vendredi 11 décembre 2009

Ash-Shaykh Abul 'Abbas al-Mursi


Ash-Shaykh Abul 'Abbas al-Mursi (616 h/ 1219-686 h/ 1287)

Son nom complet est Shihab al-Din Ahmad ibn 'Umar ibn 'Ali al-Khazraji al-Balansi, dont la noble lignée remonte au grand Compagnon Sa'ad ibn 'Ubada al-'Ansari. Il était connu sous l'épithète « Abu'l 'Abbas » et par le surnom « al-Mursi » d'après le lieu de sa naissance, Murcie. Son grand-père était Qays ibn Sa'ad, le chef de l'Égypte avant notre maître l'iman 'Ali ibn Abi Talib en l'an 36 de l'Hégire.

Notre maître Abu'l 'Abbas al-Mursi naquit dans la ville de Murcie, en Andalousie, en 616 de l'ère islamique (1219). Son père, qui y travaillait, le plaça auprès d'un professeur afin d'étudier le Glorieux Coran et d'apprendre les commandements de la religion. Abu'l 'Abbas al-Mursi mémorisa le Coran dans son intégralité en une année, et continua à étudier les principes de la jurisprudence, de la lecture et de l'écriture.

Son père était un commerçant de Murcie, et Abu'l 'Abbas al-Mursi avait l'habitude de participer, à ses cotés, à ses affaires. L'argent qu'Abu'l 'Abbas al-Mursi y gagnait était destiné aux pauvres, aux indigents et aux voyageurs. Les bénéfices de son commerce lui suffisait pour vivre comme il l'entendait.

Il employait son cœur au souvenir d'Allah et procédait ainsi jour après jour, étape après étape, sur le chemin de la vérité et de la réalisation.

Abu'l 'Abbas al-Mursi était connu comme quelqu'un de véridique et de digne de confiance, quelqu'un de décent et d'une totale intégrité dans son commerce. Si les bénéfices de ses affaires étaient de cent mille, il donnait cent mille par charité. Il était un exemple pour les autres commerçants de son temps en termes d'éthique, ainsi que pour les belles manières requises par la religion. Il était également un exemple pour la jeunesse en respectant scrupuleusement les piliers et les droits d'Allah . Il jeûnait plusieurs jours par mois, observait des veillées de prières pendant une partie de la nuit et tenait sa langue loin de la vacuité et des ragots.

En l'an 640 de l'ère islamique (1242) son père se résolu d'entreprendre le pèlerinage à la Maison d'Allah. Aussi l'accompagna-t-il avec son frère, 'Abullah Jalal ad-Din ainsi que leur mère, Sayyida Fatima, fille du Shaykh 'Abd ar-Rahman al-Maliki. Il voyagèrent par mer depuis l'Algérie, jusqu'à atteindre les rivages de la Tunisie lorsqu'une violente tempête s'abattit sur eux. Tous les passagers périrent noyés à l'exception de quelques uns d'entre eux, par la grâce d'Allah . Abu'l 'Abbas al-Mursi et son frère, qui furent sauvés par Allah, le Très-Haut, poursuivirent alors leur route vers la Tunisie où ils décidèrent de prendre résidence.

Abu'l 'Abbas al-Mursi reçu l'initiation des mains de son professeur, le célèbre guide spirituel Abu'l Hassan ash-Shadhili (raa). Abu'l 'Abbas al-Mursi le rencontra en Tunisie en l'an 640 de l'Hégire et auprès de lui, il fut nourri par tout le savoir de son temps portant sur la jurisprudence, l'exégèse coranique, la science du hadith, la logique et la philosophie. Pour lui, les saisons passèrent sur son cheminement spirituel, jusqu'à ce qu'il eut atteint la maîtrise de ces sciences.

L'imam Abu'l 'Abbas al-Mursi a dit : « Quand je suis arrivé en Tunisie, je venais de Murcie, en Andalousie. J'étais alors un jeune homme à cette époque. J'entendis parler du shaykh Abu'l Hassan ash-Shadhili lorsqu'un homme m'invita à le visiter. Je lui répondit vouloir, au préalable, demander guidance auprès d'Allah [à ce sujet]. Cette nuit-là, je m'endormis et me vis en rêve gravissant une montagne. Lorsque j'en eus atteint le sommet, je vis un homme dans un manteau vert ; il était assis, un homme se tenant à sa droite, un autre à sa gauche. Il me regarda et dit : « Tu as trouvé le pôle du temps ». Quand je me réveillais, à l'heure de la prière de l'aube, le même homme qui m'invitât à visiter le Shaykh vint à moi une fois encore. Aussi, je partis avec lui et entrais en présence du Shaykh, en remarquant la même assemblée que j'avais vu au sommet de la montagne. J'en fus très étonné. Le Shaykh Abu'l Hassan ash-Shadhili dit: « Tu as trouvé le pôle de ton temps. Quel est ton nom ? ». Je l'informais alors de mon nom ainsi que de ma lignée. Il dit alors : « Il y a dix ans déjà que je t'ai élevé jusqu'à moi ». À compter de ce jour, il ne cessa pas d'accompagner le Shaykh Abu'l Hassan ash-Shadhili et voyagea avec lui jusqu'en Égypte.

Abu'l Hassan ash-Shadhili remarqua qu'Abu'l 'Abbas al-Mursi avait un esprit pur ainsi qu'une belle âme avide de se rapprocher de son Seigneur. Il lui fit de nombreux dons et prit soin personnellement de consolider sa spiritualité, car il allait devenir Pôle après lui. Il dit : « Ô Abu'l 'Abbas, je jure par Allah que tu ne m'as pas accompagné jusqu'à ce que je sois devenu toi et toi devenu moi. Ô Abu'l 'Abbas, tu as ce que les hommes d'Allah ont, mais les hommes d'Allah ne possèdent pas ce que tu as ».

Parmi les récits qui nous sont parvenus sur les propos du Shaykh Abu'l Hassan ash-Shadhili, de ceux qui se transmettent dans les cercles spirituels, il en est un qui rapporte que « Depuis qu'Abu'l 'Abbas al-Mursi a atteint Allah, il n'a jamais plus été voilé, quand bien même chercherait-il un voile qu'il ne pourrait le trouver. Abu'l 'Abbas connaît mieux les sentiers des cieux que ceux de la Terre.

Il est attesté qu'Abu'l 'Abbas al-Mursi accompagna le Shaykh Abu'l Hassan ash-Shadhili et devint le guide de la Tariqa après lui. Avant cela, Abu'l 'Abbas se maria avec l'une des filles du Shaykh ash-Shadhili, qui donna naissance à ses enfants, au nombre desquels Muhammad et Ahmad. Une de ses filles épousa le Shaykh Yaqut al-Arashi qui était un des élèves de son père dans la connaissance et la spiritualité.

En l'an 624 de l'Hégire (1244), le Shaykh ash-Shadhili (raa) vit le Prophète Muhammad () dans son sommeil, qui lui ordonnait de se rendre en Égypte. Aussitôt, il quitta la Tunisie accompagné d'Abu'l 'Abbas al-Mursi, de son frère et de son serviteur Abu al-'Azayim. Ils prirent la route pour Alexandrie sous la protection du roi al-Salih Najmuddin Ayyub.

Abu'l 'Abbas al-Mursi (raa) raconte : « J'étais avec le Shaykh Abu'l Hassan ash-Shadhili en route pour Alexandrie, depuis la Tunisie, lorsqu'une terrible contrition me saisit. J'en fus affaibli au point de ne plus pouvoir en supporter le fardeau et d'en informer le Shaykh Abu'l Hassan. Quand il sentit ma présence, il dit : « Ô Ahmad ? ». Je répondis « Oui, mon maître ». Il me dit : « Allah créa Adam de Ses propres mains, fit se prosterner les anges devant lui, fit du Paradis sa demeure puis l'envoya sur la Terre. Avant même qu'il ne soit créé, Allah dit « Je placerai un Khalife sur la Terre », Il n'a pas dit « dans le Ciel » non plus que « dans le Paradis ». La descente d'Adam (sur lui la Paix) sur Terre était une descente honorifique, non pas déshonorante. Il avait l'habitude d'adorer Allah en vertu d'une connaissance empirique. Quand il fut envoyé sur Terre, il se mit à adorer Allah par responsabilité. C'est seulement après être passé par ces deux formes successives d'adoration qu'un être peut devenir Khalife. En toi réside une part d'Adam. Tes débuts se sont accomplis dans le royaume des âmes, au Paradis, par empirisme. Alors, tu es descendu dans le monde de l'âme et de l'adoration par la responsabilité. C'est seulement ainsi, après être passé par ces étapes qu'il t'est possible de devenir un Khalife ».

Abu'l 'Abbas al-Mursi (raa) dit : « Dès que le Shaykh eut fini cette explication, Allah dilatât ma poitrine et aussitôt, ce sentiment de contrition et de mal-être intérieurs disparurent ».

Abu'l 'Abbas al-Mursi raconte : « Quand nous arrivâmes à Alexandrie, nous nous rendîmes à 'Amud al-Sawari. Nous étions dans le besoin et avions extrêmement faim. Un homme de foi d'Alexandrie vint à nous avec de la nourriture. Lorsque le Shaykh en fût informé, il nous dit : « Que personne ne mange de cette nourriture ! ». Nous avons alors passé la nuit comme nous étions arrivés, affamés. Le matin arriva et le Shaykh nous dirigea lors de la prière de l'aube. Puis, il nous ordonna d'apporter la nourriture. Nous la lui avons présenté et en avons mangé. Le Shaykh dit alors : « J'ai entendu une voix, dans mon rêve, qui disait que l'objet le plus recevable est celui auquel vous ne vous attendez pas, et que vous n'aviez jamais demandé ni à un homme, ni à une femme ».

« Nous nous sommes établis dans la province de Kowm al-Dakat. Pour les enseignements de la connaissance et les assemblées spirituelles, Abu'l Hassan ash-Shadhili choisit la célèbre mosquée nommée Masjid al-A'tarin, également connue comme la Mosquée de l'Ouest. Ces enseignements et assemblées étaient attendues aussi bien par un grand nombre des gens de l'élite d'Alexandrie, que par les gens ordinaires ».

Ce n'était pas un hasard si Alexandrie était, à cette époque, une ville renommée et un grand lieu d'apprentissage pour de nombreuses et importantes sciences. Ceci était notable de par le fait que d'illustres personnages y étaient bien avant qu'Abu'l Hassan ash-Shadhili et Abu'l 'Abbas al-Mursi y aient pris résidence. Parmi les personnes présentes aux leçons du Shaykh ash-Shadhili, on trouvait al-Tartawshi, Ibn al-Khattab al-Razi et Hafiz Abu Tahir al-Salafi. Salah al-Din al-Ayubi était toujours désireux de passer le mois de Ramadan à Alexandrie afin de pouvoir écouter les Traditions prophétiques par al-Hafiz Abu Tahir al-Salafi.

Abu'l 'Abbas al-Mursi poursuivit ses efforts auprès du Shaykh Abu'l Hassan ash-Shadhili, dans la consolidation de son savoir spirituel, et continua sur la Voie. Il ne le quitta pas un seul instant, jusqu'à ce que le Shaykh ash-Shadhili mourût. Abu'l 'Abbas al-Mursi passa 43 années de sa vie à Alexandrie, à y répandre la connaissance, à y purifier les âmes, à y renforcer ses élèves et à en faire des exemples en matière de piété et de dévotion. Beaucoup reçurent la Connaissance des mains d'Abu'l 'Abbas al-Mursi, des disciples comme des compagnons, tels que l'imam al-Busiri, Ibn 'Ata 'Illah Al-sakandari, Yaqut al-Arshi, Ibn al-Laban, 'Izz al-Din ibn 'Abd al-Am, Ibn Abu Shama et tant d'autres.

Il mourût (raa) le 23 du mois de Dhul Qa'ida en l'an 686 de l'ère islamique (1287) et fut enterré avec ses fils Muhammad et Ahmad, dans la province de « Ras al-Tin ».

Abu'l 'Abbas al-Mursi devint le guide de la Tariqa Shadhiliya après le décès d'Abu'l Hassan ash-Shadhili en l'an 656 de l'Hégire (1258). À cette époque, il était âgé de 40 ans et s'est efforcé à tenir haut la bannière du savoir et de la spiritualité jusqu'à sa mort. Après avoir passé 40 années à Alexandrie, l'éclat de la Voie Shadhilite s'étendit au-delà de l'horizon.


Les états de l'homme
selon Abu'l 'Abbas al-Mursi.


L'imam Abu'l 'Abbas al-Mursi (raa) divise les états de l'homme selon quatre catégories qui sont : l'Obéissance, la Désobéissance, la Louange et l'Acceptation.
En état d'Obéissance, l'on doit être reconnaissant envers Allah pour les Bénédictions dont Il nous fait la grâce. C'est Allah Lui-même Qui nous y conduit et Qui nous y installe.
En état de Désobéissance, il nous faut rechercher Son Pardon.
En état de Louange, il nous faut montrer notre gratitude en rejoignant Allah avec le cœur.
En état d'Acceptation, nous devons être satisfait du décret d'Allah et nous montrer patient.

