lundi 3 mars 2008

La danse sacrée des derviches tourneurs ou Sema'

La danse sacrée des derviches tourneurs ou Sema'

Salam alaikoum ;

beaucoup d'entre-nous avons deja vu et entendu les derviches tourneurs mais connaissons-nous la symbolique , significations des gestes de ce rituel soufi ? .

Un texte de Jacques Henri PREVOST .


Le tapis rouge symbolise le Coeur, et désigne un espace sacré tout comme le tapis de prière
des musulmans, orienté vers La Mecque, le centre du monde musulman. C’est l’endroit où
l’homme, par la prière, entre en contact avec le divin, où le ciel et la terre, l’homme et Dieu
" communiquent " entre eux. C’est l’image " matérialisée du véritable centre qu’est le
Coeur. Il faut remarquer que le tapis rouge se trouve à l’intersection des deux arcs descendant,
(l'involution), et ascendant, (l'évolution), de la danse en rond qui va commencer.
L’arc de descente symbolise la descente des âmes dans le monde terrestre. C’est la courbe
de l'involution. L'arc de remontée, c’est la remontée des âmes vers Dieu, la courbe de
l’évolution, la réintégration de la matière dans l’Esprit. Cette voie indique la Rédemption,
dont la condition est l’amour, la soumission (ISLAM), le sacrifice. Il faut que la vie se
mette au service de l’Esprit. Tandis que l’arc descendant signifie la chute, la révolte, qui
fut la cause de la sortie du paradis.


Les préludes à la cérémonie


Les derviches entrent dans la salle habillés d’un ample manteau noir qui représente la mort,
la tombe, la lourdeur terrestre et l’enveloppe charnelle. Ils sont coiffés d’une haute toque
de feutre, qui est à l’image de la pierre tombale. Leur habit blanc, symbole du linceul et de
la résurrection, dépasse légèrement le bas de leur manteau. Cette discrète présence de la
couleur blanche symbolise également la vie, la renaissance attendue.
Le maître, le shaykh, entre le dernier derrière les derviches. Son ordre d’entrée signifie que
la quête de l’UN est toujours précédée par une recherche dans le multiple. Donc, respectivement,
le maître incarne l'unité, et les danseurs la multiplicité. Mais en tant que maître, le
shaykh est aussi le premier, dont dépend la multitude. Ayant réalisé l’UN, il contient en lui
toutes les vertus en perfection, dont la plus importante et la plus difficile à réaliser est
l’humilité. Son entrée derrière les danseurs indique qu’il a vaincu son ego et pacifié son
âme. Il suit donc humblement les derviches qui sont ses disciples, donnant ainsi l’exemple
de l’humilité. Le haut bonnet du maître est enroulé d’une écharpe noire (turban) indiquant
sa dignité. L’enroulement du turban renvoie à l’image du cercle symbole de la totalité, de
la perfection. Cela signifie que le shaykh a déjà parcouru la voie initiatique, l’arc de la remontée
et a réintégré sa nature primordiale, exempte de toute imperfection. Ainsi, il a bouclé
le cycle d'involution et d’évolution.
Le maître, après avoir salué les derviches, s’assied devant le tapis rouge en peau de mouton,
dont la couleur évoque le soleil couchant, qui incendiait le ciel de Konya le soir du
jour où mourut Mawlânâ, le 17 décembre 1273. Le maître se trouve donc au point
d’intersection du temporel et de l’intemporel, lieu où les oppositions sont dépassées, lieu
où l’Unité est réalisée.
A ce moment, un chanteur chante les louanges du Prophète, dont Rûmî a écrit les paroles :
" C’est toi le bien-aimé de Dieu, l’envoyé du Créateur unique..."
Ce chant est une mélopée imprégnée d’une profonde solennité. Son chant terminé, le chanteur
se rassoit. Un joueur de flûte improvise un prélude. Puis le shaykh lève les mains de
dessus ses genoux et frappe la terre. Ce geste signale que le SEMA va commencer. Mais
son sens symbolique est très profond. Ce geste fait penser à un acte magique, créateur. Par
là il évoque l’acte créateur démiurgique "Kun = Sois". Ce symbolisme est indissociable de
la notion fondamentale de "Mithaq", le pacte primordial, qui renvoie à la préexistence des
âmes.


