mardi 7 octobre 2008

Mon cœur s’est ouvert à toutes les formes ...

Mon cœur s’est ouvert à toutes les formes ...

Parmi l’œuvre du cheikh al-Akbar Mohyiddîn ibn el-Arabi, il est une œuvre née d’une expérience fulgurante de l’amour spirituel : l’Interprète des Désirs (Tarjumân et ashw
âq), œuvre poétique au charme « envoûtant » composée en vers arabes classiques -lors de son second pèlerinage à la Mecque, en 611 (1225)- qu’on rapproche par sa forme et son symbolisme au Cantique des Cantiques. Cette parole forcément énigmatique reflète l’harmonie du cosmos et le verbe des anges.
Suite à des opinions désobligeantes émises par des docteurs de la Loi sur certains de ses couplets d’amour courtois et vers galants pris au premier degré, il dut s’atteler à les commenter. Un qâdî nommé Ibn al-‘Adîm renonça au désaveu après en avoir lu [à Alep] quelques passages en sa présence et devant une assemblée de juristes.

Qui ne connaît pas ces strophes, dernières strophes (13-14-15) sur 16 de son poème La religion de l’Amour ? J'ai tenu à vous en présenter le commentaire car ces paroles sont généralement très mal interprétées et prises comme prétexte contre l'orthodoxie d'Ibn Arabi. Nous adoptons ainsi la même démarche que le qâdî, dont le nom est cité ci-dessus.

13. Mon cœur s’est ouvert à toutes les formes : Il est un pâturage pour les gazelles et un couvent de moines chrétiens ;

14. Et un temple d’idoles et la ka’ba du pèlerin, et les tables de la Thora, et le livre du Qoran.

15. Je pratique la religion de l’Amour ; dans quelque direction que ses chameaux avancent, la religion de l’Amour est ma religion et ma foi.



Voici le commentaire :

13. « Mon sœur s’est ouvert à toutes les formes »
"Ainsi qu’un autre a dit :
« Le cœur (el-qalb) est ainsi nommé pour sa faculté de changement (taqallub –mot de même racine Q L B) » car il varie suivant les influences diverses par lesquelles il est affecté, en conséquence de la variété de ses états spirituels (ahwâl) ; et la variété de ses états est due à la variété des manifestations divines (théophanies – tajalliyât ilâhiyya) qui apparaissent dans son secret (sirr)".
« Un pâturage pour les gazelles », c’est-à-dire pour les objets de son amour, les gazelles symbolisant l’amour des bien-aimés pour les amants.
« Un couvent de moines chrétiens [dayr li-ruhbân) » : représentant les bien-aimés comme des moines, il appelle le cœur un couvent. On compare les amoureux aux moines à cause le leur vie vouée entièrement à Dieu, de même le cœur est assimilé à un temple consacré qui est la demeure des religieux et l’endroit où ils se tiennent pour l’adoration.

14. « Un temple d’idoles [bayt al-awthân) » ; il s’agit de réalités divines que les hommes recherchent, et pour lesquelles ils adorent Allah.
« La Ka’ba du pèlerin » : Parce que son cœur est entouré d’esprits élevés (aptitudes angéliques –açhâb al-malakât al malakiyya-) et quand le cœur est ainsi entouré, il est appelé ka’ba.
« Les tables de la Thora » : Son cœur est une table sur laquelle sont inscrites les sciences mosaïques qui se sont manifestées en lui
« Le Livre du Qoran » Parce que son cœur a reçu l’héritage de la parfaite connaissance Mohammédienne.(ma’ârif muhammadiyya kamâliyya)

15. « Je pratique la religion de l’Amour –dîn al-hubb-) » : Cela fait allusion au verset : « Si vous aimez Dieu, conformez-vous à moi, Dieu vous aimera» (Coran III, 29)
« Dans quelques direction que ses chameaux s’avancent » : « J’accepte volontairement et joyeusement toute charge qu’II m’imposera. »
« L’amour est ma religion et ma foi » « Aucune religion n’est plus élevée qu’une religion fondée sur l’Amour et sur le désir ardent de Celui que j’adore et en qui j’ai foi et qui l’ordonne mystérieusement. Telle est la caractéristique des spirituels de type Muhammadien. Car Muhammad -sur lui la Grâce et la Paix de Dieu- a sur les autres prophètes le privilège de la station de l’amour parfait ; et bien qu’il soit aussi élu, confident, ami intime et d’autres qualifications parmi celles qui sont reconnues aux Prophètes, Dieu lui accorda une faveur supplémentaire, celle de l’avoir pris comme amoureux (habib), c’est-à-dire amant (muhibb) et aimé (mahbûd). Or, j’ai hérité de sa voie »

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Commentaire puisé dans la revue « Le voile d’Isis » qui a précédé « Etudes traditionnelles », mais que vous pouvez trouver à la page 124 de l’excellente présentation et traduction de Maurice Gloton « L’interprète des désirs » d’Ibn Arabi chez Albin Michel, pavé de plus de 500 pages...

Source : www.soufisme-fr.com

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