La plus grande invocation

L'imam Abu'l 'Abbas al-Mursi (raa) avait coutume de recommander à autrui d'invoquer Allah. Il conseillait à ses compagnons de faire du Nom « Allah » leur invocation car c'est le Nom du Maître des Univers. Par Lui procèdent l'élévation et le profit. L'élévation est Connaissance et le profit est Lumière. La lumière n'est pas un but en elle-même, ce n'est qu'une aide et un dévoilement. Tous les Noms d'Allah peuvent être attribués à la création à l'exception du Nom « Allah » Lui-même. Par exemple, quand on L'appelle au travers de l'expression « Ô Patient » (Halim), on s'adresse à Lui au travers du Nom « Le Patient ». Il est Lui « Le Patient », Son serviteur étant alors « patient ». Si on l'appelle « Ô Noble », on s'adresse à Lui par le Nom « Le Noble ». Il est Lui « Le Noble », son serviteur étant, quant à lui, « noble ». Il en va de même pour tous les autres Noms d'Allah, à l'exception du Nom « Allah » Lui-même, qui ne peut être attribué qu'à Lui Seul. Car, tel quel, il qualifie le divin et ne peut donc pas être attribué à la création.


Extraits du discours
de notre noble maître Abu'l 'Abbas al-Mursi.


Les Prophètes (sur eux la Paix) sont des présents pour leur nation ; notre Prophète () est un don. La différence entre un présent et un don réside dans le fait qu'un présent est destiné au nécessiteux alors qu'un don est destiné à des amoureux. Le Messager d'Allah () a dit : « Je suis un don de miséricorde ».
Il (raa) commenta la parole prophétique de notre maître le Messager d'Allah (), « Sans aucune forfanterie, je suis le maître des enfants d'Adam », en ces termes : Il ne se vantait pas de sa seigneurie vis-à-vis des humains, mais il se vantait de son état de servitude à Allah, sobhanahu wa tâala.
L'existence toute entière est servitude et nous sommes tous serviteurs en Sa présence.
Je jure par Allah que je ne m'asseyais pas avec les gens car ils pillaient ce que j'avais. Quelqu'un me dit un jour, « si tu ne t'assieds pas avec eux, afin qu'ils puissent prendre de toi, alors nous ne nous accorderons pas à ton sujet ».
Durant 40 ans, le Messager d'Allah () n'a jamais été voilé à moi ne serait-ce que le temps d'un clignement d'œil. Si le messager de Dieu () m'avait été voilé, je ne me considérerai plus comme faisant partie de la Nation musulmane.
Le Discernement est de deux types : mineur et majeur. Le Discernement mineur concerne la banalisation pour ce groupe, du fait qu'une simple âme saisisse que la Terre puisse être pliée pour eux depuis l'Est jusqu'à l'Ouest. Le Discernement majeur concerne celui des particularités de l'âme.


Traduit par Al fûqaraa l'équipe du site Soufisme-fr.com.

www.marifah.net

jeudi 19 novembre 2009

Le mérite des 10 premiers jours de Dhul Hijjah

Le mérite des 10 premiers jours de Dhul Hijjah

Shaykh Faraz Rabbani

Les 10 premiers jours de Dhu’l Hijjah sont des jours bénis : Dieu lui-même a juré par eux dans le Qur’an:

“Par l’Aube!
Et par les dix nuits!”
[Qur’an, Surat al-Fajr, 89.1-2]

Les commentateurs sont généralement d’accord que le terme « les dix nuits » se réfère aux dix premiers jours de Dhu’l Hijjah, Comme on peut le trouver dans le livre du Shaykh al-Islam Abu Su`ud, Irshad al-`Aql al-Salim ila Mazaya al-Qur’an al-Karim [Le célèbre Tafsir Abi al-Su`ud, 9.153] ou dans Tafsir al-Jalalayn .

L’Imam Ahmad et Nasa’i rapportent de la Mêre des Croyants, Sayyida Hafsa que :
« Le Messager de Dieu n’a jamais délaisser 4 choses : Jeûner le jour d'Achoura [10 du mois de Muharram], [durant] les dix jours [de Dhu’l Hijja], et trois jours par mois. »
Rapporté par l'imam Ahmad, Abû Dâwûd et An-Nasâ'î.

1. Jeûner les neuf premiers jours, plus spécialement le jour de ‘Arafah (9ième)

Les savants sont d’accord qu’il est recommander de jeûner durant les neuf premiers jours de Dhu’l Hijja. (Le dixième jour est le jour de l’Aïd, et il n'est où permis de jeûner ce jour.) Kashshaf al-Qina`[/I]; Nawawi,Majmu`; Fatawa Hindiyya; Haskafi, Durr al-Mukhtar; Dardir,al-Sharh al-Saghir]

De ces jours, il est plus particulièrement recommandé de jeûner le Jour de ‘Arafah [9ième de Dhu’l Hijjah], même pour celui qui accomplit le Hajj dans l’école Hanafite, si cela n'affaiblit pas le pèlerin pendant son devoir et ses adorations. [Haskafi, Durr;Kasani, Bada’i`]

Quant aux hadiths dans lesquels le Prophète commande de ne pas jeûner le Jour de ‘Arafah au pèlerin, les imams Hanafites ont compris que cela se rapportait à ceux qui seraient affaiblis ou fatigués. [Explication de l’Imam Tahawi dans Sharh Ma`ani al-Athar, 2.82-83]

Ceci en se basant sur les nombreux hadiths qui font l'éloge de ce jour en particulier et du fait de le jeûner. Parmi ces hadiths nous trouvons:

Abu Qatada, rapporte que le Messager d’Allah à dit :

« Jeûner le Jour de ‘Arafah [9ième de Dhu’l Hijja] efface les péchés de deux ans, de l'année écoulée et ceux de l'année à venir. Et jeûner le Jour de ‘Ashura [10ième du mois de Muharram] efface les péchés de l’année écoulée »

Rapporté par Muslim, Abu Dawud, Nasa’i, and Ibn Majah

2. Faire des efforts dans les actes d'adoration durant ces dix jours.

Il est aussi recommandé d’occuper ces jours par les actes d’adorations. Citons l'Imam Sharaf Al-Din Al-Hijjawi le grand faqih Hanbali, dans son Al-Iqna`, :

« Il est recommandé de s’efforcé a faire de bonnes actions pendant les dix premiers jours de Dhu'l Hijjah, tel que le souvenir d'Allah (dhikr), le jeûne, faire l’aumône, et d'autres bonnes actions, parce qu'ils sont les meilleurs des jours. » [Kashshaf Al-Qina` de Buhuti, 2.60]

Ceci est confirmé par les savants des 4 madhabs Sunnites. al-Bahr al-Ra’iq; Haskafi/Ibn Abidin, Radd al-Muhtar `ala al-Durr al-Mukhtar; Nawawi, al-Majmu` et d’autres

Plusieurs savants ont déclaré que la période de ces dix jours est meilleure que les dix derniers jours de Ramadan, en raison de la force des sources textuelles qui y sont liés.

3. Passer les nuits de ces jours en prière et en adoration.

Il est particulièrement recommandé de passer une certaine partie de chacune des nuits de ces dix jours dans la prière et l’adoration.

[Nawawi, Majmu`; Ibn Qudama, Mughni; Dardir, al-Sharh al-Saghir; Ibn Nujaym, al-Bahr al-Ra’iq;al-Fatawa al-Hindiyya; Ibn Abidin/Haskafi, Radd al-Muhtar `ala al-Durr al-Mukhtar]

Ceci a été déduit par des traditions claires, tels que les mots du Prophète (saws)

" Il n'y a pas 'œuvres meilleures que celles faites en ces 10 jours. » Les Compagnons dirent : « Même pas le Jihâd ? » Il dit : « Même pas le Jihâd, sauf un homme qui sortirait risquant sa vie et ses biens et qui ne reviendrait avec rien (c'est à dire qu'il y perdrait sa vie et sa fortune). »

Rapporté par Al-Bukhârî et d’autres

Puisse Dieu nous donner le succès dans ces jours et ces nuits bénis, et dans chaque moment de nos vies, pour suivre le chemin de son prophète (saws) , et puisse t’Il faire de nous ceux qu'Il aime et qui L'aiment.

Wa alaikum assalam

Faraz Rabbani

http://qa.sunnipath.com/issue_view.asp?HD=1&ID=751&CATE=105 (http://qa.sunnipath.com/issue_view.asp?HD=1&ID=751&CATE=105)

mercredi 18 novembre 2009

Un soufi réformiste, le shaykh Muhammad Hasanayn Makhlûf (1861-1936) Imposteurs et faux-soufis (6sur8)


Imposteurs et faux-soufis

Très tôt dans l'histoire du soufisme, une nette distinction s'est faite entre le soufi qui aspire à une vraie spiritualité et celui qui prétend être soufi mais qui n'est en réalité qu'un dangereux imposteur. Entre la fin de l'époque mamelouke et le début de l'époque ottomane, la polémique était vive autour de ces personnages : « Le passé renvoyant toujours à « l'originel », on ne s'étonnera donc pas que les maîtres du tasawwuf de toutes les époques décrivent et attaquent dans des termes similaires les pseudo-soufis qui pervertissent le tarîq... Qualifiés de mudda'un (imposteurs), de dukhalâ' (intrus), ils appartiennent au monde rural et sont accusés de vouloir connaître Dieu sans même connaître le Coran ; ils initient des disciples sans avoir eux-mêmes suivi le cheminement initiatique. Enfin, ils sont animés par l'amour du pouvoir et des biens matériels et abusent de la crédulité et de l'ignorance du peuple » (Geoffroy, 1995 : 176). Au XXe siècle, les attaques répétées des shaykh-s réformistes comme des laïcs contre certains aspects du soufisme intensifient la polémique autour des confréries populaires. Les soufis lettrés accusent de tous les maux les confréries comme l'Ahmadiyya et la Burhamiyyâ qui puisent dans le creuset des populations rurales du Delta. Toutes leurs critiques sont concentrées dans l'épître Al-Qawl al-wathîq.


L'auteur fait la distinction entre les membres de ces confréries (arbâb al-turuq) et les vrais soufis (al-sûfiyya, ahl al-tarîq), turuq (pluriel de tarîqa) étant devenu un terme péjoratif traduisant le sectarisme qui règne au sein des confréries. M. H. Makhlûf débute son épître en rappelant que toute personne qui se rend coupable d'innovation (bid'a, muhdatha) en matière religieuse et s'écarte de ce qui est prescrit par le Coran et la Tradition du Prophète ne fait plus partie de la communauté des musulmans. Il mentionne le hadîth qui exhorte le musulman à combattre, suivant ses moyens, tout acte illicite dont il est témoin. Ce devoir incombe avant tout à ceux qui possèdent l'autorité religieuse, c'est-à-dire les 'ulamâ', gardiens de la loi divine et guides de leur communauté. Selon une vision de l'histoire largement répandue chez les 'ulamâ', M. H. Makhlûf souligne que ces pratiques non islamiques ont été introduites au sein des confréries égyptiennes par des éléments étrangers qui, sous l'apparence de soufis, ont occupé les khânqâ-s à la fin du IVe siècle de l'hégire (Makhlûf, 1926 : 5). Il vise, sans les nommer, les soufis d'origine turco-persane. À l'époque médiévale, ces derniers sont qualifiés par les soufis égyptiens de déviants, dans leur comportement, leur aspect physique, par les emblèmes déployés (bannières, tapis, cannes) dont certains seront repris par les confréries égyptiennes (Geoffroy, 1995 : 254). Leur influence, qui s'amplifie à l'époque ottomane, explique, selon M. H. Makhlûf, le développement d'un soufisme populaire en Egypte. Il souligne que ces pratiques auraient pu rester limitées à ces groupes si les grands 'ulamâ' avaient tenu leur rôle de guides et ne s'étaient pas coupés des musulmans. Ces derniers se sont tournés vers les confréries et les bid'a se sont répandues au sein de la 'âmma, le commun des croyants. L'auteur reprend ici les critiques formulées avant lui par des soufis lettrés comme Sha'rânî : celui-ci reprochait aux ulamâ' leur détachement à l'égard des problèmes de leur société et leur soumission, par intérêt et vénalité, au pouvoir ottoman. Il reconnaissait en revanche que les shaykh-s de zâwiya remplissaient un rôle vital dans la société (Garcin, 1969 ; Winter, 1982).

Après avoir présenté les facteurs historiques qui expliquent selon lui la décadence du soufisme et donc, de l'islam en général, M. H. Makhlûf choisit de répondre aux questions qui lui ont été posées par des 'ulamâ'. Elles concernent d'abord le dhikr, pratique spirituelle par excellence des soufis qui consiste à mentionner Dieu par ses différents Noms, individuellement ou collectivement, à voix haute ou basse et de manière répétitive. Plus que tout autre pratique soufie, le dhikr fut la cible des attaques des réformistes, car il est le rituel le plus spectaculaire. Les participants se tiennent debout, en rangées serrées et tournées vers leur shaykh, et rythment le dhikr par des mouvements de la tête et du haut du corps, d'avant en arrière ou de droite à gauche, les pieds posés à plat sur le sol. Au fur et à mesure que le rythme du dhikr s'accélère, les mouvements du corps deviennent plus rapides, le son des voix s'amplifie, certains disciples peuvent perdre le contrôle d'eux-mêmes, entrer en transe. Le dhikr est rythmé par la voix d'un munshid qui chante (inshâd) les louanges du Prophète, des membres de sa famille (ahl al-bayt) et des saints ; il est accompagné d'un orchestre composé d'une sorte de clarinette (mizmâr), d'une flûte, d'un tambourin (tabla) et parfois de castagnettes. Le dhikr en lui-même n'était pas attaqué mais c'est la manière dont il était pratiqué qui a soulevé la colère des réformistes. Pour R. Ridâ, il ne restait du dhikr que des bruits et des mouvements. Les soufis lettrés eux-mêmes ont condamné la façon dont le dhikr a été déformé. Ahmad Sharqâwî a consacré toute une épître aux techniques du dhikr, épître commentée par M. H. Makhlûf. Ce dernier précise dans Al-Qawl al-wathîq que le dhikr fait dans les règles est la plus importante des pratiques de la voie soufie et le moyen le plus efficace pour purifier son cœur et s'approcher de Dieu. Il cite les nombreux versets du Coran et les hadîth-s qui fondent cette pratique. Cependant il admet que le dhikr, tel qu'il est pratiqué à son époque, ressemble plus à de la danse et à la recherche de l'extase qu'à la concentration de l'esprit sur Dieu (Makhlûf, 1926 : 16). Il critique surtout la manière dont les pseudo-soufis déforment la prononciation des Noms divins (al-dhikr al-muharrafa) : il n'hésite pas à qualifier ces derniers, ainsi que ceux qui les écoutent, d'incroyants (kuffâr). Il reproche à ceux qui assistent au dhikr de s'y rendre comme à un spectacle et d'être plus sensibles à la voix du munshid qu'au contenu des récitations. De fait, il condamne l'utilisation d'instruments de musique pendant le dhikr, de même que l'habitude de battre des mains pour accompagner le chanteur.