Le tour du Sultan Valad


Le shaykh se lève ensuite ainsi que les derviches. Alors commence le tour appelé le "tour
du sultan Valad", le fils de Rûmî.
Les derviches avancent lentement et font trois fois le tour de la piste. Chacun à un endroit
donné se retourne vers celui qui le suit et tous deux s’inclinent profondément, puis reprennent
leur tour. Cette circumambulation est l’image des âmes errantes, s’agitant, cherchant à
la périphérie de l’existence. Le premier tour symbolise l’exotérisme, le deuxième
l’ésotérisme, le troisième la Vérité. Mais la périphérie de l’existence contient déjà cette
dernière dans la révélation de la Loi. Leur salutation mutuelle est le symbole de la solidarité
spirituelle, où les âmes se reconnaissent mutuellement comme étant d’une même origine.
C’est aussi la réciprocité des consciences, chacun des derviches servant de miroir à l’autre.
A la fin du 3ème tour, le maître s’assoit sur son tapis et les danseurs se mettent dans un
coin. Pendant quelques instants les chanteurs chantent en choeur. Le chant terminé, les derviches,
en un geste triomphal, laissent tomber leur manteau noir, montrant leur habit blanc.
L’oeuvre au blanc commence. La chute du manteau est l’illusion qui disparaît. Les ténèbres
sont éclairées par la lumière qui va à présent guider le voyageur. Le manteau noir, qui
tombe, préfigure la mort, laquelle sera vaincue à la fin de l’oeuvre. La voie ésotérique c’est
aussi le dépouillement.
Quand le manteau noir, l’enveloppe charnelle, l’attachement terrestre est quitté, c’est une
seconde naissance, c’est-à-dire la résurrection, l’image même du jour du jugement dernier.
De même que l’homme ressuscitera ce jour-là pour s’exhausser à un niveau d’existence
spirituelle plus élevé, de même qui désire parvenir à l’unité doit mourir et ressusciter dès
ici-bas. C’est là le sens simple du "hadith" du Prophète : " Mourez avant de mourir ".
Lorsque les danseurs apparaissent dans leur habit blanc, c’est le corps de lumière qui naît.
En outre, ce geste hautement significatif indique que tout changement d’état est précédé
d’une phase d’obscurité et d’enveloppement


La danse symbolique des derviches


Le shaykh est assis sur le tapis rouge, signifiant par là que l’Unité est toujours là, accomplie,
mais en attente. Voyant les derviches animés du désir sincère d’accomplir le Grand
OEuvre, il se lève et répond, pour ainsi dire, par une affirmation à la demande des derviches
qui s’avancent vers lui, s’inclinent, et lui baisent la main, un par un. Ils demandent ce faisant
la permission de danser. Mais en même temps, ils prennent l’attachement à la voie
initiatique, la "baraka", qui est la transmission de l’influence spirituelle donnée par le maître
qui, ensuite, baise la coiffe du derviche. Ainsi celui-ci bénéficiera de la force spirituelle
qui le protégera des épines de la voie et qui favorisera l’éclosion de la rose, symbole suprême
de l’Unité. En fait, la demande de permission de danser, et l’accord par le Maître de
cette permission qu’est l’initiation, signifient tout simplement le renouvellement du pacte
primordial, dont nous avons parlé.
Ensuite les derviches, les bras croisés, les mains sur les épaules, se mettent à tourner lentement,
puis étendent les bras, la main droite tournée vers le ciel et la main gauche tournée
vers la terre. Ces deux positions des bras, d’abord pliés, ensuite étendus correspondent respectivement
à deux états (ahval) initiatiques sur la voie. La position des bras croisés les
mains posées sur les épaules est l’état de contraction (qabd). L’ouverture de la danse est un
état de resserrement, car l’impureté fait encore obstacle à la croissance. Ainsi les bras ouverts,
la main droite tournée vers le ciel et la main gauche vers la terre le derviche symbolisera
l’Axe de l’Univers, qui n’est autre que l’Arbre de Vie. La main droite recueillera la
grâce du ciel et la répandra sur la terre par la main gauche tournée vers celle-ci.
L’expansion des bras symbolise la pureté atteinte, Il n’y a plus d’impureté qui empêche la
juste circulation des énergies dans les deux sens. A travers l’organe central qu’est le coeur,
le chaos du début se transformera en une énergie cohérente, aptitude à recevoir et à donner,
qui est l’Amour. Tout en tournant autour d’eux-mêmes, ils tournent autour de la salle. Ce
double tour figure la loi de l’univers à l’échelle macrocosmique et microcosmique. C’est
l’homme qui tourne autour de son centre, qui est son Coeur, et ce sont les astres qui gravitent
autour du soleil. Ce double symbolisme cosmique recèle le véritable sens du SEMÂ :
c’est la création entière qui tourne autour d’un centre unique et invisible.
Les deux premières danses sont effectuées en commun, la troisième se fait individuellement,
car ici le temps est dépassé. Le nombre 3 exprime que la dualité, la chute dans le
temps sont vaincues. Donc ce nombre 3 signifiera la " restitution de l’état primordial ",
l’état où l’homme recouvre le sens de l’éternité. C’est le troisième oeil de la tradition hindoue,
et par là il obtient l’immortalité virtuelle, car jusque-là il est encore dans l’état humain.


