samedi 8 août 2009

Un soufi réformiste, le shaykh Muhammad Hasanayn Makhlûf (1861-1936) (1sur8)


Un soufi réformiste, le shaykh Muhammad Hasanayn Makhlûf (1861-1936)

Par Rachida Chih


On sait que le wahhabisme — mouvement politico-religieux fondé au XVIIIe siècle en Arabie par Muhammad ibn 'Abd al-Wahhâb (m. 1792) — dans sa volonté de restaurer l'islam dans sa pureté première, s'en est violemment pris au culte des saints qu'il assimile à du polythéisme et de l'idolâtrie1. Il puise dans l'œuvre du théologien hanbalite Ibn Taymiyya (m. 1328) qui lutta sans relâche de son vivant contre la visite des tombes (ziyârat al-qubûr) et la recherche de l'intercession du Prophète et des saints.

Gilbert Delanoue s'étonne que la menace wahhabite si proche ait provoqué si peu d'excitation intellectuelle chez les 'ulamâ' du Caire au XIXe siècle, pourtant fortement imprégnés de doctrine soufie : on ne trouve guère de réfutations du wahhabisme dues à des docteurs égyptiens avant celle, au tout début du XXe siècle, d'Ibrâhîm al-Samannûdî al-Mansûrî2.

Un quart de siècle plus tard cependant, en 1924-25 (1342 de l'hégire), est édité au Caire un texte vieux de plus de deux cents ans intitulé Les foudres divines lancées en réponse aux wahhabites. Il s'agit d'une réfutation de la doctrine wahhabite, qui date des débuts de la prédication de son fondateur et dont l'auteur, Sulaymân ibn Abd al-Wahhâb (m. 1795), n'est autre que le frère de ce dernier.

L'édition de ce texte n'a pas seulement pour objet d'en diffuser plus largement le contenu. Il donne en outre son nom à tout un ouvrage3 contenant plusieurs traités écrits, eux, en ce début du XXe siècle, et qui ont pour thème commun la défense de la foi en l'intercession des prophètes et des saints. Et c'est parmi ces traités que l'on peut lire celui du savant, azharien et soufi, Muhammad Hasanayn Makhlûf (m. 1936) intitulé : Epître sur les fondements juridiques de l'intercession des prophètes et des saints.

Cette épître paraît à une époque d'effervescence intellectuelle dans tout le Proche-Orient arabe. Les progrès de l'impérialisme européen avaient fait naître au sein des élites, religieuses et laïques, un débat sur le retard des sociétés musulmanes. Ce débat englobait tous les aspects de la vie sociale, en premier lieu la religion et une de ses composantes, le soufisme. Dans ce contexte, le wahhabisme allait jouer un rôle non négligeable dans l'évolution de la pensée islamique au XXe siècle en Egypte, ainsi que dans d'autres pays musulmans. La lutte contre les confréries soufies puis, contre le soufisme en général, devint le cheval de bataille des réformistes, leur devise étant « la revivification de la Sunna et la lutte contre la bid'a » (Ihyâ' al-Sunna wa imâtat al-bid'a). C'est surtout dans la pensée du réformiste Rashîd Rida (m. 1935), disciple de Muhammad 'Abduh (m. 1905), que l'influence d'Ibn Taymiyya se faisait sentir

M. H. Makhiûf était un lettré formé à al-Azhar et influencé par le réformisme de Muhammad 'Abduh. En parallèle, il fut initié au soufisme et affilié à la confrérie très orthodoxe des Khalwatiyya par un maître de Haute-Egypte. Cette double formation, mystique et azharienne, fit naître en lui un souci constant : celui de rendre le soufisme acceptable aux yeux des nouvelles couches instruites de la population, en le conformant aux idées réformistes, tout en préservant ses principes doctrinaux fondamentaux. Ainsi, s'il fut le premier à s'en prendre aux pratiques « innovatrices » introduites dans la religion par les confréries populaires, il n'en défendit pas moins le recours aux saints, pourtant violemment attaqué par les réformistes de tous bords. Plus fortement que dans le passé, les soufis lettrés du XXe siècle, à l'image de M. H. Makhiûf, ont cherché à démontrer la canonicité du recours aux saints car la doctrine de la sainteté leur conférait une autorité que beaucoup, à cette époque, n'étaient pas prêts à leur reconnaître.

1 L'objectif de 'Abd al-Wahhâb était de purifier l'islam de toutes les innovations introduites (...)

2 Le bonheur dans le monde ici-bas et dans l'au-delà, 1319/1901-02, Le Caire, impr. du journal al-(...)

3 Cet ouvrage, édité par l'imprimerie al-Futûh al-adabiyya en 1924-25, est mentionné par (...)

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