[33] Ibn ‘Arabi (m. 638/1240) conçoit la grotte comme l’aile, la protection (kanaf) de Dieu (Ibn Arabi Fut II : 487).
[34] Sulami, Haqâ’iq, I :274.
[35] Il s’agit probablement d’Abu al Fawâris Shah ibn Shuja’ al Kirmani : fils de roi, compagnon d’Abu Turâb al Nakhshabi, qui était un des proéminants fiyan et des savants de la futuwwa. (ob. avant 300/912)
[36] Sulami I : 275.
[37] Voir note 26.
[38] Qushayri, Latâ’if, II, 379.
[39] Qushayri, Latâ’if, II, 382.
[40] Qushayri, Latâ’if, II, 27.
[41] Ruzbahân Baqli al Shirâzi, ‘Ara’is al Bayan an Haqa’iq al Qur’an (Cawnpore 1301/1884).
[42] Ruzbahân, ‘Arâ’is, 574.
[43] Ruzbahân, ‘Arâ’is, 577.
[44] Ruzbahân, ‘Arâ’is, 577.
[45] Ruzbhân, ‘Arâ’is, 577-578.
[46] Mawlânâ Djalâl od-Dîn Rûmî, Odes Mystiques Dîvân-e Shams-e Tabrîzî (Seuil/UNESCO 1973), Ode 374, p. 227.
[47] disciple de Najmuddîn Kubra (m. 624/1226) fondateur de la tarîqa Kubrâwiyya, co-auteurs des Ta’wilât al Najmiyya.
[48] Hiqqi, Tafsîr Rûh al-Bayân (Al Matba’a al ‘Uthmâniyya 1331 H.) V, 220.
[49] Hiqqi V, 221.
[50] Hiqqi V, 221.
[51] Hiqqi V, 224.
[52] Notons que Kubra lui-même ne croyait pas au début de sa carrière au rôle du saint, jusqu’à ce qu’il vit en rêve qu’il était sauvé de l’enfer par un shaykh soufi, maître d’une tarîqa, C’est alors qu’il s’est dévoué à la « production » de saints, caractéristique centrale de sa tarîqa, ce qui fait qu’il attache tellement d’importance au rôle du maître sans l’intermédiaire duquel, selon lui et selon tous les soufis des confréries, l’homme ne peut atteindre le divin.
[53] Qashâni, Tafsir al Qur’an al Karim lil shaykh al akbar al ‘arif billah al ‘allama Muhyiddin Ibn ‘Arabi, ed. M. Ghaleb (Beyrouth 1401/1981), p. 744.
[54] Qashâni 747.
[55] Qashâni 750.
[56] Qashâni 750.
[57] Croix, Saint Jean de la, La vive Flamme d’amour (Seuil :points Sagesses, 1995), p. 92-95.
[58] Jung, L’Ame et le Soi (Albin Michel 1990), p. 41-42.

Source : http://www.gric.asso.fr/spip.php?article134

mardi 22 janvier 2008

Renaissance de l'Islam en Chine (suite)


Salam alaikoum ,

Le site d'où je tire cet interessant article est disponible à nouveau , ce qui me fait tres plaisir car depuis longtemps j'ai un grand interet pour la chine et son peuple , ce qui me permets de plublier sur mon blog la suite de l'article ...


(si vous êtes interessé par ce sujet , la Chine et ses liens avec l'Islam , utlisez la fonction recherche du blog en tapant "Chine" )