La danse finale du Maître


La quatrième danse, faite par le maître tout seul, est la dernière phase du SEMÂ, dont le
sens se rapporte à " la conquête effective des états supérieurs de l’être".
Le shaykh danse en tournant sur la ligne droite au centre du cercle. Jusque-là il était resté
immobile, veillant scrupuleusement sur les derviches. Cette non-participation à la danse se
rapporte à la transcendance divine, et son entrée dans la danse symbolisera l’immanence
divine. Avec cette danse du shaykh, l’unité viendra couronner l’effort de l’homme. La ligne
droite est la voie la plus courte, qui mène à l’Union. Mais les derviches n’ont pas le
droit d’y marcher, seul le maître peut se le permettre. Cette ligne symbolise également les
deux mondes exotérique et ésotérique qui, tout en se touchant, sont séparés par elle. Seul le
maître, en qui l’Unité est réalisée, ou le Grand OEuvre, peut marcher sur elle. Ce qui signifie
qu’il a atteint à la parfaite maîtrise des deux mondes il se place au centre du cercle, il
donne l’image réalisée d’un des noms d’ALLAH : "Maître des mondes", dans la sourate
d’Al-Fâtihâ.
Après Sa danse, le maître revient à sa place et le SEMA " s’arrête " un chanteur psalmodie
le Coran. La récitation coranique est une réponse de Dieu, signe que le Grand OEuvre est
accompli ; la matière a atteint Sa perfection. Le retour du maître à sa place symbolisera la
subsistance (al-baka), après l’extinction de l’ego (al-jânb) dans le Divin. Mais une fois
l’Union totale, la Transmutation alchimique réalisées, l’homme atteint l’état de "soufi", et
dès lors, ayant fait l’expérience suprême, le soufi sera "celui pour qui l’or et la boue ont la
même valeur". La fin de la danse, le retour au monde dans l’état de "subsistance", correspondent
à la réalisation "ascendante". Jusque-là la Création était une illusion ; l’homme
véritable comprend après la "réalisation" que le monde, la création, participent du Divin.
Lumière sur Lumière.
Nous sommes la flûte, dit MawlAnà, et notre musique vient de Toi.
Ainsi se termine le SEMA ; il sera suivi de quelques autres salutations et d’une séance de
"dhikr mawlawî (Hû — Lui)". Ensuite, le maître, en qui se réalise la communion de tous,
se dirige lentement vers la sortie, suivi des derviches et de l’orchestre. L’image du cercle,
symbole de la totalité et de la perfection, sera ainsi manifestée. Désormais, c’est la multitude
qui dépend de l’Unité.

Notes et compléments

Note-a
- C’est aussi l’endroit médian, le monde de l’entre-deux, l’isthme. Le maître est ainsi identifié
à l’arbre du monde, reliant les mondes terrestre et céleste. Quant à la couleur rouge,
image sensible du Coeur, elle indique la finalité de l’oeuvre, de la quête spirituelle. Parallèlement
à l'image du soleil couchant, le rouge indique l’oeuvre parvenue à sa maturité.
En termes alchimiques, on dira "l’oeuvre au rouge" dont les deux étapes précédentes sont
indiquées par le manteau noir, "l’oeuvre au noir", et par l’habit blanc caché sous la cape,
"l’oeuvre au blanc". La couleur rouge renvoie aussi à la rose, autre symbole alchimique, de
laquelle un maître éminent dit : "Que celui qui désire contempler la gloire divine, regarde
une rose rouge." Fulcanelli nous parle aussi des roses ornant le transept et le grand porche
des cathédrales : "L’une n’est jamais éclairée par le soleil c’est la rose septentrionale... La
seconde flamboie au soleil de midi c’est la rose méridionale... La dernière s’illumine aux
rayons colorés du couchant ; c’est la grande rose, celle du portail, qui surpasse en surface
et en éclat ses soeurs latérales. Ainsi se développent, au fronton des cathédrales gothiques,
les couleurs de l’oeuvre, selon un processus circulaire, allant des ténèbres, figurées par
l’absence de lumière et la couleur noire, à la perfection de la lumière rubiconde, en passant
par la couleur blanche, considérée comme étant moyenne entre le noir et le rouge".
On peut étendre l’analogie pour constater que l’oeuvre au noir, début du travail alchimique,
correspond à la voie exotérique destinée aux gens du commun et qui contient toute la vérité.
L’oeuvre au blanc sera le SEMÂ proprement dit où l'on verra les derviches danser en
habits blancs. Elle symbolisera la voie ésotérique menant à l’union. Enfin l’oeuvre au rouge
symbolisera la Vérité, l’union qui sera atteinte au terme du voyage initiatique de la danse
alchimique. Mais la danse n’est pas encore commencée, le travail alchimique qu’est le
SEMÂ n’est pas encore entrepris. Ce qui est donné, c'est le début et la fin, l’alpha et
l’oméga, ou aussi l’extérieur et l’intérieur, comme le déclare un verset coranique "Il est le
Premier et le Dernier, l’Apparent et le Caché". Tout le SEMÂ sera justement la recherche
de ce paradoxe seul compréhensible et réalisable dans l’Union. Pour y arriver il faut entreprendre
un voyage initiatique. La voie initiatique, la quête alchimique, seront ce moyen
d’accès, cette lutte.

