mardi 23 mars 2010

Un soufi réformiste, le shaykh Muhammad Hasanayn Makhlûf (1861-1936) (8sur8)



Défense de l'intercession des prophètes et des saints

L'islam est une religion qui insiste sur l'unicité divine. La négation de toute autre divinité qu'Allah, présente dans la première partie de la shahâda, est prépondérante dans le Coran qui rejette tout patron et tout intercesseur. Cette affirmation catégorique dans le Coran et la Sunna du tawhîd, c'est-à-dire de l'unicité et de la transcendance divines, donne aux adversaires de l'intercession des saints des arguments suffisants pour en condamner la pratique et rejeter ses partisans dans les rangs des polythéistes (mushrikûn).

L'intercession est le fondement du culte des saints en islam. Pour Ibn Taymiyya, le culte des saints, c'est-à-dire la visite à leur tombe et la recherche de leur intercession, était une pratique populaire ('urf al-nâs) qui n'avait de fondement ni dans le Coran ni dans la Sunna. En outre, ni les pieux anciens, c'est-à-dire les Compagnons et leurs Successeurs, ni les Imams n'en ont parlé. Ce sont les savants tardifs (muta'akhkhirûn) qui ont fermé les yeux sur ces pratiques, voire les ont légitimées. L'idée des « trois meilleures générations », c'est-à-dire Compagnons, Successeurs et Imams, est un principe fondamental dans le concept historique d'Ibn Taymiyya et c'est en son nom qu'il dénoncera la pratique de la visite des tombes, la recherche de l'intercession des saints et même du Prophète1. L'influence d'Ibn Taymiyya sera durable, et décisive, en particulier pour le mouvement wahhabite qui se développera au XVIIIe siècle en Arabie2. Elle est des plus variables sur les partisans de la réforme dans le premier tiers du XXe siècle. Quoique non sans impact, elle est assez diluée, par exemple, dans la pensée de Muhammad Abduh.


Son disciple R. Ridâ est en revanche un fervent admirateur d'Ibn Taymiyya, qu'il n'a sérieusement étudié que tardivement, mais dont les idées ont contribué à forger le réformisme conservateur. R. Ridâ est d'ailleurs le premier à avoir entrepris la publication des œuvres du théologien conservées à la bibliothèque de Damas3, ainsi que de celles des grands docteurs hanbalites. Dans son commentaire coranique du Manâr, il reprend les objections qu'Ibn Taymiyya et les wahhabites avaient adressées au culte des saints (Ibn Taymiyya, 1323/1905-06). Comme son maître M. 'Abduh d'ailleurs, R. Ridâ condamne l'intercession des saints et les pouvoirs qui leur sont attribués. Il cite toutes les pratiques liées à l'intercession des saints qu'il a pu observer ou qui lui ont été rapportées, les sacrifices en leur honneur, les rites de circumambulation et d'attouchements de leur tombe. À propos des saints égyptiens, R. Ridâ écrit : « L'importance de ces hommes est telle que les croyants ont plutôt recours à eux qu'à Dieu... Ils invoquent les morts qu'ils adorent, les shaykh-s Badawî, Rifâ'î, Disûqî, Jîlânî, Matbûlî, Abû Sharî' et les innombrables autres ».


C'est dans un tel contexte que M. H. Makhlûf développe son point de vue. Dans son Epître sur le statut juridique de l'intercession des prophètes et des saints en islam (Makhlûf, 1974), il n'essaie pas de justifier l'existence des saints, puisqu'elle est admise par l'islam sunnite, mais les fondements du culte qui s'est développé autour d'eux, c'est-à-dire l'intercession (tawassul). En tant que spécialiste de fiqh, il s'attache à démontrer le statut légal ou fondement canonique (hukm) de l'intercession en islam, c'est-à-dire le recours aux prophètes, aux saints et aux pieux en cas de détresse.


L'intercession est une fonction divine qui n'a lieu qu'avec la permission de Dieu : tel est l'argument principal de M. H. Makhlûf. L'intercession est recherchée auprès de Dieu (ilâ-llah) par l'intermédiaire de ses prophètes et de ses saints (bi-anbiyâ 'ihi wa awliyâ'ihi). Lors de sa visite, le croyant demande au saint d'intercéder pour lui auprès de Dieu : les prophètes et les saints ne sont donc que des intermédiaires. Le croyant peut faire sa demande (du'â) soit intérieurement, soit à voix haute (qalbiyan aw lisâniyan) en utilisant la formule suivante : « Allâh, j'intercède auprès de Toi par l'intermédiaire du Prophète, des Gens de la maison ou de tel saint afin que Tu réalises mon souhait ». Le croyant peut demander à Dieu la guérison, la prospérité, le pardon ou l'entrée au paradis. Le shaykh souligne que les versets du Coran ou les hadîth-s qui fondent l'intercession sont nombreux. Le verset le plus souvent cité est le suivant : « Ô vous qui croyez ! Craignez Dieu ! Recherchez les moyens (al-wasîla) d'aller à lui » (5 : 35). Quant aux Compagnons, ils ont intercédé auprès du Prophète pour que Dieu fasse pleuvoir. Le Prophète lui-même, ajoute M. H. Makhlûf, n'a-t-il pas demandé à sa communauté de prier pour lui et de rechercher auprès de lui les moyens d'aller à Dieu (faas'alû-lî al-wasîla) (Makhlûf, 1974 : 11). M. H. Makhlûf veut montrer que les soufis n'attribuent pas un pouvoir direct à un être vivant ou mort mais que l'intercession n'est qu'un des différents moyens mentionnés dans le Coran et donnés par Dieu au croyant pour demander son aide.