En revanche, M. H. Makhlûf défend certains symboles soufis comme le port de l'habit rapiécé (khirqa). Son maître, Ahmad Sharqâwî déplorait que ces symboles fussent le plus souvent portés par des imposteurs : « Sache, écrivait-il, que le vêtement d'investiture (khirqa), la bannière ('alam al-rayâ) et la ceinture (hizâm) ne sont pas la finalité de la voie, la voie étant la lutte contre les inclinations mauvaises de l'âme (mujâhadât al-nafs) et l'attachement au Coran et à la Sunna » (Sharqâwî, 1889b : 145). Généralement, plus un soufi est lettré, moins il met en avant son appartenance à la confrérie en tant qu'organisation sociale. En revanche, les membres des confréries populaires affichent leur appartenance au groupe en arborant leurs couleurs, rouge pour l'Ahmadiyya, vert pour la Burhâmiyya et noir pour la Rifâ'iyya, et en défilant avec leurs bannières lors des processions.

L'auteur répond ensuite à une question relative à un point doctrinal qui fit et reste l'objet de violentes polémiques, celui de l'union à Dieu (ittihâd wa hulûl) (Makhlûf, 1926 : 19). Cette notion, imputée à Ibn Arabî et ses disciples, paraît heurter de front le dogme essentiel de l'unicité divine. La divinité ne peut pas s'incarner dans l'être, précise M. H. Makhlûf, et d'affirmer que « moi c'est Toi et Toi c'est moi » (Anâ anta wa anta anâ) est contraire à la loi divine. Il explique qu'al-Hallâj et Abî Yazîd al-Bistâmî ont été condamnés l'un à mort, l'autre à l'exil, pour avoir professé des propos similaires. Cependant, ajoute-t-il, il ne faut pas confondre le concept soufi d'unicité de l'être, wahdat al-wujûd, avec « l'incarnationnisme ». En cela, il reprend un débat ancien : la doctrine de la wahdat al-wujûd a été élaborée par Ibn 'Arabî (m. 1240). Consistant à s'approcher de Dieu afin de réaliser l'unité de l'Etre et de s'immerger dans l'amour et la contemplation (shuhûd) des réalités divines, elle fut l'objet de violentes attaques de la part des fuqahâ', qui l'assimilèrent à de « l'incarnationnisme », une croyance qui aurait été reprise aux chrétiens et aux extrémistes chiites (ghulât al-shî'a) par les soufis.


L'auteur aborde enfin les mawlid-s, fêtes religieuses populaires par excellence qui font l'objet elles aussi, depuis leur développement à l'époque mamelouke, de violentes critiques. Les mawlid commémorent annuellement le jour anniversaire du Prophète, des membres de sa famille et des saints. Les grands mawlid-s du Caire appartiennent au calendrier musulman. Ces festivités attirent surtout des ruraux, ce qui explique pourquoi elles sont perçues par leurs opposants comme des marques de la piété populaire et de l'arriération des campagnes. M. H. Makhlûf cite toutes les « innovations blâmables » qui ont lieu non seulement lors de ce type de manifestations mais aussi pendant les célébrations religieuses officielles. R. Ridâ écrivait à leurs propos : « Ces fêtes (autour des tombes) servent de points de rassemblement pour les hommes, femmes et enfants mélangés, comme les deux grandes nuits, celle de la fête du sacrifice et celle de la fin du ramadan, ou encore le premier vendredi du mois de rajab : on immole des bêtes, on y prépare des mets spéciaux. On mange, on boit, on pisse, on fiente, on bavarde, on braille ; tout cela pendant que le Coran est récité par des shaykh-s aveugles que l'on paie, sans parler de tout ce qui se passe de pire. À tel point que des actes licites comme la lecture du Coran ou les formes légales de dhikr deviennent répréhensibles dans ce contexte » (Ridâ, 1926/27 : 269-270)1.


Pour M. H. Makhlûf, les mawlid-s doivent être l'occasion de se remémorer les actes et les paroles des saints et des pieux, et d'en tirer des leçons (Makhlûf, 1926 : 22). Or, il considère que les gens vont surtout aux mawlid-s pour les plaisirs profanes qu'ils procurent. À l'instar de R. Ridâ, il déplore la mixité qui règne dans les lieux du mawlid et toutes les « innovations » que l'on peut y observer, notamment lors des processions (zaffa) de la Rifâ'iyya et de la Bayyûmiyya. Il condamne le défilé de bannières, l'utilisation d'encensoirs et d'instruments de musique, notamment les castagnettes : cet instrument est surtout associé en Egypte aux danseuses du ventre. Enfin il dénonce la vénération excessive portée aux shaykh-s et se moque de ceux qui avancent à dos de cheval, en tête de la procession de leur confrérie, coiffés d'un turban ridicule, affalés sur leur monture, comme s'ils étaient ivres, et de cette foule qui se presse autour d'eux pour recevoir leur baraka.

Notes:

1 R. Ridâ est cité par J. Jomier, (1954 : 254).

samedi 14 novembre 2009

La justice divine selon Al-Ghazali


La justice divine selon Al-Ghazali

Dr Alphousseyni Cissé
Université Cheikh Anta Diop de Dakar (Sénégal)



Al-Ghazali dit : « On peut penser que l'injustice c'est faire mal (à quelqu'un) tandis que la justice c'est procurer un bienfait aux gens. Or il n'en est pas ainsi. Au contraire si un roi ouvre (les portes) des armureries, des bibliothèques et des trésors et qu'il distribue ces derniers aux riches, donne les armes aux savants et met à leur disposition les citadelles donne les livres aux soldats et met à leur disposition les mosquées et les écoles, sans doute il a fait preuve de bonté toutefois il a mal fait et a dévié de (la voie) de l'équité dans la mesure où il a mis chaque chose à la place qui ne lui convenait pas. Tandis que s'il fait mal aux malades en leur donnant à boire des médicaments (amers) en leur appliquant des ventouses ainsi par force et qu'il punit les criminels par la peine capitale ou leur coupe la main ou bien les frappe du coup il s'est montré juste car il a mis les choses à la place qui leur convenait »(1).

Par conséquent le juste dit-il c'est celui qui est équitable (al-‘adil). Autrement dit c'est celui qui agit conformément à la raison et à la Loi divine selon lui. Car on ne peut connaître un homme juste que par son acte dit-il. Ainsi quiconque veut connaître Dieu en tant qu'être juste qu'il observe le royaume des cieux et de la terre dans leur ordre parfait ou plutôt qu'il considère son propre corps tout au moins pour se rendre compte de ses merveilles (‘aja'ib badanih) qui sont dérisoires par rapport à celles des cieux et de la terre dit l'auteur(2). En effet l'équité divine se traduit ainsi par le fait que Dieu a rangé chaque chose dans le macrocosme comme dans le microcosme tel que le corps humain dans l'ordre qui lui convenait dit Al-Ghazali sans quoi il y aurait imperfection et une exposition aux défauts.
Ainsi a-t-Il rangé la terre, dans le macrocosme au plus bas (asfala s-safilin) l'eau par-dessus l'air au-dessus de l'eau ensuite les cieux au-dessus de l'air à défaut de quoi leur ordonnancement serait vain selon lui.

Par conséquent la justice divine ne signifie pas seulement chez Al-Ghazali un règlement de différends entre les hommes tel que cela a été ordonné à David (que la paix soit sur lui) pour ainsi dire en ces termes : « ô David, Nous avons fait de toi un calife sur la terre. Juge donc en toute équité parmi les gens et ne suis pas la passion : sinon elle t'égarera du sentier d'Allah ». (Coran, s : 38, v : 26). Mais c'est surtout cette merveilleuse présence seigneuriale dans son équilibre (‘itidaliha) et son ordre parfait (intizamiha) qui permet de comprendre la justice de Dieu (le Très-Haut) pour quiconque réfléchit sur le royaume céleste et terrestre à l'instar d'Abraham (que la paix soit sur lui) d'après le Coran (cf. Coran, s :6, v :75). Du coup on se rend compte que Dieu est généreux (jawad). Et si l'on a du mal à comprendre cela dit l'auteur que l'on réfléchisse donc sur son propre corps comme nous l'avons déjà souligné. Mais cela est impossible pour quiconque est submergé par le désir de ce bas monde et soumis à la cupidité (al-hars) ou asservi par la passion (al-hawa) dit Al-Ghazali. Selon lui les noms divins qui dérivent des actes ne sauraient être compris que si l'on se fonde au préalable sur la connaissance ou la compréhension de ces actes eux-mêmes(3).

Par ailleurs la balance ne symbolise pas par hasard la justice si on se réfère à ce qu'en dit Al-Ghazali. En effet selon lui la balance est d'origine coranique donc spirituelle et rationnelle. Voici ce qu'il en dit : « Quiconque reçoit son enseignement du Messager d'Allah juge selon la balance divine, et quiconque s'en écarte et suit l'opinion (ar-ra'y) et l'analogie (al-qiyas ) est égaré et perdu (tarda) »(4). Certes Dieu dit à ce propos : premièrement : « et pesez avec la balance exacte » (Coran, s : 17, v : 35) ; deuxièmement : « Et Il a établi la balance afin que vous ne transgressiez pas dans la pesée donnez (toujours) le poids exact et ne faussez pas la pesée » (Coran, s : 55, v : 1-9) ; troisièmement : « Nous avons effectivement envoyé Nos messagers avec des preuves évidentes et fait descendre avec eux le Livre et la balance afin que les gens établissent la justice ». (Coran, s : 57, v : 25).

Cette balance sert à connaître Dieu (le Très-Haut), Ses anges, Ses livres, Ses messagers, Son royaume apparent et caché (malakutih) afin que du coup on connaisse la modalité de la pesée par l'intermédiaire des prophètes de même que ces derniers le savent par l'intermédiaire des anges. Tandis que Dieu est le Premier Maître, le deuxième étant Gabriel et le Messager (que Dieu le bénisse et le salue) étant le troisième maître. Toutes les créatures apprennent par l'intermédiaire des Messagers, elles n'ont pas d'autre voie en dehors de ces derniers(5).

Certes selon Al-Ghazali la balance divine fait découvrir les merveilles de l'univers et met fin aux propos du contradicteur ainsi que l'a fait Abraham (que la paix soit sur lui) face à Némrod(6). Autrement dit la balance est un critère de jugement rationnel et spirituel selon l'auteur ainsi que nous l'avons noté et un mode de connaissance des réalités divines. Elle nous fait comprendre l'unicité de Dieu (le Très-Haut)(7) à qui tout dans l'univers est soumis et gouverné par Sa puissance et Sa sagesse, par conséquent dit Al-Ghazali on ne doit injurier ni le temps (ad-dahr) ni rapporter les choses aux astres concernant sans doute leurs probables influences sur nos destins, ni nous opposer au décret divin comme on a l'habitude de le faire souligne t-il(8). Toutefois les planètes et les astres tels que le soleil et la lune influent sur les évènements qui sont adventés sur la terre selon Al-Ghazali. En effet l'alternance des quatre saisons est due aux mouvements du soleil qui évolue selon un calcul connaissable dit-il, à la base du Coran. Certes Dieu (le Très-Haut) a instauré les causes dans l'éternité de manière immuable de sorte que si on les connaît on peut prévoir leurs effets. C'est par exemple le cas de la prévision de l'éclipse du soleil dont la négation est rejetée par Al-Ghazali(9).

Or on peut dire que ces changements climatiques sur la terre qui sont ainsi dus à l'évolution du soleil ont des conséquences sur la vie de l'homme de manière évidente. Cependant ils n'influent pas sur son destin qui est déterminé dans l'éternité selon Al-Ghazali(10). En effet l'homme n'agit qu'en fonction de ce qui est déterminé pour lui dans l'éternité : s'il est destiné à être heureux il saisira les causes établies dans l'éternité concernant l'acquisition de la félicité, s'il est destiné à être malheureux il sera satisfait d'être paresseux et fainéant ce qui est une cause de son châtiment éternel ainsi que la piété et le libertinage sont des causes de la félicité et du châtiment éternel; de même que s'il prend le médicament il peut être guéri et s'il avale un poison il peut mourir.

Par conséquent la prédestination ainsi perçue par Al-Ghazali n'implique pas que l'homme n'a aucune part de responsabilité dans ses actes. Au contraire il est libre de choisir la voie qu'il veut même si celle-ci semble paradoxalement tracée dans l'éternité ; par ailleurs il affirme qu'il n'y a de salut que dans la liberté de penser(11) donc seul un paresseux et fainéant se posera la question de l'utilité ou de l'inutilité de l'action car il ne sait pas ce qui est prédestiné pour lui dans l'éternité. Par conséquent le souci (al-hamm) qui pousse à l'action est une faveur (fadl) pour l'homme de la part de Dieu (le Très-Haut) dit Al-Ghazali(12) car la recherche du paradis sans l'action est un péché puisque le bonheur ne s'obtient que par la connaissance et l'action et le manquement de sa recherche est stupidité (hamaqa)(13). Et c'est là que réside la justice divine car n'obtient la félicité que celui qui vient à Dieu avec un cœur sain or le salut du cœur est un attribut qui s'acquiert par l'effort (sifa tuktasab bis-sa‘y) de même que la jurisprudence et la fonction d'imamat sans aucune différence dit Al-Ghazali.