Note-b
- Le SEMÂ sera donc considéré comme un éveil des âmes, pour se ressouvenir de ce
jour où Dieu questionna l’humanité encore incréée et contenue dans les reins d’Adam "Ne
suis-je pas votre Seigneur ?", et les âmes répondirent : "Oui, nous l’attestons." Le grand
maître Junayd, qui voyait dans l’oratorio spirituel la préfigure du retour des âmes à leur
état "de pensée de Dieu", dit qu’à cette question une douceur s’insinua dans les âmes. Le
SEMA sera le moyen par lequel les âmes rechercheront cette douceur primordiale, ce
germe d’amour divin déposé dans les coeurs.

Note-c
- On peut y voir également l’interdépendance de toutes choses dans l’existence, leur accord
et leur harmonie. Le SEMÂ sera donc l’exploration, la découverte et la réalisation pleine et
effective de cette harmonie. La dualité exprimée par la présence des deux danseurs est virtuellement
dépassée, unifiée par le geste commun à tous deux qui est la salutation.
L’inclination est le symbole de la soumission, de la mort de l’ego. Cette salutation est le
signe du partage intérieur. Mais tout ceci n’est que la préfiguration de l’accomplissement,
lequel se fera dans le SEMA.

Note-d
- " C’est parce que les canaux menant au coeur et en provenance de lui sont obstrués "
On peut très bien considérer le danseur comme un arbre, dont les branches sont coupées,
émondées en vue d’un meilleur accroissement, qui dépassera de beaucoup l’état d’avant,
où le derviche se sacrifie pour l’amour. " Celui qui fera un beau prêt à Dieu, il le doublera
en sa faveur, et il y a pour lui une récompense généreuse ", dit le Coran. L’état de contraction,
de sacrifice, est donc nécessaire, si l’on veut avancer en direction de la lumière.
Le deuxième état est l’état d’expansion spirituelle (bast). C’est cet état qui est le signe de la
maturité spirituelle, par opposition à l’état de contraction dont le jeûne et la retraite spirituelle
sont deux aspects. L’expansion spirituelle symbolisera l’ouverture au monde.
Au début de la cérémonie, l’invocation de bénédictions sur le Prophète et la "baraka" donnée
par le shaykh constituent aussi des moyens d’expansion, qui protégeront les voyageurs
des rechutes, des oublis, et des autres aléas de la quête, car le retour au monde suppose
toujours ce risque d’oubli au contact du multiple et de l’éphémère.

Note-e
- Lorsque le shaykh commence sa danse, le "nay", la flûte, improvise une deuxième fois :
c’est le moment où s’accomplit le "tawhîd", l’Union Suprême. Nous avons vu que le
shaykh effectuait la danse, alors que les trois premières étaient exécutées par les derviches.
Nous retrouvons ici le symbole de la tri-unité. Si " le nombre 3 exprime l’Unité en langage
de pluralité ", le nombre 4 symbolisera l’accomplissement et la consécration totale de cette
unité. Le chiffre 4 en tant qu’il exprime la stabilité symbolise le cube et renvoie à la Kaaba,
le centre vers lequel les musulmans se tournent pour faire la prière, et qui est l’image terrestre
du centre suprême. La quaternité exprime certes la stabilité, mais, dynamiquement, "
la quaternité rayonne, et c’est Mâyâ dans Sa fonction de communiquer Atmâ et de déployer
ses potentialités ; dans ce cas, elle établit le cosmos selon les principes de totalité et
de stabilité. On voit que la croix, avec ses quatre directions (les quatre fleuves du paradis),
est présente, son centre étant occupé par le maître. C’est le point d’où tout part et où tout
revient, le premier et le dernier le commencement et la fin.

Note-f
- Les deux instruments principaux de la danse sacrée sont la flûte et le tambour. