lundi 28 janvier 2008

Un peu de poésie ...


" Le livre du dedans ", c’est à dire de l’intériorité la plus profonde, est le principal traité en prose du grand poète mystique Rumi , fondateur de la confrérie des derviches tourneurs, dont l’oeuvre reste méditée et commentée dans l’ensemble du monde musulman.


Il est dommage d’atteindre la mer pour n’y puiser qu’une cruche d’eau, alors qu’on y trouve des perles et cent mille choses précieuses. L’eau, quelle est sa valeur ? Et les sages, de quoi se glorifient-ils ? Pourquoi le font-ils alors que tout l’univers est une écume sur la mer ? Cette mer est la connaissance des saints. La Perle, où se trouve-t-elle ? Cet univers est une écume pleine de brindilles. A cause du mouvement des vagues, du bouillonnement de la mer, cette écume revêt une certaine beauté. " On a enjolivé pour les gens l'amour des choses qu'on désire: femmes, enfants, trésors d’or et d’argent, chevaux marqués, animaux et champs ; tout cela est la richesse de la vie présente ". Dieu a dit " enjolivé ", pour montrer que ces merveilles ne sont pas en elles-mêmes belles ; leur beauté a été empruntée et apportée d’ailleurs. C’est une fausse pièce recouverte d’or ; le monde, tel un flocon d’écume, est cette pièce, fausse et sans valeur ; mais nous l’avons recouverte d'or.
(…) Tous les désirs, les affections, les tendresses et les inclinations que les gens ont pour le père, la mère, les amis, les cieux, les terres, les jardins, les palais, les sciences, les actions, les aliments, les boissons, ils les croient raisonnables. Or, toutes ces choses sont des masques. Quand les gens passent hors de ce monde et voient le Roi sans masque, ils comprennent que toutes ces choses étaient des masques et des voiles. En vérité, leur idéal était cette seule Chose : toutes les difficultés sont résolues grâce à cette mise à nu. Toutes les questions et les problèmes qu’ils avaient dans le cœur recevront solution et seront dévoilés. La réponse de Dieu ne consiste pas en ce qu’il répond à chaque difficulté individuellement et séparément. Avec une seule réponse, toutes les questions seront éclaircies et les difficultés résolues

(…) Lorsque ici-bas beaucoup d’amis de noble origine se sont vus parfaitement les uns les autres, quand ils ressuscitent, dans l’autre monde, cette connaissance est renforcée et ils se reconnaissent vite entre eux ; ils savent qu’ils étaient ensemble dans ce monde, et ils se réunissent avec joie. Car l’homme perd vite son ami. Ne vois-tu pas que dans ce monde, quand tu sympathises avec une personne et qu’elle te semble séduisante comme Joseph, une seule action déplaisante suffit à la faire retomber hors de ton champ de vision ; et tu perds l’ami. Le visage de Joseph devient alors un visage de loup.(…) Demain, au Jour de la Résurrection, cette essence changera en une autre essence. Comme tu ne l’avais pas bien connu ni bien pénétré dans son essence, comment pourrais-tu le reconnaître ? Ainsi il faut se voir parfaitement l’un l’autre et dépasser les qualités bonnes et mauvaises qui sont accidentelles en chaque personne et pénétrer dans sa pure essence, car les qualités que les gens se donnent en réalité ne sont pas les véritables.
(...) Quelqu’un déclare : " Je connais très bien untel, et je vais vous donner son signalement ". On lui : " Fais-le ! ". Il répond : " Il était mon valet de ferme. Il avait deux vaches noires. " De même, les gens disent qu’ils ont un certain ami et le connaissent bien ; et le signalement qu’ils en donnent est en vérité aussi peu éclairant que l’histoire des deux vaches noires. Un tel signalement n’en est pas un et ne sert à rien. Il faut dépasser les faits bons et mauvais de l’homme, chercher quelle est son essence et sa réalité : voilà comment on peut voir et connaître véritablement.

(...) Nul besoin ne poussait Majnûn * à voir Laylâ de ses yeux, ni à entendre sa voix; car il ne voyait pas Laylâ séparée de lui-même et il disait :


Ton image est dans mes yeux, ton nom sur mes lèvres,
Ton souvenir dans mon cœur.
A qui écrirai-je ? Où te caches-tu ?
Je suis celui qui aime et celui qui m’aime
Nous sommes deux âmes incarnées en un seul corps.

* Majnûn et Laylâ, couple mythique de l’Islam. On dit que Majnûn priait tourné en direction de la tente de sa bien-aimée, et non en direction de la Mecque…

Donc, un être corporel exerce un pouvoir si grand que l’amour qu’il inspire produit des états où l’amoureux ne se voit pas séparé de celle qu’il aime ; tous ses sens perdent leur autonomie : l’œil, l’ouïe, l’odorat, aucun organe ne réclame une jouissance propre (…). Quand un organe obtient l’immersion, les autres organes se confondent en lui. De même, lorsque l’abeille vole haut, ses ailes, sa tête et tous ses organes se meuvent. Quand elle est noyée dans le miel, tous ses organes sont un. Ils ne bougent plus. L’immersion est acquise quand la personne s’installe hors le moi, hors l’effort, hors l’action, hors le mouvement. Elle est noyée dans l’eau ; chaque action qui émane d’elle n’est pas sienne, mais celle de l’eau (…). Est noyé dans l’eau celui à qui ne reste aucun mouvement ni action, mais dont les mouvements sont ceux de l’eau.

(...) Dans l’homme existent un amour, une douleur, une inquiétude, un appel, de sorte que s’il possédait les cent mille univers, il ne pourrait trouver le calme et le repos. Les gens exercent tous les métiers, tous les commerces, et procèdent à toutes sortes d’études : médecine, astronomie, etc., mais ils ne peuvent trouver le repos, car leur but n’est pas atteint. On appelle le Bien-Aimé " repos de l'âme " ; et comment pourrait-on trouver quiétude et repos ailleurs qu’en Lui ?
(...) Tous les plaisirs et toutes les fins sont tels une échelle ; chaque degré d’une échelle n’est pas un lieu de repos, mais un passage. Heureux celui qui se réveille tôt, afin de raccourcir le long chemin, sans perdre sa vie à trébucher sur les degrés.

(...) Un homme plante un arbre fruitier ; et n’est-il pas sûr que cet arbre qui a donné des fruits vaut mieux que cent arbres qui n’en ont pas donné ? Car il est possible que les autres arbres ne parviennent pas à produire des fruits. Bien des calamités peuvent advenir. Un pèlerin qui arrive à la Ka’ba vaut mieux que celui qui chemine dans le désert ne sachant pas s’il y parviendra ou non. Tandis que le premier est réellement arrivé. Une réalité vaut mille fois plus qu’une incertitude.

Histoire de lion…
La renommée d’un lion s’était répandue dans le monde entier. Par curiosité, un homme vint de très loin pour voir le lion. Il passa une année à parcourir les étapes ; arrivant au fourré, il vit de loin le lion; il resta sur place sans pouvoir avancer. On lui dit : " Enfin, tu as parcouru un long chemin pour le plaisir d’apercevoir le lion ; or, le lion a une caractéristique : si quelqu’un s’avance vers lui sans peur et le caresse avec tendresse, le lion ne lui fait pas de mal ; mais si quelqu’un a peur de lui, il se fâche, et parfois le tue, à cause des soupçons qu’il éprouve ". Ils dirent encore : " Puisqu’il en est ainsi, que tu as passé une année à courir les routes et que maintenant tu es arrivé près du lion, pourquoi rester immobile ici ? Avance d’un pas ". Personne n’eut l’audace de s’avancer. L’homme dit : " C’était facile de parcourir de si longues distances ; mais maintenant, je ne peux avancer d’un pas " . Très rares ceux qui franchissent ce pas. Il n’est le fait que d’une élite et des amis proches de Dieu qui renoncent à leur vie propre. Les autres pas sont des traces de pas.

(...) L’homme est comme un arc dans la main de la puissance divine ; Dieu le Très Haut l’emploie pour des actions ; ces actions, en réalité, sont l’action de Dieu, non de l’arc. L’arc est un instrument et un moyen, mais il est inconscient de Dieu, afin que l’ordre du monde soit maintenu. Quel heureux et excellent arc est celui qui sait dans la main de qui il est !

(...) A chaque endroit où l’on utilise un gros verrou, se cache quelque chose de précieux et de grande valeur. Et plus le voile est épais, plus le joyau est précieux. Tel le serpent qui se trouve au-dessus d’un trésor : ne regarde pas la laideur du serpent, mais considère les choses précieuses qui se trouvent dans le trésor.




" Le livre du dedans " est publié par les éditions Sindbad. Paris - 1982.
Il est traduit et présenté par Eva de Vitray-Meyerovitch, spécialiste de l’oeuvre de Rûmî. Convertie à l’Islam, elle a raconté son attrait pour le monde et la religion musulmane dans " Islam, l’autre visage ", publié chez Albin Michel.
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1 commentaire:

Anonyme a dit…

hi, new to the site, thanks.