Par conséquent la vision négative que l'on peut avoir à l'égard de la prédestination est balayée parce que la liberté de l'homme est sauvée ainsi sans aucune véhémence comme l'affirment les Mu‘tazilites et les existentialistes. Car Dieu (le Très-Haut) est non seulement Juste mais Il est également Souverain. Il a établi des lois immuables dans le règne de l'univers et a permis à l'homme de les découvrir pour assurer son salut en s'appuyant sur la raison et la Loi divine cause pour laquelle Dieu l'a fait descendre sur la terre comme calife pour voir comment il va se conduire. En effet Al-Ghazali interprète le mot « mafatih l-ghayb » ou les clefs de l'inconnaissable, dans le Coran comme signifiant la connaissance des causes des réalités dans le monde apparent (‘alam ash-shahada) car ces causes comme nous l'avons dit sont établies par Dieu (le Très-Haut) dans l'éternité de même que toute chose déterminée existe nécessairement par décret divin dans l'éternité même si elle n'est pas nécessaire par soi souligne-t-il.
« Par conséquent en sachant tout cela, l'homme dans la quête de sa subsistance, en somme doit être apaisé dans son âme reposé dans son esprit, et nullement troublé dans son cœur.»(14).

Comme nous l'avons mentionné ailleurs(15) Al-Ghazali d'une manière caractéristique remarque que la part allotie à l'homme concernant ce nom divin à savoir le Juste (al-‘adl) consiste au fait que son premier devoir de justice envers lui-même est qu'il soumette la passion et la colère au contrôle de la raison et de la Loi divine dans le cas contraire il sera injuste envers lui-même. En ce qui concerne sa justice à l'égard de chacune des parties de son corps est qu'il l'utilise conformément à la Loi divine. Quant à sa justice à l'égard de sa famille ou ses proches ou ses subordonnés cela va de soi dit-il.
Au point de vue de la religion sa justice doit être traduite par la foi en Dieu dans sa totalité comme nous l'avons noté.

En conclusion la justice divine désigne avant tout la connaissance de l'unicité de Dieu (le Très-Haut) dans Sa toute puissance et Sa sagesse qui se manifestent dans la création de l'univers et son ordre parfait dans son ensemble selon Al-Ghazali. Certes l'homme ne saurait s'approprier une part de cela et s'y conformer qu'en s'appuyant sur la raison et la Loi divine nous dit-il(16).
Traduction :
Le sage est le législateur, l'arbitre et le juge incontestable (al-qadi l-musallam) dont le jugement est sans appel et le décret immuable. Le jugement divin concernant le droit des hommes est le fait que l'homme n'obtient que le fruit de ses efforts et qu'en vérité son effort lui sera présenté (Coran, s : 53, v : 39-40) et que les bons seront certes dans un (jardin) de délice et les libertins seront certes dans une fournaise (Coran, s : 82, v : 13-14). Le sens de Son jugement à l'égard du bon et du libertin relativement à la félicité et au châtiment c'est le fait qu'Il a mis la bonté et le libertinage comme des causes qui conduisent leurs auteurs vers la félicité et le châtiment de même qu'Il a mis la médication et le poison comme des causes qui conduisent leurs auteurs vers la guérison et la mort, dans la mesure où le sens de la sagesse revient à l'agencement des causes et le fait de les orienter en direction des causés (al-musabbabat) du coup celui qui en est décrit d'une manière générale est un sage d'une manière générale (hakaman mutlqan) car il est la cause de toutes les causes dans leur ensemble et leur détail ; or c'est à partir du sage que s'opèrent le décret (al-qada') et l'arrêt (al-qadar). En effet Sa détermination est l'origine de l'existence des causes afin que Son jugement s'applique aux causés et le fait qu'Il établit toutes les causes fondamentales solides éternelles et immuables-telles que la terre, les sept cieux, les astres, les planètes et leurs mouvements correspondants qui sont immuables et éternels- jusqu'à ce que l'Ecriture arrive à son terme est Son décret ainsi que le Très-Haut dit : « Il décréta d'en faire sept cieux en deux jours et révéla à chaque ciel sa fonction » (Coran, s : 41, v : 12) ; et l'orientation de ces causes par leurs mouvements correspondants fixés, déterminés et calculés en direction des causés qui en sont adventés instant après instant est Son arrêt.

Par conséquent le jugement est la première création totale et l'ordre éternel qui est comme un clin d'œil, le décret est la détermination totale de toutes les causes éternelles, l'arrêt est l'orientation de toutes les causes par leurs mouvements éternels et calculés en direction des causés dénombrés et fixés selon une mesure connaissable qui n'augmente ni ne diminue, cause pour laquelle rien n'échappe à Son décret et à Son arrêt.

Tu ne peux comprendre cela que par un exemple : peut-être as-tu vu l'horloge grâce à laquelle on connaît les heures de prière, et si tu ne l'as pas vue cela revient en tout au fait qu'elle nécessite un instrument en forme de tube renfermant une quantité d'eau connaissable, un autre instrument creux placé à l'intérieur au-dessus de l'eau et un fil solide dont un bout est lié à cet instrument et l'autre bout au bas d'un petit godet placé au-dessus du tube creux et dans lequel il y a un ballon au-dessous duquel il y a une soucoupe, de telle sorte que si le ballon chute il tombe sur la soucoupe et on entend son tintement, puis on fait un trou dans le tube instrumental selon une mesure connaissable à partir duquel l'eau descend petit à petit. Lorsque le niveau de l'eau baisse du même coup baisse l'instrument creux placé sur la surface de l'eau, le fil solide qui en est lié se détend en mettant en mouvement le godet contenant le ballon de manière à le renverser complètement, par conséquent le ballon roule et tombe sur la soucoupe en tintant, et à la fin de chaque heure cela recommence.

Certes l'espace qui sépare les deux moments est déterminé en fonction de l'écoulement de l'eau et l'abaissement de son niveau, cela est lié à la dimension de la largeur du trou à travers lequel descend l'eau et on le connaît par calcul. Par conséquent l'eau descend selon une quantité déterminée et connaissable, à cause de la détermination de la largeur du trou d'une manière connaissable, du même coup se produit l'abaissement du niveau supérieur de l'eau selon cette quantité dont dépendent la détermination de l'abaissement de l'instrument creux et la tension du fil solide qui en est lié, le mouvement se déclenche dans le godet contenant le ballon. Or tout cela est déterminé en fonction de la détermination de sa cause, celle-ci n'augmente ni ne diminue. On peut considérer la chute du ballon dans le godet comme une cause d'un mouvement qui est lui-même la cause d'un troisième mouvement ainsi de suite jusqu'à plusieurs enchaînements au point qu'il en découle des mouvements étonnants et déterminés selon des quantités fixées ; or leur première cause est la descente de l'eau selon une mesure connaissable.

Si tu te représentes cette figure, sache que son créateur a besoin de trois choses :
1) la création (at-tadbir) à savoir le jugement concernant ce qu'il faut comme instruments, moyens (litt. causes) et mouvements jusqu'à ce qu'il arrive à acquérir tout ce qu'il faut pour cela. En effet tel est le jugement.
2) l'existentiation (ijad) de ces instruments qui sont fondamentaux à savoir le tube instrumental pour contenir l'eau, l'instrument creux à placer sur la surface de l'eau, le fil solide qui en est lié, le godet dans lequel il y a le ballon et la soucoupe sur laquelle tombe le ballon ; or tel est le décret.
3) l'établissement (nasb) d'une cause qui nécessite (le déclenchement) d'un mouvement déterminé calculé et fixé, à savoir faire un trou au bas de l'instrument selon une largeur déterminée afin qu'il s'y déclenche par la descente de l'eau un mouvement à la surface de l'eau ainsi, puis le mouvement de l'instrument creux placé à la surface de l'eau puis celui du fil ensuite du godet contenant le ballon ensuite le mouvement de celui-ci ensuite son choc contre la soucoupe en tombant légèrement puis le tintement qu'il produit avertissant les présents qui l'entendent et se mettent en mouvement pour accomplir la prière et les travaux en prenant connaissance de l'heure.
Or tout cela se passe selon une mesure connaissable et une quantité déterminée par une cause selon la mesure du premier mouvement à savoir celui de l'eau.
Si tu as compris que ces instruments sont fondamentalement nécessaires pour (déclencher) le mouvement qui doit être nécessairement déterminé pour que soit déterminé ce qui en résulte ainsi donc comprends l'advention des évènements dont aucune chose ne se fait ni avant ni après lorsque leur terme arrive à savoir en présence de leur cause. Or tout cela est fondé sur une mesure connaissable et que Dieu atteint ce qu'Il se propose étant donné qu'Il a assigné une mesure à chaque chose (Coran, s : 65, v : 3).

Par conséquent les cieux, les planètes, les astres, la terre, la mer, l'air et les corps macrocosmiques dans l'univers sont comme ces instruments ; la cause motrice des planètes est comme ce trou nécessitant la descente de l'eau selon une mesure connaissable. L'influence du mouvement du soleil, de la lune et des astres sur l'advention des évènements sur la terre est similaire à celle du mouvement de l'eau pour le déclenchement des mouvements qui influent à leur tour sur la chute du ballon indiquant l'heure.

Par exemple les mouvements du ciel entraînent des changements sur la terre ainsi le soleil lorsqu'il atteint l'orient et que le monde est éclairé et que les gens voient facilement du même coup il leur est facile de vaquer à leurs occupations. Lorsqu'il atteint l'occident cela leur devient difficile donc ils regagnent leurs demeures. Lorsqu'il se rapproche du milieu du ciel et au zénith au-dessus de la tête des habitants des contrées (litt. climats) l'air se raréfie et l'été apparaît fortement les fruits mûrissent. Lorsqu'il s'éloigne l'hiver apparaît et le froid devient intense. Lorsqu'il est dans une position médiane le climat devient tempéré le printemps apparaît, la terre est couverte par la végétation, la verdure apparaît.
Par conséquent compare ces réalités bien connues avec celles qui sont étonnantes et que tu ne connais pas.

En effet l'alternance de toutes ces saisons est déterminée selon une mesure connaissable car elle est liée aux mouvements du soleil et de la lune : « Le soleil et la lune (évoluent) selon un calcul (minutieux) » (Coran, s : 55, v : 5) à savoir leur mouvement selon un calcul connaissable. Par conséquent telle est la détermination et l'agencement de toutes les causes est le décret tandis que la première création qui est comme un clin d'œil est le jugement or Dieu est Juge et Juste selon l'expression de ces réalités ; de même que le mouvement de l'instrument, du fil et du ballon n'est pas en dehors de la volonté de celui qui a mis en place l'instrument, au contraire c'est ce qu'il veut en agissant de la sorte, en va-t-il de même pour chaque évènement qui se produit dans l'univers mauvais ou bon utile ou nuisible, il n'est pas en dehors de la volonté de Dieu (qu'Il soit exalté et magnifié) ; au contraire telle est la volonté de Dieu (le Très-Haut) et c'est pour cela qu'Il a créé ses causes, tel est le sens de Sa parole : « c'est pour cela qu'Il les a créés (Coran, s : 11, v : 119).

Or faire comprendre les réalités divines par des exemples ordinaires est difficile, mais le but est l'avertissement ; par conséquent laisse là les exemples et suis le but ; gare à la représentation et à la ressemblance !
Remarque : Tu as compris par l'exemple mentionné ce qu'il y a chez l'homme comme jugement, création décret et arrêt, car cela est une chose facile, toutefois le danger est la création des exercices et des combats spirituels ainsi que la détermination de la conduite des affaires qui influent sur les bienfaits de la religion et de la vie ici-bas cause pour laquelle Dieu a placé Ses serviteurs comme califes sur la terre et les y fait vivre afin qu'Il voie comment ils vont se conduire.

Toutefois la part allotie (à l'homme) au point de vue de la religion concernant la constatation de cet attribut de Dieu (le Très-Haut) est qu'il sache que l'affaire est terminée définitivement (mafrugh) venant de Dieu et qu'elle n'est pas nouvelle, la plume a séché concernant l'étant, que les causes sont déjà orientées en direction des causés et que leur acheminement en direction de ces derniers à leurs instants et à leurs termes est une décision nécessaire. En effet tout ce qui entre dans l'existence l'est par nécessité même s'il n'est pas nécessaire en soi toutefois il est nécessaire par décret éternel qui est sans appel.