Jazakallah khayran


un article du Dr Moufid Al Zaidi


5. Caractéristiques de la culture islamique :
Certes, les nombreux régimes et les nombreuses dynasties qui se sont succédé au pouvoir en Chine ont réagi à l’islam différemment, mais la culture musulmane profondément ancrée dans l’histoire islamique, a conservé son authenticité et n’a guère fondu dans la culture chinoise. L’essence de la culture islamique étant la vénération du Très-Haut, une vision philosophique globale et une ligne de conduite furent maintenues malgré les aléas des différentes politiques religieuses.
Mieux, l’expansion de l’islam dans les différentes régions de Chine a donné naissance à des cultures distinguées comme celle de la communauté Wighor (dite de Chikjiang) ou celle de la communauté Hu’i qui, elle, se distingue des autres cultures par son attachement indéfectible à l’histoire et aux traditions musulmanes. Cette remarquable culture régionale ne se dissocie ni de la culture islamique ni de la culture chinoise millénaire. En effet, une relation d’échange interactif l’a toujours liée à la première comme à la seconde. Fidèle aux préceptes de l’islam, la culture Hu’i est restée vivante, et apporta à l’ancienne tradition chinoise une mentalité nouvelle qui s’inspirait des valeurs islamiques. C’est grâce à elle que la culture islamique de Chine se présente comme une culture distinguée, fruit d’une heureuse fusion entre l’universalisme de l’islam et le régionalisme de la culture chinoise plusieurs fois millénaire. En apparence compliquée, cette culture islamique s’est parfaitement enracinée dans le tuf de Chine autant sur le plan spirituel (rites et devoirs religieux) que sur le plan intellectuel (philosophie islamique). Les ouvrages qui traitent de la pensée islamique sont d’ailleurs pris comme référence par les chercheurs qui s’intéressent à l’islam en Chine.
Actuellement, la communauté musulmane Hu’i compte parmi les plus importantes de Chine. Entièrement musulmane, sa population dépasse les dix millions et se répartit sur plusieurs villes et départements : Ningxia, Canut, Yot Nan, Khanat, Jingxi, Shandong et Ithu, voire d’autres villes du sud-est asiatique.(1)
L’importante communauté musulmane Hu’i (troisième de Chine après Choa et Man) et la communauté Wighor font de Ningxia le département de la région le plus peuplé en musulmans. En effet, Ningxia se distingue par son cachet islamique : un grand nombre de mosquées, autant de minarets, des enseignes en langue arabe, des versets coraniques transcrits à l’entrée des maisons et des boutiques, etc… Ainsi, on a recensé à Ningxia six mille minarets et trois mille mosquées pour une population musulmane qui est de l’ordre de 10 % de la communauté musulmane de Chine, laquelle s’élève à vingt millions environ (recensement de 1998) sur une population totale de 1,3 milliards d’habitants. A noter que l’islam s’est implanté dans cette région sous la Dynastie Nang via le Nord-Ouest de la Chine. Le premier émissaire musulman à atteindre ce département fut un envoyé du calife Othmane Ibn Affane (que Dieu l’agrée) dans le but de faire connaître le message du prophète de l’islam. Le contact avec les musulmans ne s’est plus interrompu depuis et l’avancée de l’islam n’en fut que plus conséquente au fil du temps. C’est alors que plusieurs communautés chinoises ont fait profession d’islam telles les communautés Kazan, Kirghiz, Tadjik, Tatar, Uzbek, Igor, Hu’i, Sala et javanaise. Ningxia compte un nombre important de mosquées, la plus fameuse étant la Grande Mosquée (Tan Guan) qui fut construite il y a trois siècles sous la Dynastie Ming et dont l’imam actuel s’appelle Yunus Yao Kawi. Ningxia compte également un grand nombre de bibliothèques, de restaurants et de commerces islamiques.(1)
La ville de Titegh Chin est quant à elle riche de quelques dix neuf mosquées superbement construites sur un mode architectural islamique de grande facture. Dans cette ville, les jeunes musulmans planchent sur les sciences juridiques de tradition islamique et la langue arabe qui leur sert d’instrument nécessaire à la compréhension de la sharia, du Coran, de la tradition prophétique, de l’histoire de l’islam et du hadith.(2
