mardi 2 mars 2010

Un soufi réformiste, le shaykh Muhammad Hasanayn Makhlûf (1861-1936) Critique du soufisme officiel (7sur8)



Un soufi réformiste, le shaykh Muhammad Hasanayn Makhlûf (1861-1936) Critique du soufisme officiel (7sur8)

Critique du soufisme officiel


Le shaykh Makhlûf rend le Conseil soufi responsable de la propagation de ces « innovations », l'accusant de ne pas remplir le rôle pour lequel il a été créé. La création du Conseil soufi (1895) a constitué l'aboutissement d'une législation mise en place tout au long du XIXe siècle afin de contrôler les activités des confréries soufies1. En 1812, Muhammad 'Alî promulgua un firman attribuant au shaykh Muhammad al-Bakrî (m. 1855) une autorité exclusive sur toute la mystique selon un principe d'ancienneté (qadam) qui obligeait les confréries à se soumettre à son contrôle. Désormais le choix de tout nouveau shaykh devait être approuvé par al-Bakrî. En outre, ce dernier nommait les gardiens de tombeaux, présidait aux festivités des grands mawlid-s et arbitrait les conflits entre confréries. Les activités de ces dernières, réunions soufies (hadra) et mawlid devaient recevoir l'autorisation du shaykh. Pour échapper à ce contrôle, nombre de confréries refusèrent de se faire enregistrer au Conseil soufi et vécurent jusqu'à aujourd'hui dans une semi-clandestinité.


Ce contrôle sur les confréries s'est accompagné d'une volonté de l'État de les pousser vers la voie de la modernisation. Il interdit certaines pratiques confrériques jugées scandaleuses comme la cérémonie du piétinement, dawsa. Cette pratique était surtout propre aux membres de la Sa'diyya et de la Rifâ'iyya ; le shaykh passait à cheval sur les corps des disciples étendus à plat ventre sur le sol. Le shaykh à l'origine de ces réformes fut Muhammad Tawfîq al-Bakrî (m. 1932). Il succéda à son frère 'Abd al-Bâqî à la présidence des shaykh-s de confréries soufies (shaykh mashâyikh al-turuq al-sûfiyya) et à la fonction de syndic des descendants du Prophète (naqîb al-ashrâf) (Delanoue, 1982 : 254). Fortement influencé par le réformisme de Muhammad 'Abduh et de Rashîd Ridâ, il tenta lui-même d'appliquer leurs principes aux confréries soufies entre la fin du XIXe et le début du XXe siècles. Pourtant, dans les années vingt, M. H. Makhlûf estimait que le Conseil soufi était composé de membres qui n'étaient pas à la hauteur de leur charge : « les objectifs de ce conseil, écrivait-il, sont clairs et précis : suivre la voie de Dieu et guider les gens sur cette voie » (Makhlûf, 1926 : 24). Le président du Conseil soufi a reçu cet héritage prophétique qu'il doit transmettre. Sa tâche est lourde et nécessite des qualifications : être savant en sciences religieuses et agir en fonction de cette science ('âliman 'âmilan).

Le problème résidait pour M. H. Makhlûf dans le manque de guides qualifiés et de vrais disciples. Tous les manuels de soufisme consacrent un chapitre à la fonction de guide spirituel, de shaykh, et aux qualifications que cette fonction requiert afin que l'aspirant à la voie puisse faire la différence entre le vrai soufi et le pseudo-shaykh qui corrompt la voie : « Les pseudo-shaykh-s sont sortis du droit chemin, ils ont laissé tomber leurs prières, suivi leurs passions, haï la science et prétendu que la voie avait ses propres règles autres que la sharî'a, alors que la tarîqa n'est que l'application de la sharî'a » (Makhlûf, 1926 : 25).


M. H. Makhlûf chercha à purifier le soufisme pour le rendre conforme aux idées réformistes tout en gardant une identité soufie. Au-delà d'un discours qui entendait coller à la pensée religieuse moderne et s'adapter aux changements de la société, il ne pouvait interdire radicalement des pratiques violemment attaquées par les réformistes, c'est-à-dire la visite des saints, car comme l'écrit Michel Chodkiewicz, « soufisme et sainteté sont inséparables : sans les saints, il n'y a pas de soufisme ; il naît et se nourrit de leur sainteté et a pour fonction de la reproduire » (Chodkiewicz, 1986 : 24).

Notes:

Sur l'institutionnalisation de la mystique en Égypte, voir F. De Jong (1978).

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