Dieu a accordé (akrama) à ses élus des pouvoirs (khawâriq al-'âdât) (Makhlûf, 1974 : 21). La croyance aux pouvoirs des saints, vivants ou morts, est à la base de l'intercession. M. H. Makhlûf rappelle que les grands 'ulamâ' ont admis le recours aux saints et l'existence des karâmât dans plusieurs ouvrages. Ceux qui affirment que les anciens n'avaient pas recours à l'intercession n'ont aucune preuve et, même si tel était le cas, ce n'est pas parce qu'ils ne le faisaient pas que l'on doit considérer cet acte comme une hérésie (Makhlûf, 1974 : 36). Enfin le shaykh précise que l'intercession peut être recherchée auprès de personnages vivants ou morts car l'âme des pieux ne meurt pas et leur corps n'est pas absorbé par la terre : ils disparaissent de la vue des mortels mais gardent les pouvoirs qu'ils possédaient de leur vivant. En outre, l'intercession auprès des morts est considérée comme plus efficace que celle recherchée auprès des vivants, car l'âme des morts est soulagée du poids de son enveloppe corporelle (Makhlûf, 1974 : 17).


Certains réformistes ont été présentés comme des modernistes, notamment ceux qui s'inscrivent dans la mouvance de M. 'Abduh. Or le réformisme dans son ensemble a pour mission de retourner vers un passé idéal afin de mieux entrer dans le progrès et la modernité. Cette tendance n'est pas nouvelle ; dès la fin du XVIIIe siècle, le wahhabisme ainsi que certains ordres soufis sont à l'origine d'un mouvement de réaction, à la fois religieux et militant, contre la décadence de leur société liée à celle de l'Empire ottoman. Comme l'écrit justement J. Jomier (1954 : IX), le réveil théologique et religieux s'est surtout manifesté sur le terrain de l'apologétique : « À propos de textes coraniques, les commentateurs modernes ont voulu donner des leçons aux jeunes générations musulmanes, alimenter leur foi, réveiller leur zèle, faire d'elles les artisans d'un retour de l'islam à la gloire ». L'apologétique, le retour au Coran se retrouvent chez M. H. Makhlûf comme chez beaucoup de soufis lettrés, surtout ceux appartenant àl'establishment azharien. Influencé par les idées de M. 'Abduh qu'il essaie d'appliquer pendant son rectorat de la mosquée Ahmadî, M. H. Makhlûf cherche d'abord à redonner sa place à l'islam, et donc aux 'ulamâ', dans la vie publique du pays. Son attitude de défense du soufisme est avant tout une attitude de défense et de justification islamiques. Elle n'est pas originale mais prend une nouvelle dimension à une époque dite de « décadence musulmane ». La guerre est déclarée contre toutes formes d'associationnisme venant compromettre la foi comme les pratiques des confréries et autres superstitions populaires. M. H. Makhlûf porte son regard sur ce que doit être le vrai soufisme et donc, sur ce qui l'a dénaturé. Moins par hypocrisie que par prudence, il présente le soufisme comme un enseignement de purification de l'âme et d'acquisition des vertus musulmanes, se faisant plus discret sur les aspects illuminatoires de la doctrine. Ainsi, il condamne les pratiques des confréries qui, selon lui, ont contribué à la décadence de l'islam et veut amener à Dieu à travers l'enseignement du Coran. Cependant, il n'en défend pas moins l'intercession des saints, conscient qu'au-delà des critiques concernant des pratiques comme le dhikr ou la récitation des awrâd, c'est à la croyance aux pouvoirs des saints que les adversaires des soufis s'attaquent, c'est-à-dire à ce qui fonde l'autorité de ces derniers sur terre.

Notes:

1 M. Chodkiewicz (1986 : 19) : « De même condamnera-t-il comme une bid'a, une innovation blâmable, la célébration du mawlid (anniversaire) du Prophète et, a fortiori, celle du mawlid des saints ».

2 Chodkiewicz indique encore (1986 : 19) que l'on doit à Ibn Taymiyya, par wahhabites interposés, la destruction en Arabie de lieux vénérés par d'innombrables générations de musulmans.

3 Ibn Taymiyya, Majmû'at al-rasâ'il, éd. R. Ridâ.

Source: http://remmm.revues.org/index232.html#ftn13

1 commentaire:

Anonyme a dit…

l'intercession est une pratique déviante qui peut conduire le musulman à négliger la pratique individuelle de la religion en comptant sur les autres pour faire parvenir ses prières à son Créateur. Cette pratique est une déviance dans la mesure ou des personnes ignorantes vont se rendre auprès des tombes de saints hommes pour solliciter leur intercession auprès d'ALLAH et cela en soit est une association. Parce que l'Islam est venu justement pour rétablir l'Unicité infractionnable de Dieu, qui n'a ni associés ni partenaires, ni intermédiaires.

Celui qui souhaite sincèrement atteindre une pratique rigoureuse de l'Islam, ne doit se conformer qu'au Coran et à la Sounna du prophète (Sallallahu 'alliyhi wa sallam) et s'éloigner de tous les enseignements sectaires et suspects.

Le Saint et saint pour lui-meme, d'ailleurs rien ne prouve qu'il est considéré comme tel auprès d'ALLAH.
ALLAH est proche de nous, plus près que notre veine jugulaire, il répond favorablement a toutes nos prières,.. Aucun homme ne doit négliger ses propres prières et se rendre auprès des tombes et des sanctuaires des saints pour demander leur "intercessions" car cela est contraire à notre religion. Quant au sectes qui y croient, c'est leur affaire ! Le jour du jugement ils seront fixés sur leurs pratiques.