Les différentes communautés musulmanes ont profité de l’ouverture de la Chine pour renforcer davantage l’action islamique. C’est ainsi que le nombre de mosquées a augmenté pour atteindre le nombre de neuf dans la seule ville de Shang, dont cinq furent édifiées récemment pour couvrir un besoin en lieux de prière. Les imams de mosquées assurent des services religieux au profit des musulmans à l’occasion de fêtes religieuses comme celles de la fin du mois de Ramadan, la fête du Sacrifice et la Naissance du Prophète ainsi que d’autres célébrations de tradition musulmane. Les jeunes de la communauté Hu’i se montrent particulièrement fervents dans l’accomplissement des rites et les célébrations des principales fêtes musulmanes afin de perpétuer l’héritage spirituel de leurs ancêtres. Cet attachement sera d’autant plus fort qu’ils contribueront avec persévérance à mémoriser le Saint Coran, à le commenter, à apprendre la langue arabe, les sciences islamiques, la lecture intégrale du Coran, l’apprentissage du hadith.(3)
6. L’œuvre islamique dans le domaine académique :
dans le cadre des efforts académiques et scientifiques consentis par un certain nombre de spécialistes dans des domaines aussi divers que la religion islamique, la langue et la littérature arabes, une «faculté de la langue arabe à l’université des études étrangères» a vu le jour en 1981 après avoir existé à l’état de simple département depuis 1958. Les points d’intérêt de cette faculté sont la langue, la calligraphie et la composition arabes, l’élocution et la diction, la civilisation et l’architecture du monde islamique. En outre, grâce aux programmes d’échanges, la faculté envoie et reçoit des missions universitaires, organise des séminaires et des conférences scientifiques portant sur les différents aspects de la civilisation arabo-islamique. Le corps enseignant de la faculté se compose de professeurs arabes et musulmans qui assurent aussi bien les cours du premier cycle que ceux du cycle supérieur. Par ailleurs, la faculté qui entretient des contacts avec les universités arabes publie des ouvrages scientifiques et méthodologiques ainsi que les traductions de livres arabo-islamiques traitant de l’histoire, de la pensée islamique et de la littérature arabe.(1)
C’est dans cette perspective que le Centre asiatique pour les études arabo-islamiques fut crée en 1987 en collaboration avec l’Organisation arabe pour l’Éducation, la Culture et les Sciences et l’Université des Études étrangères à Pékin dans le but de créer en Asie une solide structure pour enseigner la langue arabe et la culture islamique, développer les relations culturelles entre la Chine et les pays arabes, former les étudiants chinois dans les universités arabes, réaliser des recherches et des études islamiques, organiser des stages de formation tout au long de l’année académique au profit des étudiants chinois en particulier et asiatiques en général, former des enseignants spécialisés en langue arabe, former des chercheurs dans les domaines de la littérature et de la civilisation islamiques (en collaboration avec les instituts et les universités arabes) et organiser des conférences scientifiques autour des thèmes de l’enseignement de la langue et de la littérature arabes. Plusieurs manifestations ont eu lieu dans ce sens : la conférence arabo-chinoise organisée en 1998 à Khartoum, la première conférence scientifique sur l’état de la langue arabe (en dehors des pays arabophones), tenue en 1991 à Pékin(2), les semaines culturelles arabo-chinoises et la conférence sur les relations arabo-chinoises au XXIème siècle, tenue à Pékin vers la fin de 1999, en collaboration avec la Ligue des États arabes, conférence qui a connu la participation d’intellectuels et de professeurs universitaires arabes et chinois pour examiner les moyens de promouvoir les relations politiques, économiques et culturelles entre la Chine et le monde arabe au titre du nouveau millénaire.(1)
Dans cette même perspective, plusieurs projets sino-islamiques ont été réalisés avec le soutien de diverses institutions, citons-en à titre d’exemple : le Centre d’études arabes et islamiques créé au sein de l’Université des études étrangères à Pékin avec le soutien des Émirats Arabes Unis, l’édition de lexiques au profit de l’Association sino-islamique, la construction d’un foyer d’étudiants à l’Institut des sciences islamiques d’Oro Machi, département de Xinjiang.(2)

