jeudi 21 février 2008

Débat autour d'une nouvelle traduction du Coran en anglais

Débat autour d'une nouvelle traduction du Coran en anglais


Ce mois sort des presses une nouvelle traduction anglaise du Coran. Il en existe déjà une bonne vingtaine, mais celle-ci a suscité des controverses avant même sa publication. D’une part, la traductrice est une Américaine convertie à l'Islam soufie . D’autre part, la traduction remet en cause l’interprétation classique de certains versets.

“La première traduction du Coran par une Américaine.” Cela suffit déjà à susciter la curiosité pour ce volume, publié sous le titre The Sublime Quran. En septembre 2008 sera publiée une édition bilingue arabe-anglais. (Rappelons que, dans la tradition musulmane, le Coran est considéré comme intraduisible: il est admis d'essayer d'en rendre le contenu en d'autres langues, afin d'aider des croyants qui ne comprennent pas l'arabe, mais une il s'agit au sens strict d'une interprétation du texte saint plus que d'une traduction.)

Laleh Bhaktiar est née aux Etats-Unis, fille d’un médecin iranien et d’une infirmière américaine. De mère presbytérienne, elle devint catholique à l’âge de 8 ans. Elle épousa un architecte iranien, avec lequel elle émigra en Iran. Elle suivit les cours de Seyyed Hossein Nasr, célèbre spécialiste d’études islamiques, qui vit aujourd’hui aux Etats-Unis et exerça sur elle une influence décisive dans son cheminement en l’introduisant au soufisme. Elle se convertit à l’islam en 1964, à l’âge de 24 ans. Divorcée et désargentée, elle demeura plusieurs années en Iran après la Révolution islamique, travaillant notamment dans le domaine de la traduction, avant de retourner finalement aux Etats-Unis en 1988 et d'y reprendre des études. Auteur de plusieurs livres, dont Sufi Women of America: Angels in the Making (Chicago, Kazi Publications, 1996), elle voit son rôle comme celui d’un pont entre culture américaine et monde musulman. Elle n’a pas une formation d’islamologue, mais de psychologue. Elle est à l’origine d’un Institut de psychologie traditionelle. Elle vit à Chicago.

Cela fait sept ans, explique Laleh Bhaktiar, qu'elle travaille à sa traduction. Elle déclare être relativement familière avec l'arabe classique, mais ne parle pas couramment l'arabe moderne, ce qui fait froncer les sourcils de plusieurs spécialistes. Elle explique avoir effectué sa traduction en se plongeant constamment dans des dictionnaires pour découvrir les meilleures solutions.

Elle affirme s’être efforcée de trouver un équivalent anglais pour chaque forme grammaticale arabe, afin de garantir la cohérence de la traduction. Sa traduction est présentée ligne par ligne plutôt que verset par verset, ce qui lui semble mieux correspondre à la structure d’un texte récité.

Dans l’idée de rendre le texte plus accessible à des lecteurs occidentaux, elle a pris le parti de traduire Moïse et Jésus sous les noms connus, au lieu de conserver Moussa et Issa. Elle évite également des termes polémiques, comme celui d’“infidèle”.

C’est particulièrement la question de la traduction du verset 4:34 qui a suscité l’attention des médias. Il fait allusion à la punition qu'auraient le droit d'exercer des époux sur leurs femmes désobéissantes et est généralement traduit ainsi:

"Les hommes ont autorité sur les femmes en vertu de la préférence que Dieu leur a accordées sur elles, et à cause des dépenses qu'ils font pour assurer leur entretien. Les femmes vertueuses sont pieuses: elles préservent dans le secret ce que Dieu préserve. Admonestez celles dont vous craignez l'infidélité; reléguez-les dans des chambres à part et frappez-les. Mais ne leur cherchez plus querelle si elles vous obéissent." (trad. Denise Masson, revue par Sobhi el-Saleh)

Ce verset, en particulier le passage que nous avons mis en évidence, qui semble justifier la violence physique envers les femmes, est souvent considéré souvent comme embarrassant dans le contexte contemporain. Il est généralement expliqué comme un reflet des conditions sociales de l’époque de révélation du texte, ou est considéré comme non applicable aujourd'hui. D’autres auteurs soulignent que la lapidation pour différentes fautes est prévue par la Bible, et que l’on n’en tire pas pour autant des conséquences sur l’application de cette pratique dans le judaïsme ou le christianisme contemporain.

Pour Laleh Bhaktiar, soutenir que le Coran donne le droit à l’homme de battre sa femme dans certaines circonstances équivaut rien moins qu’à dénigrer l’islam (The Times, 31 mars 2007). Elle avoue avoir buté sur ce verset durant des semaines, et avoir presque renoncé à poursuivre son entreprise de traduction à cause de ce passage.

Mais son approche de la traduction du Coran se veut fondée sur l’usage de la raison. Puisque ce passage qui autoriserait les hommes à battre leurs femmes dans certaines circonstances lui paraît contredire tout ce que l'on connait du comportement du Prophète (qui n'aurait jamais frappé une femme), c'est donc que l'interprétation en est erronée, estime-t-elle. Après de longues réflexions, Bhaktiar découvrit dans un dictionnaire que le mot arabe utilisé dans ce passage pouvait également signifier non pas "frapper", mais "s'éloigner". Le Coran donnerait donc simplement l’ordre de “s’éloigner” de sa femme dans des situations conflictuelles, ce qui pourrait en effet être cohérent avec l'idée de laisser la femme dans une chambre à part. Bhaktiar conclut que le terme a tout simplement été interprété de travers depuis des siècles. Elle estime en outre que, à l'heure où l'on s'efforce de venir en aide aux femmes battues, une telle révision vient à point.

Cependant, d’autres traducteurs du Coran se montrent sceptiques face à une telle traduction, même si plusieurs soulignent que le terme utilisé connote une punition légère, pas plus d’un seul coup, ou lui assignent un rôle symbolique, comme Muhammad Asad dans son commentaire.

Dans l'immédiat, cela a suscité pour la traduction de Bhaktiar un intérêt qui a dépassé les frontières américaines et lui a valu une publicité avant même sa publication chez Kazi Publications, un éditeur musulman de Chicago. Bhaktiar ne se définit pas elle-même comme féministe, mais sa traduction témoigne en même temps de l'affirmation croissante de femmes musulmanes, notamment intellectuelles, dans les débats sur leur religion, et pas seulement aux Etats-Unis.

Pour plus d'informations sur la traductrice :

http://www.sublimequran.org/

http://www.sufienneagram.com/

Source : religioscope

2 commentaires:

Anonyme a dit…

Ohhhh j'aimerais tant qu'elle ait raison en ce qui concerne la traduction erronée du verset où il est dit qu'un homme peut "battre" sa femme....

"S'éloigner" de sa femme serait bien plus logique par rapport à un Dieu Miséricordieux et un Prophète si doux envers les femmes...

Naturellement les hommes musulmans vont avoir du mal à accepter cela, car cette "nouvelle interprétation" vient d'une femme,en plus une convertie, et parce que cela remet en cause ce à quoi ils croient depuis toujours.

Quoi qu'il en soit, cette dame fait remuer les consciences et c'est très bien !! Bonne soirée.
Yasmina

Habib Matthieu a dit…

Bonsoir ;

j'aimerais bien aussi ; en ce qui concerne les hommes musukmans , c'est vrai que le machisme et le conservatisme de certains en prend un coup ; tant mieux . J'ai beaucoup de respect pour cette femme qui est credible .
Tous les hommes ne sont pas les mêmes Yasmina ...

Matthieu Habib