mardi 19 février 2008

Les madrassas écologistes d'Indonésie

Les madrassas écologistes d'Indonésie

Un article de Saleem H. Ali

Dans un coin retiré du centre de l'île de Java, la plus peuplée d'Indonésie, s'est développée une forme plutôt inhabituelle d'environnementalisme.

Surplombée par le grand volcan Merapi et entouré de terres fertiles, où l’on cultive riz et canne à sucre, une petite école éduque de futurs écologistes dont l’engagement pour la planète n’est pas fondé sur des textes occidentaux relatifs à la protection de la nature, mais s’inspire plutôt des valeurs dérivées de l’Islam. Le directeur de l’école, Nasruddin Anshari, utilise fréquemment le slogan « une planète pour tous », tout autant que l’invocation musulmane «Allahou Akbar». (Dieu est grand).

En Indonésie, les pesantren (terme local pour madrassa ou école coranique) sont surveillés de près depuis quelques temps, puisque soupçonnés d’avoir un lien avec des actes de terrorisme tels que les attentats de Bali en 2005. Même Barack Obama, le prometteur candidat à la présidence des Etats-Unis, s’est senti obligé de se distancier par rapport à ses années d’enfance en Indonésie en raison d’une rumeur selon laquelle lui aussi aurait fréquenté un l pesantren, étant donnée que son père et son beau-père étaient tous deux musulmans.

En tout cas, la transformation qui a lieu au Pesantren Lingkungan Giri Ilmu plairait sans aucun doute à la plupart des électeurs occidentaux. Les enfants du village de Bantul sont en train d’apprendre l’importance de protéger l’écosystème comme étant un acte de piété envers Dieu.

Non loin de notre pesantren qui se veut respectueuse de l’environnement, l’Agence des Nations Unis, l’Université pour la Paix, a organisé en novembre 2007 un atelier d’une semaine se déroulant à la Gadjah Mada University de Yogyakarta,, et dont le sujet était l’éducation pour la paix dans un contexte islamique. Des universitaires de nombreux pays musulmans s’y sont retrouvés pour débattre des diverses dimensions de l’éducation pour la paix et pour en élaborer les structures d’enseignement à mettre en place dans les écoles islamiques.

L’avènement de l’Islam en tant que religion organisée eut lieu dans le désert d’Arabie, et de ce fait, les règles de l’Islam tiennent énormément compte de questions écologiques. Etant donnée la rareté des ressources, les premiers musulmans ont pris conscience qu’un développement durable n’était possible qu’en tenant compte des contraintes écologiques communes à toute l’humanité. Ainsi, l’universalité du problème des ressources naturelles fournit un précieux modèle en matière de construction de la paix.

Cependant, plusieurs difficultés systémiques font obstacle à la réalisation d'un paradigme de la réalisation d’un développement durable au sein de l’Islam contemporain. Premièrement, la croyance musulmane qui veut que l’homme soit la créature supérieure, parmi toutes celles que Dieu ait créees, constitue un sérieux obstacle lorsqu’il s’agit d’inculquer des règles d'éthiques écologiques, notamment s'agissant des droits des animaux. Néanmoins de nombreuses injonctions vont de pair avec la responsabilité de de « créature supérieure ». Le concept de khalifa (vice régent) exige que celui-ci agisse comme serviteur de la terre et de toute la création.

Deuxièmement, l’insistance sur la vie dans l’au-delà plutôt que la vie ici-bas, a induit à l’erreur beaucoup de musulmans qui considèrent les problèmes en matière d’écologie et de développement comme sans importance. D’où une certaine complaisance et une attitude fataliste par rapport aux problèmes de développement, puisque considérés comme volonté de Dieu. Mais ce fatalisme n’est plus systématique chez les musulmans pieux et pratiquants d’Indonésie. Les écoles coraniques du pays musulman le plus grand du monde se rendent compte que l’acte de piété le plus profond qui soit consiste à sauvegarder les ressources naturelles dont dépend tout être vivant. Tout comme le suicide, interdit en Islam par respect profond pour le caractère sacré de la vie, la profanation du système qui sert de support à la vie et fait que notre planète soit si unique est également proscrit.

Au-delà des frontières de l’Indonésie, on constate également des signes prometteurs de changement. L’Islamic Foundation for Ecology and Environmental Science, à Birmingham, en Angleterre, développe de nombreux programmes destinés à des institutions de pays musulmans. A la fin de l’année 2006, l’US Agency for International Development (USAID) a lancé un programme d’éducation écologique en Tanzanie, visant 12 650 élèves d’écoles primaires et 12 650 élèves de madrassas, en formant 220 enseignants d’écoles primaires et 220 maîtres d’écoles coraniques sur les questions relatives à l’écosystème côtier et marin.

Même un Etat comme l’Iran va de l’avant dans ce domaine, s’enorgueillissant du fait que la Convention de Ramsar sur les zones humides, qui remporte un grand succès, tire son nom de la ville d’Iran où elle fut signée en 1971. Malgré les années de guerre et d’indifférence écologique qui ont suivi cette signature, en 2004 le gouvernement iranien a organisé une conférence internationale sur l’environnement et la sécurité écologique à laquelle les Américains avaient également été conviés et où on a beaucoup insisté sur la protection de l’environnement en tant qu’outil de la construction de la paix. L’ancien président iranien, Mohammad Khatami, avait alors dit que la pollution constituait une menace plus importante encore que la guerre, ajoutant que la lutte pour la sauvegarde de la nature serait peut-être être ce qui allait réunir de façon la plus constructive les pays voisins du Golfe.

Les Etats du Golfe eux aussi sont en train de réduire leur énorme empreinte écologique. Abou Dhabi s’est engagé, d’ici 2012, à avoir la première ville de 40 000 habitants au monde qui soit neutre en émissions. Masdar City accueillera principalement une institution éducative et de nombreuses entreprises technologiques spécialisées dans l’environnement pour soutenir une économie durable.

Si l’énergie des érudits islamiques et de leurs madrassas tout comme celle de nos tsars du développement pouvaient s’unir et se canaliser vers des initiatives similaires, positives et engagées du point de vue social et écologique, peut-être pourrons-nous alors commencer à apprécier notre humanité commune. Plutôt que de rabâcher des discours qui divisent, où il n'est jamais question que de tribus, de sectes et de politique, nous avons le devoir théologique et téléologique de faire reverdir notre société.

* Le Dr. Saleem H. Ali (saleem@alum.mit.edu) est recteur associé pour les études post-licence à la Rubenstein School of Environment de l’Université du Vermont, il a également édité Peace Parks : Conservation and Conflict Resolution (MIT Press) .

2 commentaires:

Anonyme a dit…

Quelle leçon de vie nous donnent ces gens !!!
"Protéger l'écosystème comme un acte de piété envers Dieu" voilà la valeur universelle qui pourra toucher le coeur des gens et les responsabiliser envers notre belle terre bleue. Merci pour cet article magnifique.
En fait tous vos articles sont magnifiques et je me demande où vous allez les chercher....En attendant je viens les lire chez vous. Bonne soirée Habbib Matthieu. Que Dieu vous garde pour tant de choses positives sur ce blog !!!
Yasmina

Habib Matthieu a dit…

Bonsoir Yasmina ;

vos visites sont toujours un plaisir ; merci pour os gentils mots et pour votre interet ...

Matthieu