Épître du soufisme (4)

Épître du soufisme (4)
Mon fils,
Médite par ta raison et ton cœur cette invocation que l’un des gnostiques parmi nos Sheikhs adressa à son Seigneur :
« Seigneur, si je Te demandais l’ici-bas j’aurais recherché autre chose que Toi. Si je te demandais des assurances pour ce que Tu vas m’octroyer, je T’aurais alors accusé. Et si mon cœur trouvait sa paix auprès d’autre que Toi, je serais alors tombé
dans l’associationnisme ! Tes Attributs sont éternels alors comment puis-je être avec Toi ? Ton essence est exempte de tout défaut (`ilal), comment mon essence peut-elle atteindre Ta Proximité ? Tu n’as point de rivaux, comment songerais-je à compter sur autre que Toi ? »
Ces mots sonnent comme un écho venu de l’Esprit Saint. C’est comme si le Sheikh les avait empruntés aux hymnes des anges porteurs du Trône et ceux qui l’entourrent ou bien aux glorifications des âmes errant dans l’horizon de l’Assemblée Suprême. Ce sont des mots qui portent le parfum de notre maître le Messager d’Allâh — paix et bénédictions sur lui —, un rayon de lumière puisé dans l’Arbre de l’Aboutissement (Sidrat Al-Muntahâ) 1, une réverbération de la Vérité (haqîqah) et de la Législation (sharî`ah).
Le tasawwuf est, pour nous, la science de la compréhension de la gnose. Il consiste en la pratique perfectionnée de l’Islam, la réalisation de la foi et la confirmation de la bienfaisance. C’est pourquoi il s’agit d’une discipline obligatoire. Mais elle ne peut s’acquérir par la simple lecture. Cela apparaît de façon manifeste chez ceux qui étudient le tasawwuf de manière théorique, sans pour autant le mettre en pratique ! Il se peut même qu’ils jouissent des titres les plus élevés, mais ils sont, selon l’expression même de mon père, des « véhicules humains » ou les « coursiers de la connaissance ». Mais l’essence du soufisme consiste à dévoiler les secrets de l’univers, pour s’exposer aux lumières des soleils des vérités. Il est donc indispensable, en sus de la science, d’endurer et de pratiquer assidûment.
Le tasawwuf, c’est la crainte révérentielle de Dieu. Le tasawwuf, c’est la purification du cœur. Ces deux degrés constituent un rang qui allie crainte et espérance, élève le credo, raffine l’éthique et réalise pleinement l’humanité de l’être humain. Il n’est pas un verset du Coran qui ne fasse pas le lien entre la vie ici-bas et dans l’au-delà, et ne fasse de la première un moyen pour atteindre la seconde, en y accédant par la porte de la piété et en empruntant le chemin de la purification de soi.
Allâh n’a-t-il pas dit : « Réussit, certes, celui qui se purifie » 2 et « A réussi, certes, celui qui la purifie » 3 . La purification n’est-elle pas au cœur même des messages divins : « [et pour] leur enseigner le Livre et la Sagesse, et les purifier » 4
Certes, le tasawwuf est une noble éthique (Adab), car, en réalité, le credo est fait de nobles manières, la dévotion est faite de nobles manières et le rapport à autrui est fait de nobles manières.
À ce stade, le serviteur devient « seigneurial », par le savoir, l’étude et la pratique : « […] mais au contraire, devenez des savants, obéissant au Seigneur, puisque vous enseignez le Livre et vous l’étudiez » ”. 5
Traduit de l’arabe de l’épître de Sheikh Muhammad Zakî Ibrâhîm, Al-Khitâb, sixième édition, 2000.

Notes :

1 Sidrat Al-Muntahâ désigne un arbre merveilleux situé au-dessus des sept cieux, que le Prophète — paix et bénédictions sur lui — atteignit au terme de son ascension miraculeuse (Al-Mi`râj). Différentes traductions françaises rendent son nom dont l’Arbre de l’Aboutissement, le jujubier de la limite extrême, ou encore le lotus de la limite extrême. NdT.
2 Sourate 87, Al-A`lâ, Le Très-Haut, verset 14.
3 Sourate 91, Ash-Shams, Le Soleil, verset 9.
4 Sourate 2, Al-Baqarah, La Génisse, verset 129.
5 Sourate 3, Âl `Imrân, La Famille d’Amran, verset 79.

Source : www.islamophile.org ( n'hesitez pas à visiter le site)