Par conséquent qu'il sache que ce qui est déterminé est existant et que le souci (al-hamm) est une faveur (fadl). Par conséquent l'homme doit être, dans la quête de sa subsistance apaisé dans son âme, reposé dans son esprit et nullement troublé dans son cœur.
Si tu dis : « il s'impose nécessairement à lui deux problèmes :
1) comment le souci peut-il être une faveur alors qu'il est également déterminé, car il lui est déterminé une cause qui une fois présente le souci se produit nécessairement ?
2) si l'affaire est définitivement terminée de la part de Dieu à quoi sert l'action alors que s'en est fini concernant la cause de la félicité et du châtiment ? ».
La réponse à la première question c'est que leur dire : ce qui est déterminé existe et que le souci est une faveur ne signifie pas que celle-ci l'est par rapport à ce qui est déterminé extérieur à celui-ci mais au contraire c'est une faveur à savoir une frivolité (laghw) sans utilité, car elle ne repousse pas ce qui est déterminé. Or la cause liée au souci en quoi il existe est l'ignorance pure, car si son existence était déterminée donc gare ! Le souci ne peut pas le repousser, ce qui est le fait de hâter une sorte de douleur de peur que la douleur ne se produise, et si son existence n'est pas déterminée donc le souci n'a pas de sens à cet égard.
Par conséquent dans ces deux cas le souci est une faveur. En ce qui concerne l'action la réponse est selon ce que dit le Prophète (que Dieu le bénisse et le salue) : « Œuvrez à tout un chacun est facilité ce qui est créé pour lui. » Cela signifie que quiconque est destiné à être heureux c'est dû à une cause déterminée du même coup il agit en fonction de cela à savoir l'obéissance, et quiconque est destiné à être malheureux, que Dieu nous en préserve ! Cela (également) est dû à une cause à savoir sa fainéantise à l'égard des causes de celle-ci.
La cause de sa fainéantise peut relever du fait qu'il est ancré dans son esprit la pensée de se dire : « si je suis destiné à être heureux donc je n'ai pas besoin de travailler, et si je suis destiné à être malheureux donc l'action ne me sert à rien ».

Or cela est de l'ignorance car il ne sait pas que s'il est destiné à être heureux c'est parce qu'il survient en lui les causes de la félicité par la connaissance et l'action dans le cas contraire c'est donc le signe (litt. l'incitation) de son châtiment. C'est par exemple celui qui espère devenir juriste atteignant le degré de l'imamat. Par conséquent on lui dit fournis de l'effort et exerce-toi. Il répond si Dieu (qu'Il soit exalté et magnifié) a décrété dans l'éternité que je serai imam donc je n'ai pas besoin de fournir de l'effort et s'Il a décrété que je serai ignorant donc l'effort ne me sert à rien. On lui répond si cette pensée s'impose à toi cela prouve qu'Il a décrété que tu seras ignorant ; car quiconque est destiné éternellement à être imam néanmoins il le concrétise par ses causes Dieu lui apporte celles-ci et il agit en fonction d'elles Il repousse à son égard les pensées qui l'entrainent à la paresse et à la fainéantise. Au contraire quiconque ne fournit aucun effort n'obtient pas du tout le degré de l'imamat, et quiconque fournit un effort et que les causes lui sont facilitées il peut réaliser son souhait s'il poursuit son effort jusqu'au bout et qu'il ne rencontre pas d'obstacle sur son chemin.

Par conséquent n'obtient la félicité que celui qui vient à Dieu avec un cœur sain, or le salut du cœur est un attribut qui s'acquiert par l'effort de même que la jurisprudence et l'attribut d'imamat, sans différence.
Oui ! Les hommes concernant (le nom divin) le Sage se situent à différents niveaux. D'aucun considère la fin à savoir ce qui l'attend, un autre le commencement à savoir ce qui est décrété pour lui dans la prééternité cela est plus important car la fin suit le commencement, un autre se détourne du passé et du futur, il est le fils de son temps, il le considère, satisfait des évènements selon le décret de Dieu (qu'Il soit exalté et magnifié) et ce qui s'y manifeste cela est encore plus important que ce qui précède. Un autre se détourne du présent, du passé et du futur, le cœur submergé par le Sage, attaché à la vision de Dieu, or tel est le degré le plus élevé.
Le juste (al-‘adl) désigne l'équitable (al-‘adil) à savoir celui de qui découle l'acte d'équité contraire à l'injustice ; or nul ne peut connaître (un homme) équitable tant qu'il ne connaît pas son équité et on ne peut connaître son équité qu'en connaissant son acte. En effet quiconque veut comprendre cet attribut (al-wasf) il lui faut comprendre (d'abord) dans leur totalité les actes de Dieu (le Très-Haut) depuis le royaume des cieux jusqu'à la limite de la terre humide au point qu'il ne voit pas de disproportion en la création du Tout Miséricordieux ; puis ramène sur elle le regard et n'y voit une brèche quelconque puis retourne son regard à deux fois son regard lui revient humilié et frustré alors qu'il est émerveillé par la beauté de la présence seigneuriale et rendu perplexe par son équilibre et son ordonnancement ; du coup il saisit quelque chose parmi les significations de la justice de Dieu (qu'Il soit magnifié et sanctifié).

En effet Il a créé les classes d'existants, les êtres matériels et les êtres spirituels, les êtres parfaits et les êtres imparfaits, en donnant à chacun d'eux ce qui lui convenait dans la création par conséquent Il est généreux (jawad). Il les a rangés à la place qui leur convenait du coup Il est équitable. Ainsi parmi les corps macrocosmiques il y a la terre, l'eau, l'air, les cieux et les astres. Il les a créés et rangés. Il a placé la terre au plus bas l'eau par-dessus, au-dessus de l'eau l'air, au-dessus de l'air les cieux. Certes si cet ordre fait défaut leur ordonnancement serait vain.

Peut-être que cette figure de réalisation de cet ordonnancement afférent à la justice et à l'ordre est quelque chose de difficile à comprendre pour la plupart des esprits, par conséquent mettons-nous au niveau des gens ordinaires (al-‘awamm). Nous disons donc que l'homme considère son propre corps, certes il est composé de différentes parties de même en va-t-il pour l'univers composé (également) de différents corps. La première différenciation chez l'homme est que Dieu l'a composé d'os, de chair et de peau. Il a fait de l'ossature une charpente intérieure protégée par la chair qui est protégée (elle-même) par la peau. En effet si cet ordre est inversé et qu'Il fait apparaître ce qu'Il a caché l'ordonnancement serait vain.
Par conséquent si cela t'est caché (sache) qu'Il a créé pour l'homme différentes parties telles que les mains, les pieds, les yeux, le nez et les oreilles. Du coup par cette création des parties Il est généreux, et en les rangeant à la place qui leur convenait du coup Il est équitable ; car Il a placé les yeux à l'avant du corps, étant donné que s'Il les avait placés à la nuque ou au pied ou bien à la main ou au sommet de la tête il est évident que ce serait une imperfection et une exposition aux défauts. C'est ainsi qu'Il a lié les mains aux épaules, s'Il les avait liées à la tête ou à la ceinture (al-haq') ou bien aux genoux, il est évident que cela causerait des entraves. C'est ainsi qu'Il a placé les sens au niveau de la tête. En effet ce sont des espions (jawasis) afin qu'ils illuminent tout le corps. S'Il les avait rangés au niveau des pieds leur ordre s'en trouverait entravé indubitablement. Or l'explication de cela concernant chaque partie est longue.
D'une manière générale il faut que tu saches que rien n'est créé dans un endroit sans que cela soit convenable. En effet s'Il l'avait placé soit à droite soit à gauche, soit en bas soit en haut ce serait imparfait ou vain ou bien laid ou bien non-conforme à l'ordre et détestable pour le regard ; de même que si le nez était créé au milieu du visage ou au front ou bien à la joue ce serait une imperfection concernant son utilité.

Si tu as bien compris cela d'une manière certaine sache que le soleil également Dieu ne l'a pas créé au quatrième ciel, à savoir dans la position médiane des sept cieux par plaisanterie (hazlan) au contraire Il ne l'a créé qu'en toute vérité et ne l'a placé qu'à l'endroit convenable afin d'atteindre les buts qu'Il vise. Toutefois peut-être que tu es incapable de saisir la sagesse qui en est sous-adjacente car tu réfléchis peu sur le royaume des cieux, de la terre et leurs merveilles. En effet si tu les avais observés tu aurais vu des merveilles qui te rendront dérisoires celles de ton propre corps. Et comment non ! Alors que la création des cieux et de la terre est plus grande que celle des hommes. Plût à Dieu que tu accomplisses la connaissance de tes propres merveilles, que tu y réfléchisses complètement et ce qui les entoure comme corps du coup tu seras du nombre de ceux à propos de qui Dieu (qu'Il soit exalté et magnifié) dit : « Nous leur montrerons nos signes dans les horizons et en eux-mêmes » (Coran, s : 41, v : 53). Et comment es-tu donc pour que tu sois du nombre de ceux à propos de qui Il dit : « Ainsi avons-Nous montré à Abraham le royaume des cieux et de la terre » (Coran, s : 6, v : 75). Comment les portes du ciel peuvent-elles s'ouvrir pour quiconque est submergé par le souci du bas monde et asservi par la cupidité et la passion ?

Par conséquent tel est le signe (ar-ramz) concernant la compréhension préalable de la voie de la connaissance de cet unique nom (divin). Son explication demande des tomes, il en est de même pour le commentaire de chaque nom divin. Les noms divins qui dérivent des actes ne sauraient être compris avant la compréhension des actes. Or tout ce qui se trouve dans l'existence en fait d'actes de Dieu (le Très-Haut) quiconque ne les embrasse pas en détail et en totalité par la connaissance n'en possède qu'un simple commentaire et la langue. Or il n'y aucun moyen de les connaître en détail car leur connaissance est sans limite. Concernant leur ensemble l'homme en possède une voie et selon l'étendue de la connaissance qu'il en a il tire sa part de la connaissance des noms divins ; or cela englobe toutes les connaissances. Néanmoins le but d'un tel livre est l'allusion (al-ima') à leurs clés (mafatihiha) et la conclusion de leur ensemble seulement.
Remarque : La part allotie à l'homme concernant (ce nom divin) le Juste est évidente. La première chose qui lui incombe comme équité dans ses propres attributs est qu'il mette la passion et la colère sous le contrôle de la raison et de la religion. En effet tant qu'il asservira la raison par la passion et la colère il sera injuste. Tel est l'ensemble de son équité envers lui-même ; quant au détail il doit veiller sur les limites (fixées) par la Loi divine d'une manière totale. Son équité concernant chaque partie de son corps est qu'il l'utilise conformément à la Loi divine. Quant à son équité envers sa famille ses proches et ceux qui sont sous sa responsabilité s'il en a est évidente.

On peut penser que l'injustice c'est faire mal (à quelqu'un) tandis que la justice c'est procurer un bienfait aux gens. Or il n'en est pas ainsi. Au contraire si un roi ouvre (les portes) des armureries, des bibliothèques et des trésors et qu'il distribue ces derniers aux riches, donne les armes aux savants et met à leur disposition les citadelles donne les livres aux soldats et met à leur disposition les mosquées et les écoles, sans doute il a fait preuve de bonté toutefois il a mal fait et a dévié de (la voie) de l'équité dans la mesure où il a mis chaque chose à la place qui ne lui convenait pas. Tandis que s'il fait mal aux malades en leur donnant à boire des médicaments (amers) en leur appliquant des ventouses ainsi par force et qu'il punit les criminels par la peine capitale ou leur coupe la main ou bien les frappe du coup il s'est montré juste car il a mis les choses à la place qui leur convenait.

La part allotie à l'homme concernant la constatation de cet attribut au point de vue de la religion est la foi en Dieu (qu'Il soit exalté et magnifié) ce qui est justice et qu'il ne s'oppose pas à Lui dans Son action et Son décret ainsi que dans le reste de Ses actes, que cela soit en adéquation avec son désir ou non. Car tout cela est justice ; c'est ainsi et c'est comme tel. Certes s'Il avait agi autrement il en découlera un mal plus grand que ce qui est arrivé, de même que le malade si on ne lui applique pas les ventouses il souffrira davantage. Ainsi donc Dieu (le Très-Haut) est Juste. La foi en Lui met fin à la négation et à l'opposition de manière manifeste et cachée. En définitive qu'il n'injurie pas le temps, ne rapporte pas les choses (à l'influence) des astres et ne s'y oppose pas ainsi qu'on le fait d'habitude. Au contraire qu'il sache que tout cela constitue des causes assujetties à (Dieu) ordonnées et orientées en direction des causés (al-musabbabat) selon la plus belle manière (litt. orientation) au plus haut degré de l'équité et de la subtilité.

Notes :
1 - Al Ghazali : al-Maqsad l-asna fi sarh ma‘ani asma'i llah l-husna, 1ère edition, Beyrouth 2003/ 1424, p. 100.
2 - Ibid., p. 99.
3 - Al Ghazali : Rawdat at-talibin wa ‘umdat as-salikin, in Majmu‘at rasa'il, Beyrouth 1986/1406, p. 66. Voir également Daniel Gimaret : Les noms divins en Islam, les éditions du Cerf, Paris 1988, p. 346.
4 - Cf. Al Ghazali : al-Qistas l-mustaqim, in Majmu‘at rasa'il, p. 8.
5 - Ibid., p. 9.
6 - Cf. Alphousseyni Cissé : Quelques aspects de la pensée d'Al-Gazali in Ethiopiques, revue négro-africaine de littérature et de philosophie 2005, p. 61.
7 - Idem : L'unicité divine selon Al-Gazali, in Annales de la Faculté des Lettres et Sciences Humaines, université Cheikh Anta Diop, Dakar, n° 33, 2003, pp. 1 - 9.
8 - Al Ghazali : al-Maqsad, p. 101.
9 - Alphousseyni Cissé : Quelques aspects de la pensée d'Al-Gazali, p. 61.
10 - Al Ghazali : al-Maqsad, p. 97.
11 - Alphousseyni Cissé : op. cit., p. 60.
12 - Al Ghazali : al-Maqsad, p. 96.
13 - Alphousseyni Cissé : L'Islam n'est pas une idéologie, in Annales de la Faculté des Lettres et Sciences Humaines, université de Dakar, numéro 37/ B-2007, p. 4.
14 - Al Ghazali : al-Maqsad, p. 96.
15 - Alphousseyni Cissé : La vie et la mort selon Al-Gazali, in Annales de la Faculté des Lettres et Sciences Humaines, Dakar, n° 32 , 2002, pp. 241 - 251.
16 - Al Ghazali : al-Maqsad, pp. 100 - 101.

Source: http://annales.univ-mosta.dz/fr9/cisse.htm

vendredi 13 novembre 2009


Le crédit immobilier islamique propose d’autres solutions

par Yusuf Talal DeLorenzo
08 mai 2009


Washington – Le modèle commercial et la croissance du secteur de la finance islamique - le seul système financier qui soit encadré par les enseignements d’une grande religion – pourrait présenter de nouvelles chances pour les foyers américains – aussi bien musulmans que non musulmans.

Le secteur du crédit immobilier islamique est très actif dans près de 40 états des Etats-Unis. Quoique fonctionnant sur un modèle financier sans intérêts, les institutions islamiques de financement des acquisitions immobilières sont en tout compatibles avec le capitalisme moderne, au même titre que les institutions financières classiques.

Il existe pourtant certaines différences.

Le modèle islamique repose sur le principe selon lequel l’action de prêter est un acte charitable et non commercial, et que la dette ne peut donc être exploitée pour un profit.

Au contraire, la finance islamique s’inspire d’un modèle participatif qui vise à faire entrer toutes les parties dans un partenariat où chacun partage les risques et les bénéfices, sans garantie de profits.

En interdisant la perception d’intérêts, l’islam interdit aussi en fait le “désintérêt”, puisque les partenaires sont incités à pratiquer une gestion active, doublée de transparence, de responsabilité et d’un contrôle concerté.

Dans le crédit islamique aux ménages, la banque et son client-partenaire acquièrent conjointement un bien immobilier en tant que co-investisseurs. Là où les banques traditionnelles profitent des intérêts, les sociétés de financement immobilier islamiques trouvent leurs bénéfices dans les accords de copropriété aux termes desquels la société de crédit reçoit de son client-partenaire un loyer proportionnel à sa mise de fonds.

En règle générale, ces remboursements sous forme de “loyer plus amortissement” sont égaux à ce que seraient des remboursements sous forme d’”interêt et principal” . Lorsque le client-partenaire accède à la pleine propriété de sa maison, les remboursements locatifs à la banque prennent fin.

Dans la mesure où le crédit immobilier islamique s’adresse à des primo-acquéreurs qui, pour des raisons de conscience ou financières ne peuvent envisager des hypothèques traditionnelles avec intérêts, cette formule continue de s’étendre et de prospérer à mesure que les banques islamiques déploient leurs services sur le marché américain, même en cette époque de crise économique et de contraction du marché du travail.

Les trois principales sociétés de crédit immobilier islamique (la Devon Bank à Chicago, Guidance Residential en Virginie et University Bank dans le Michigan) font savoir qu’elles ont “substantiellement accru” leurs activités au cours des deux premiers mois de 2009 par rapport à la même période de 2008. La Devon Bank signale que son volume d’affaires pour cette même période a quasiment doublé.

Conforme au principe de partenariat et de partage du risque, le crédit immobilier islamique est plus intéressant pour l’acquéreur américain parce qu’il est fondé sur des contrats sans recours. Cela signifie que le créancier ne peut exiger de son débiteur, en cas de défaut de paiement, une somme supérieure à la valeur réelle de son bien. S’il est vrai que, dans certains états, le droit des hypothèque traditionnel respecte bien ce principe, il n’en va pas de même ailleurs où, même si la valeur du bien tombe au dessous du montant financé, la société de crédit peut exiger le remboursement de la totalité de la dette. Dans le financement islamique, le créancier ne peut exercer aucun recours au titre des autres biens de son débiteur.

Les sociétés de crédit immobilier islamiques se montrent aussi plus enclines à restructurer la dette de leur client qu’à les mettre en défaut de paiement. Ainsi, les trois principales institutions de crédit islamiques affichent un taux d’impayés de moitié inférieur à celui des crédits hypothécaires classiques.

Certes, ce secteur de crédit (estimé à moins d’un milliard de dollars par an pour chacune des trois grandes institutions américaines) reste encore modeste. Mais avec son moindre taux de mises en demeure, accompagné d’une volonté de restructurer les prêts, il donne un bon exemple de ce que peut être une philosophie de partenariat responsable et de responsabilité partagée.

Le temps est peut-être venu d’un retour à des valeurs éthiques et religieuse dans la pratique bancaire en générale et dans le crédit immobilier en particulier. En 2009, alors que le monde entier cherche des solutions à la crise financière qui l’accable, le but de la finance islamique, comme celui de tout commerce florissant, doit être de faire des affaires en partageant son savoir-faire avec d’autres.

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* Yusuf Talal DeLorenzo est responsable de la charia auprès de la société américaine Shariah Capital Inc. Article écrit pour le Service de Presse de Common Ground (CGNews).


Source:
www.commongroundnews.org

mardi 3 novembre 2009

Un soufi réformiste, le shaykh Muhammad Hasanayn Makhlûf (1861-1936) (5sur8)


Des écrits apologétiques


La liste des écrits (au nombre de 37) de M. H. Makhlûf témoigne de la formation éclectique que recevaient les 'ulamâ' de son époque. M. H. Makhlûf est l'auteur de nombreux textes, sous forme d'épîtres, de commentaires ou de gloses, dans diverses disciplines des sciences traditionnelles (al-'ulûm al-naqliyya) et des sciences de l'esprit (al-'idûm al-'aqliyya). Il se présente comme un spécialiste de jurisprudence, d'exégèse coranique et d'adab. Sept titres portent sur le soufisme ou sur des pratiques religieuses qui lui sont liées comme le culte des saints. Ils se divisent en deux catégories : les ouvrages destinés au cercle fermé des disciples et ceux destinés à un public plus large. Les premiers ne se trouvent pas dans les bibliothèques, ils circulent à l'intérieur de la confrérie et se résument à trois titres : une édition des oraisons et litanies (awrâd) propres à la voie (tarîqd) Khalwatiyya, demandée par son maître Ahmad Sharqâwî (Makhlûf, 1963) ; les commentaires de ce dernier sous la forme de deux ouvrages, le premier portant sur la théologie (Sharqâwî, 1889a), et le second sur les techniques du dhikr (Sharqâwî, 1889b). Les quatre autres écrits, rédigés pour un public plus large, sont surtout axés sur la défense du soufisme : ils sont édités et se trouvent tous à la Bibliothèque nationale, certains classés dans le domaine du fiqh. L'auteur, en effet, y expose les fondements juridiques de pratiques religieuses largement développées par les soufis comme la visite des saints et la recherche de leur intercession. Ces écrits sont souvent pauvres car apologétiques, les questions purement doctrinales sont occultées ; mais ils témoignent de la réaction des soufis lettrés aux profonds changements qui se sont produits au sein du soufisme égyptien au XXe siècle. Dans sa volonté de redonner sa place au soufisme véritable, M. H. Makhlûf cherche d'abord à « l'innocenter » des pratiques introduites par ceux qu'il nomme les pseudo-soufis (ad'iyâ'al-tarîq) : à ces yeux, ce sont eux qui ont contribué à jeter le discrédit sur le soufisme.


Son système de défense du soufisme a été analysé à partir de son épître sur l'intercession des prophètes et des saints, déjà citée, et de son ouvrage intitulé Paroles fermes contre les imposteurs et faux-soufis paru en 1926 (Makhlûf, 1926). Dans ce dernier ouvrage, il répond à des questions qui lui avaient été posées bien des années auparavant, en 1894, par des 'ulamâ'.

mercredi 28 octobre 2009

L’œuvre du mystique arabo-andalou Ibn Arabi dans le collimateur des Frères musulmans égyptiens


L’œuvre du mystique arabo-andalou Ibn Arabi dans le collimateur des Frères musulmans égyptiens

Yassin Temlali (14/01/2009)



La dernière cible des Frère musulmans est l’œuvre du maître soufi Ibn Arabi, né au 12e siècle en Andalousie musulmane. En effet, dans un questionnaire adressé au ministre de la Culture égyptien, Farouk Hosni, le député islamiste Ali Leben a affirmé que l’organisation d’un colloque sur Ibn Arabi en décembre dernier était une violation d’«une décision du Parlement interdisant toute publicité» pour la pensée du mystique arabo-andalou.

Cette décision, lit-on dans un article publié sur le site internet des députés des Frères musulmans, est consignée dans le procès-verbal d’une session parlementaire tenue le 15 février 1979. Elle «proscrit toute publicité pour la pensée d’Ibn Arabi dans la mesure où celle-ci sème le doute sur les croyances islamiques et les fondements de la religion [musulmane]».

Le colloque «Ibn Arabi en Egypte, carrefour de l’Orient et de l’Occident» a eu lieu du 13 au 16 décembre au Caire. Selon l’élu islamiste, il a été organisé grâce à des «financements étrangers douteux» et sa tenue allait «dans le sens des plans américano-sionistes, qui visent à diviser les rangs de la nation».

Dans une déclaration à Babelmed, Abdelnasser Hassan, directeur de la «Maison égyptienne des livres», s’est interrogé : «De quels financements douteux parle-t-on? Nous sommes les seuls organisateurs de cette manifestation. Serait-elle suspecte simplement parce que des chercheurs espagnols y ont participé? Ou parce que l’ambassadeur d’Espagne a invité à dîner l’ensemble des participants?».

Abdelnasser Hassan a tenu à rappeler que l’université islamique d’Al-Azhar a contribué à l’animation du colloque et qu’elle a même accueilli une partie de ses travaux. En outre, a-t-il ajouté, «notre but n’était pas de porter Ibn Arabi aux nues, mais de permettre aux Egyptiens d’écouter les opinions contradictoires qui se sont toujours exprimées à son sujet».

Pour le directeur de la Maison égyptienne des livres, il n’est pas question que son établissement se plie à de «simples décisions», eussent-elles été prises par le Parlement : «Notre action est guidée par des lois. Or, il n’en existe aucune qui interdit de diffuser les ouvrages d’Ibn Arabi ou d’étudier sa pensée».

Imad Abou Ghazi - qui a tenu à s’exprimer en sa qualité d’universitaire et non de responsable du Conseil supérieur de la culture - a commenté le questionnaire d’Ali Leben en des termes plus durs que ceux d’Abdelanasser Hassan. Selon lui, «l’attitude de ce député révèle l’agenda politique arriéré des Frères musulmans et leur franche hostilité à la liberté de pensée».

Pour ce spécialiste des manuscrits arabes médiévaux, le fait que le questionnaire d’Ali Leben se réfère à une décision du Parlement ne lui confère pas plus de pertinence : «Nous savons comment sont choisis les députés dans nos pays, et je n’excepte pas ceux des Frères musulmans.»

L’anathème jeté sur l’œuvre d’Ibn Arabi en 1979 était une des manifestations de l’«islamisation de l’Etat égyptien», engagée dès la deuxième moitié des années 70. Pour rompre avec l’héritage de Gamal Abdelnasser et imposer au pays un cours économique libéral, le président Al-Sadate avait conclu avec les islamistes une alliance tactique contre les organisations de gauche et les partisans de son prédécesseur socialisant. L’ultime expression de cette alliance avait été l'ajout à la Constitution (avril 1980) d’un article définissant la «charia musulmane la principale source de la législation». Cet article ne cesse d’être employé aujourd’hui pour justifier la censure des œuvres littéraires, artistiques et philosophiques.

La censure religieuse ne peut, cependant, être expliquée, par la seule islamisation de l’Etat pendant le règne d’Al-Sadate. Elle s’explique aussi par l’importance politique d’institutions comme l’université islamique d’Al-Azhar. L’une des premières grandes censures dans l’histoire de l’Egypte moderne avait frappé, en 1926, De la poésie anté-islamique de Taha Hussein, et Al-Azhar avait joué un rôle central dans l’interdiction de cet ouvrage jugé peu respectueux de la «sacralité du Coran».

Depuis qu’elle a été créée en 1961, l’Académie des recherches islamiques («Majmaâ al Bouhouth al islamiya» ) fait office de «cellule de censure d’Al-Azhar». C’est sur la base d’un de ses «mémoires» que le Parlement a pris, en février 1979, la décision de proscrire l’œuvre d’Ibn Arabi. Plus récemment, en 2004, elle devait s’illustrer par l’interdiction du roman de Nawel Al-Saadawi «La chute de l’imam», considéré comme «contraire aux constantes de l’islam».

samedi 24 octobre 2009

Il n'est de mot dans l'univers qui n'indique Sa louange


Il n'est de mot dans l'univers qui n'indique Sa louange

Un texte de Denis Grill


Le cycle de la louange

La louange est à la fois le début et la fin de l'existence et la principale raison d'être de l'univers.

On commence un repas en disant bismillâh "au nom de Dieu" et on le termine en disant al-hamdu li-llâh "la louange est à Dieu". Ces deux formules contiennent, à la manière d'un repas, toute notre existence. Mais dès lors, comment considérer la louange comme son début ? L'univers, pour Ibn ‘Arabî est un livre et le Livre commence par la Fâtiha, elle-même ouverte par la basmala. Cependant, dans la prière, certains seulement récite la basmala à voix haute, évoquant ainsi les Noms divins qui sont à l'origine du monde. La plupart commence par al-hamdu li-llâhi, considérant la louange comme la première parole prononcée par l'Adam de glaise, traversé par le Souffle divin. On peut donc considérer de cette manière que la louange inaugure l'existence des êtres, de même que la Fâtiha, appelée la "sourate de la louange" ouvre le Livre.

Adam, volontairement, et tous les êtres du monde, essentiellement, ne cessent de proclamer la louange divine, à tel point que le cheikh considère toute parole comme une louange. Le monde, au moment où il parviendra, rassasié d'existence, à son terme pour devenir un autre monde, proclamera la louange de Dieu. Il apparaîtra clairement à cet instant que toute louange, quelle qu'elle soit et à qui qu'elle soit adressée, ne peut que venir de Dieu et retourner à Lui. Cet instant sera la louange de la louange (hamd al-hamd) ou encore l'Etendart de la louange (liwâ' al-hamd), car liwa' en arabe évoque par sa racine le repliement ou l'aboutissement de tout éloge à son terme et en même temps à son origine (‘awâqib al-thanâ'). Cet étendart sera tenu par Muhammad, le "Très-louangé" que son nom prédestinait à tenir cet étendart et à prononcer les dernières louanges, encore inconnues, qu'un homme puisse adresser à Dieu.

De cette louange l'homme n'est que l'instrument, car elle est prononcée initialement et finallement par Dieu, le Premier et le Dernier. Comme Ibn ‘Arabi ne cesse de le répéter, Il est Celui qui loue, Celui qui est loué et la Louange elle-même. A qui donc appartient la louange ? Il n'est dans l'oevre du Shaykh al-Akbar de question qui ne revienne à la doctrine le l'Etre, de l'identité et de la différence.
Définition de la louange

Qu'est-ce que la louange ? En réponse à la question d'al-Hakîm al-Tirmidhî: "Quel est le point de départ de la louange ? " (mâ mubtada' al-hamd), Ibn ‘Arabî s'interroge sur les différentes acceptions de ce terme.

La louange, c'est tout d'abord le serviteur lui-même dont la seule existence adresse un éloge à Dieu (‘ayn al-thanâ' ‘alayhi bi-wujûd ‘aynihi). En ce sens le point de départ de la louange est "Celui qui l'a existencié pour ce quoi Il l'a existencié". Il s'agit bien sûr du serviteur parfait, qui est à la fois l'origine et le but de l'existence et s'identifie à elle. On peut donc dire que le point de départ de cette louange est l'existence elle-même.

On retrouve ici l'interprétation de la Fâtiha, exposée précédemment[1], selon laquelle al-hamdu désigne le "serviteur sanctifié et transcendant", appartenant totalement à Dieu (li-llâhi) et en même temps Son Semblable (mithl). Ce serviteur est qualifié de transcendant, parce qu'il est affranchi de toute trace de seigneurie et en même temps de semblable, parce qu'il réunit en lui de tous les noms divins qui proclament la louange de Dieu. Cette définition de la louange rejoint l'identification de la louange à la Fâtiha qui débute tantôt par le bâ' ou plutôt le bi de bismi -llâh, symbole du serviteur parfait, tantôt par l'alif de al-hamd, détaché dans l'écriture du lâm, comme Dieu indépendant à l'égard des mondes (al-‘âlamîn), simples indices (‘alâma) de l'existence de Dieu.

La louange, c'est aussi, comme on l'a vu, la louange de la louange accomplie par ce serviteur parfait en reconnaissance de la grâce et du don divins dont tout procède et vers quoi tout revient.

Sa louange, Dieu l'adresse à lui-même ou bien à Ses créatures. Mais dans ce dernier cas la louange n'est que le retour vers Lui de Ses Noms qui ont besoin des êtres pour se manifester."Ils n'ont d'effet, dit le Cheikh, que sur l'extérieur des lieux de manifestation et Celui qui se manifeste dans ces lieux n'est autre que Lui. Il n'y a donc de louangeur, d'éloge et de louangé que Lui" [2].

La louange des créatures est toutefois prise en compte dans la hiérarchie des trois degrés de la louange:

-la louange de la louange ou louange absolue.
-la louange de celui qui se loue lui-même, c'est-à-dire Dieu.
-la louange adressée à Dieu par autre que Lui.

Dans ce dernier cas, Dieu est loué soit pour ce qu'Il est (bi-mâ huwa ‘alayhi), soit pour ce qui vient de Lui (bi-mâ yakûnu minhu). Il s'agit donc du remerciement (shukr), l'une des formes de la louange[3].

Mais que dire de la louange adressée par autre que Dieu à autre que Dieu ? Les qualités pour lesquelles on loue un être lui ont été données par Dieu, qu'elles soient innées (fî jibillati-hi) ou qu'il les ait acquises comme caractères (takhalluq)[4]. Par les qualités divines qu'il reflète en lui"tout être dans le monde est louangeant et louangé" , de même qu'il n'y a de louangeur et de louangé que Dieu, car toute qualité se résorbe dans Sa Qualité qui ne saurait être multiple[5]. En effet, selon un enseignement du Cheikh toute qualification en apparence blâmable, comme la jalousie, la colère ou l'avidité, mais tournée dans un sens positif et conforme à la Loi divine et prophétique, comporte un aspect de louange par laquelle elle revient à Dieu[6]. Telle est pour lui l'une des significations de l'expression prophétique:"J'ai été envoyé pour parachever les nobles caractères" [7]. Il affirme avec force:"Toute parole dans l'existence est glorification, même si elle est considérée comme un blâme et par la science que nous avons de cela, nous l'emportons sur autre que nous. Dieu soit loué (wa bi-‘ilm hâdhâ fadalnâ ghayra-nâ)." [8]

Dans ces deux dernières phrases louange et glorification semblent équivalentes. Il faut préciser ici que pour le Cheikh toute forme de dhikr est une louange, qu'il s'agisse de la glorification (tasbîh), de l'affirmation de l'unité divine (tahlîl), de la magnification (takbîr) etc... Toutes les formules par lequelles Dieu est mentionné et invoqué sont des aspects de la louange[9]. Celle-ci est un tout dont les parties peuvent être comparées aux membres de l'homme, lui-même comparable dans sa totalité à la louange[10]. On retrouve ici l'identification de la louange au Serviteur parfait.

La louange de l'univers

La glorification en particulier tient une place essentielle dans l'enseignement d'Ibn ‘Arabî sur la louange. Dans le Coran en effet, louange et glorification sont étroitement liées dans des expressions telles que"Glorifie par la louange de ton Seigneur "(Coran 110: 3). Dans de très nombreux passages des Futûhât ce verset est cité ou commenté, plus particulièrement sa seconde partie:"Le glorifient les sept cieux et la terre et ce qu'ils contiennent. Il n'est de chose qui ne Le glorifie par Sa louange, mais vous ne comprenez pas leur glorification. Il est certes longanime et très-pardonnant"(17: 44). Un autre verset, adressé au Prophète, confirme la glorification de Dieu par tous les êtres de l'univers :"N'as tu pas vu que glorifient Dieu ceux qui sont dans les cieux et la terre, ainsi que les oiseaux en rangées. Chacun sait sa prière et sa glorification et Dieu sait ce qu'ils font"( 24: 41).

Ces versets prouvent que tous les êtres du monde sont vivants, animaux, plantes et minéraux, toute chose sans exception, comme le dit explicitement le verset. La vie suppose la conscience et donc l'intelligence:"Ne peut Le glorifier qu'un être vivant, intelligent, sachant ce par quoi il Le glorifie". Ceci est confirmé par le hadîth, selon lequel tout ce qui aura entendu la voix du mu'adhdhin témoignera pour lui le Jour de la Résurrection. Ibn ‘Arabî parle d'expérience puisqu'il nous dit avoir lui-même entendu les pierres invoquer Dieu[11]. C'est pourquoi, selon lui, l'interdiction de représenter les êtres vivants ne se limite pas aux animaux. Position radicale sans doute sur le plan juridique, mais justifiée par une conscience aigüe et vécue de la vie universelle. Cette vie se manifestera pleinement dans l'au-delà, appelée pour cette raison dans le Coran (29: 64) "la demeure de vraie vie" (dâr al-hayawân)[12].

Durant cette vie, seuls les êtres d'élection, les prophètes et les hommes doués de dévoilement (kashf) en ont conscience, parce qu'ils ont franchi la limite qui sépare ce monde de l'autre[13]. Pour les jinns et les hommes la louange est un acte volontaire, commandé par Dieu, auquel ils peuvent ou non se soumettre, mais pour tous les autres êtres de l'univers la louange ou la glorification est une adoration essentielle à leur être (‘ibâda dhatiyya), non soumise à un ordre et donc sans récompense, au contraire de la louange des jinns et des hommes[14]. Ceux-ci cependant, par toutes les parties de leur corps, participent également de cette louange universelle, car leurs membres ont une vie et une conscience propres qui se manifesteront quand,lors de la Résurrection, ils témoigneront contre l'homme de tous ses actes. Pour l'homme, le miracle ce n'est pas que les pierres glorifient Dieu, mais c'est qu'il l'entende, comme cela arriva aux Compagnons du Prophète qui entendirent le caillou glorifier Dieu dans sa main[15]. Ibn ‘Arabî s'oppose à l'interprétation de certains commentateurs selon laquelle la glorification des êtres en apparence inanimés ne serait pas une parole, mais le seul fait de leur existence (tasbîh hâl)[16] . Dans l'au-delà tous les êtres sans exception louange et glorification seront pour tous les êtres sans exception "comme les souffles de ceux qui respirent"[17].

Dieu se montre "longanime, Très-Pardonnant" parce qu'Il sait que les hommes n'ont pas la capacité de comprendre cette louange. Il ne châtie pas ceux qui, niant la vie et la parole de tous les êtres, affirment qu'ils glorifient Dieu du simple fait de leur existence. Il leur pardonne, car pardonner (ghafara) signifie étymologiquement en arabe recouvrir ; Il cache donc la faute de l'homme, comme Il lui a caché la perception de cette réalité[18].

Pour Ibn ‘Arabî, cette louange universelle que prononce même l'incroyant, par toutes les parties de son être, est l'un des aspect de la prise en charge (tawallî) du monde par Dieu, fondement de toute sainteté (walâya)[19]. Il commente ainsi la formule du tashahhud que l'on récite en position assise dans la prière:"Que la paix soit sur nous et sur les saints serviteurs de Dieu (‘ibâdi ‘llâhi l-sâlihîn)»:"Tout serviteur est saint pour Dieu (sâlih li-llâh) dans les cieux et la terre. Par "saints" on ne doit pas seulement entendre ceux qu'il est d'usage de considérer comme tels, car tout être est "saint". Dieu dit"il n'est de chose qui ne Le glorifie par Sa louange". Toute chose proclamant la transcendance de son Seigneur est donc "sainte". Ceci est l'une des sciences de la foi et du dévoilement. En disant "les saints" vise donc tous ceux qui sont employés à ce qui fait leur sainteté (c'est-à-dire leur fonction dans l'existence: alladhîn ustu‘milû li-mâ saluhû la-hu) et qui n'est autre que la glorification" [20].

Tous les êtres reçoivent donc leur part de cette salutation de paix, selon la conformité à leur nature, mais les êtres d'élection, le prophètes et les saints reçoivent eux une part de la louange universelle que Dieu fait rejaillir sur eux par l'intermédiaire des habitants des cieux et de la terre. Ces êtres reconnaissent dans les mouvements de l'homme ce qui est conforme à l'ordre divin et ce qui est vain (‘abath) et font l'éloge (thanâ') de tout ceux qui qui se sont affranchis de toute forme de vanité[21]. Par la louange le monde parle à Dieu et Dieu parle au monde et parmi les hommes, ceux qui Le louent, reçoivent par l'intermédiaire du monde leur part de louange.

Comment cette louange est-elle inspirée à tous les êtres ? Chacun d'entre eux ou plus exactement chaque particule (juz') de l'univers adore Dieu selon sa prédisposition (isti‘dâd) et Dieu se manifeste à chacune de ces particules d'être selon sa disposition à recevoir la théophanie divine."Et il n'est de chose qui ne glorifie...» en réponse à cette théophanie[22].

Dans le second verset (24: 41), Dieu s'adresse ainsi au Prophète:"N'as-tu pas vu que glorifie Dieu ceux qui sont dans les cieux et la terre...? ». Le Cheikh commente:"Il a dit: "n'as-tu pas vu" et non "n'avez-vous pas vu". Nous, nous n'avons pas vu ; ceci est pour nous un objet de foi et pour Muhammad - sur lui la grâce et la paix - un objet de vision. Par contre à propos du verset :"N'as-tu pas vu que pour Dieu se prosterne ceux qui sont dans les cieux et ceux qui sont sur la terre, le soleil, la lune, les étoiles, les arbres, les bêtes et de nombreux hommes ? » (22: 18), il affirme:"tous ceux à qui Dieu a donné de contempler cette prosternation et qui l'ont vue sont concernés par ce discours et cette prosternation est une glorification innée, essentielle, suscitée par une théophanie par laquelle Dieu s'est manifesté à tous les êtres. Ils L'ont aimé et se sont mis à prononcer Son éloge, sans y être astreints par la Loi, mais par nécessité essentielle, pour cette adoration essentielle où Dieu les a établis et qui Lui revient de droit" [23]. D'après ce passage la louange peut être considérée comme la première forme d'adoration et la première manifestation de l'amour des créatures pour Dieu. Parmi les saints, certains, ceux que le Coran appellent les"louangeurs" (al-hâmidûn), participent plus que d'autres à la vision prophétique de la louange universelle et voient"la louange proclamée par les langues de l'univers tout entier, que ceux qui louent soient ou non des gens de Dieu, que le loué soit Dieu ou que les hommes s'adressent entre eux cette louange, revenir finalement à Dieu et non à autre que Lui. La louange n'appartient qu'à Dieu que quelque manière que ce soit. Les louangeurs dont Dieu à fait l'éloge dans le Coran, sont ceux qui ont connaisance de la fin des choses à leur début. Ils agissent par avance et se mettent dès le début à louer Dieu par la louange des êtres voilés qui doit revenir finalement à Lui - glorifié et exalté soit-il -. Tels sont les louangeurs ; par leur contemplation, ils louent Dieu par Sa propre voix (al-hâmidûn ‘alâ l-shuhûd bi-lisân al-haqq)[24].

Cette louange en effet est celle de Dieu. Dans l'expression"chacun sait Sa prière et sa glorification" , la prière peut être comprise comme celle de Dieu, par le don qu'Il fait de l'existence et de la miséricorde, tandis que la glorification revient aux créatures[25]. Dans un autre passage la prière est interprétée comme l'entretien intime spécifique (munâjât khâssa), par lequel toutes les créatures, organisées en communautés comme les hommes, s'adressent à Dieu, tout en proclamant Sa transcendance par la glorification [26].

La glorification, dont il est surtout question dans ces deux versets, affirme la transcendance, c'est-à-dire la négation d'une qualité, alors que la louange l'affirme. Quel est donc la relation entre la glorification et la louange dans l'expression "et Il n'est de chose qui ne glorifie par sa louange". Le Shaykh al-Akbar est sans aucun doute le seul commentateur du Coran à avoir explicité avec autant de précision cette relation.

Par Sa louange

Comment l'homme peut-il glorifier Dieu, c'est-à-dire affirmer Sa transcendance."Glorifier Dieu, affirme le Cheikh, dans une formule lapidaire, c'est Le critiquer"(al-tasbîh tajrîh), car"on ne peut affirmer la transcendance de l'Etre transcendant ; le faire c'est Lui enlever Sa transcendance" [27]. On ne peut glorifier Dieu qu'en citant Ses propres paroles ou bien en affirmant, comme Abû Yazîd al-Bistâmî, sa transcendance à l'égard de la transcendance (subhânî). De même"louer Dieu, c'est Le conditionner"(al-tahmîd taqyîd). En faisant l'éloge de Dieu, l'homme risque de Le limiter par sa propre louange. C'est pourquoi il faut affranchir l'éloge de Dieu de cette limite, tout en l'accomplissant, puisque tels sont la nature et le devoir de l'homme. Il faut pour cela suivre l'exemple du Prophète qui s'exclame:"Je ne dénombre pas l'éloge que je T'adresse ; Tu es comme Tu T'es Toi-même loué" [28].

En prononçant cette dernière proposition, le Prophète ne faisait que se conformer à l'ordre divin:"Glorifie par la louange de ton seigneur !". Ibn ‘Arabî dans plus d'un passage insiste sur la nécessité de louer Dieu en respectant les formules édictées par la Loi:"La louange, dit-il, est fondée sur l'institution divine (tawqîf)[29] . Certes l'homme peut louer Dieu pour Ses actes pour L'en remercier ; il s'agit alors d'un éloge non défini par la Loi sacrée (‘urfî) qu'il a le loisir de rendre tant qu'aucune interdiction légale ne l'en empêche, comme tout acte de la vie ordinaire. Mais si le serviteur veut accomplir un acte d'adoration pour se rapprocher de Dieu (‘alâ jihat al-qurba), il n'a pas la liberté d'instituer un rite.

Cette restriction légale s'explique par la nécessité de limiter le pouvoir de l'intellect, toujours porté à privilégier la transcendance de manière excessive."Garde-toi, avertit-il son lecteur, de Le glorifier avec ton intellect... car les preuves rationnelles sont souvent en désaccord avec les preuves de la Loi sacrée». La glorification consiste à déclarer Dieu pur de tous les attributs des êtres contingents. Or ceci revient à affirmer l'existence de ceux-ci face à l'Etre divin. Ils n'ont pourtant aucune existence par eux-mêmes et n'ont été existenciés que pour proclamer la louange de Dieu. Affirmer la transcendance absolue de Dieu conduit donc à éliminer ce par quoi Dieu doit être glorifié.

"Réalise donc, dit-il dans le chapitre sur le Souffle divin, de quoi tu l'affirmes transcendant, car il n'y a que Lui et le Souffle du Tout-Miséricordieux et la substance des êtres (jawhar al-kâ'inât). C'est pourquoi Dieu S'est Lui-même qualifié de certaines des qualités des êtres contingents d'une manière que les preuves spéculatives et rationnelles ne peuvent admettre. Garde-toi donc de le glorifier par ton intellect. Fais que la glorification que tu Lui adresses soit le Coran, qui est Sa Parole; tu citeras alors Sa parole sans inventer ni innover" [30]."Par Sa louange" signifie donc: par Sa propre parole. C'est le seul moyen pour l'homme d'échapper à la ruse subtile (makr khafî) que constitue l'affirmation de la transcendance, par laquelle Dieu met Ses serviteurs à l'épreuve.

La glorification par la louange est donc l'une des expressions possibles de la doctrine de l'Etre. D'un côté, Dieu ne peut être loué par quoi que ce soit dans l'univers, car aucun être du monde n'a rien de commun avec Lui ; de l'autre, on ne peut louer Dieu que par Ses Noms. Or il n'est aucun de ses noms dont l'homme ne puisse se caractériser. De sorte que toute chose dans ce monde glorifie Dieu simultanément par une voie négative et affirmative, mais dans le deuxième cas, l'affirmation ne peut venir que de Lui. Muhammad arrivé au terme de sa mission, qui fut avant tout une mission de louange, s'entend dire:"Glorifie par la louange de ton Seigneur et demande Lui pardon. Il est certes Celui qui accepte le repentir (tawwâb)» (Coran 110: 3-4). Comme on la vu, demander pardon, c'est demander l'effacement, c'est-à-dire la résorption de l'être contingent en présence de Dieu, après être sorti pour transmettre le message. Ce retour à Dieu est annoncé par le nom divin al-Tawwâb, qui signifie étymologiquement "celui qui revient sans cesse" vers Ses serviteurs par cet acte de louange[31].

On pourrait trouver quelque contradiction entre d'un côté l'insistance du Cheikh sur la nécessité de ne louer Dieu que par Sa propre parole et de l'autre, l'affirmation que tout éloge, voire tout blâme revient toujours en fin de compte à une louange divine. N'affirme-t-il pas par ailleurs que"la parole de l'univers tout entier n'est autre que Sa parole"? [32]. L'univers est un grand homme parfait (insân kabîr kâmil). Il est donc analogue à l'homme dont l'intérieur de l'être est l'Ipséité de Dieu ainsi que Ses facultés [33] (huwiyyat al-haqq wa quwâ-hu), facultés par lesquelles l'homme est aussi un serviteur adorant son Seigneur. Il en est de même pour la réalité intérieure du monde. Plus le serviteur devient parfait et purifie l'adoration qu'il consacre à Dieu (ikhlâs al-‘ibâda li-llâh), plus il reconnaît en soi-même l'Ipséité divine. Il affirme alors:"C'est Toi qui es Lui par Ton Moi et c'est Toi qui est Lui par mon moi. Il n'y a donc que Toi et c'est Toi qu'on nomme Seigneur et serviteur". Cette "identité suprême" qui ne contredit nullement la différence radicale du Seigneur et du serviteur en tant que tels, c'est dans la lecture du Coran qu'Ibn ‘Arabî la réalise. Quand le serviteur récite dans la Fâtiha:"La louange est à Dieu le Seigneur des mondes" , Dieu lui répond, selon le hadîth:"Mon serviteur a prononcé Mon éloge" , ce qui signifie: J'ai prononcé Mon propre éloge par la forme de Mon serviteur[34].

La louange est donc cette forme, celle du serviteur parfait, comme le proclame le Cheikh dans un prône au cours d'un songe. Pour l'inciter à parler le Prophète lui envoie ‘Uthmân, celui qui réunit le Coran[35]. Cette forme est parfaite parce qu'elle réunit comme le Coran, dont le nom signifie "réunion", toute réalité. Le Prophète mérite l'Etendart de la louange parce qu'il loue Dieu par le Coran. Celui-ci est à la fois la Parole de Dieu et la réalité intime du Prophète, son caractère "immense", comme le Coran lui-même. Son nom, Muhammad, le sans-cesse louangé, exprime la perfection de sa servitude: il ne loue pas lui-même, mais ce contente de recevoir sans cesse cette louange pour la remettre à Dieu. Il ne demande pas autre chose pour parachever son existence de serviteur que "la station louangée". Le Sceau de la sainteté muhammadienne n'a eu de cesse d'expliquer à ses disciples, qui sont aussi ses livres, la voie de cette perfection muhammadienne qui est aussi conformité à la Loi:

"C'est pourquoi, dit-il, à propos de cette louange par le Coran, Dieu -gloire à Lui - ne doit être loué que par la louange qu'Il a institué pour Lui-même, en tant que cette louange a été institué par la Loi, et non pas par ce qu'exige l'attribut de louange, car ceci est l'éloge de Dieu (al-thanâ' al-ilâhî). Quand Dieu est loué par cet attribut, la louange de la part de l'homme n'est que conventionnelle et intellectuelle (‘urfî ‘aqlî) et ne convient pas à la majesté divine»[36].

Conclusion

On ne peut aborder un aspect particulier de l'�uvre d'Ibn ‘Arabi sans constater son unité et sa complexité. Dieu est l'être intime du serviteur, mais le serviteur n'est pas Dieu et la réalité divine transcende toujours ce que l'homme peut en dire qu'il s'agisse de transcendance ou de similitude. L'homme ne peut donc ni adorer Dieu ni parler de Dieu - la louange suppose les deux - sans se conformer à la Révélation qu'elle prenne la forme de l'Homme ou du Livre.

L'expérience intime de l'identité de l'Etre lui a permis de saisir la rigoureuse correspondance qui unit l'Homme,le Livre et le Monde et donc la vie et la parole de tous les êtres. Pouvait-on mieux dire à propos de la louange qu'"il n'est de mot dans l'univers qui n'indique Sa louange" [37].


Notes

[1]Cf. Commentaries on the Fâtiha and Experience of the Being According to Ibn ‘Arabî, JMIAS XX.

[2] Futûhât II 100 quest. 99.

[3] Futûhât II 403, chap. 198 § 6 al-dhikr bi l-tahmîd.

[4] Futûhât IV 286 chap. 558 hadrat al-hamd.

[5] Futûhât II 403.

[6] Futûhât IV 286. Sur la conversion (tasrîf) des qualités blâmables en qualités louables, cf. également II 195-8, chap. 114, 115 et 117 et II 241-2 chap. 149 (maqâm al-khuluq):"Tous les caractères sont des qualités divines, toutes sont nobles et innées dans l'homme". L'avarice par exemple, étant un refus, peut être rapportée au nom divin al-Mâni‘ "Celui qui retient". Cf. encore II 362-3 (maqâm al-khulla).

[7] Cf. Futûhât II 616 chap. 281; IV 178 chap. 534.

[8] Futûhât IV 404.

[9] Futûhât II 403 chap. 198 ; IV 95 chap. 446.

[10] Futûhât IV 287.

[11] Futûhât I 147.

[12] Futûhât IV 451 et sur l'au delà: I 147.

[13] Futûhât II 682 -3 chap. 297 et III 257-8 chap. 357.

[14] Futûhât III 99 chap. 326.

[15] Futûhât I 381-2.

[16] Futûhât I 59 ; III 65 chap. 317. Fakhr al-Dîn al-Râzî se fait l'écho de cette interprétation et la justifie dans son commentaire, éd. Téhéran reprod. XX 218-9.

[17] Futûhât II 688 chap. 298.

[18] Futûhât I 398 ; III 393, 16e section des hazâ'in al-jûd.

[19] Futûhât II 247 chap. 152 (maqâm al-walâya).

[20] Futûhât I 429. Ibn ‘Arabî fait aussi remarquer que ce salut distingue le "nous" de tous les autres serviteurs quels qu'ils soient.

[21] Futûhât I 247 chap. 43. On peut rapprocher cet éloge de l'amour de toutes les créatures pour Abû Madyan que le serpent qui entoure la montagne Qâf révèle à Mûsâ al-Sadrânî. Cf. Futûhât III 13O 334 et Claude Addas,"Abu Madyan and Ibn ‘Arabi "in Muhyiddin Ibn ‘Arabi, a Commemorative Volume, Element Shaftesbury 1993 p. 173.

[22] Futûhât II 509 chap. 218.

[23] Futûhât II 328 chap. 178.

[24] Futûhât II 33 chap. 73.

[25] Futûhât I 540, chapitre final sur la prière.

[26] Futûhât III 488.

[27] Cf. Fusûs p. 68 (fass hikma subbûhiyya fî kalima nûhiyya):"Sache - que Dieu t'assiste par un esprit émanant de Lui - que l'affirmation de la transcendance pour ceux qui connaissent les réalités n'est à l'égard de la Dignité divine que limitation (tahdîd) et conditionnement (taqyîd). Celui qui affirme ainsi la transcendance soit est un ignorant, soit se conduit de manière inconvenante (sâhib sû' adab).

[28] Futûhât IV 414, à propos des chap. 437 et 438.

[29] Futûhât IV 96 chap. 467.

[30] Futûhât II 404 chap. 198.

[31] Futûhât III 148 chap. 338 ; I 181, chap. 23.

[32] Futûhât IV 141 chap. 503.

[33] Allusion au hadîth qudsî:"... Mon serviteur ne cesse de se rapprocher de Moi, jusqu'à ce que Je sois l'ouïe par laquelle il entend, la vue par laquelle il voit...».

[34] Futûhât IV 140-1, chap. 503.

[35] Futûhât I 111, chap. 5 sur la basmala et la Fâtiha.

[36] Futûhât II 88 question 77.

[37] Futûhât IV 286.


Source: http://www.ibnarabisociety.org/articles/indiquesalouange.html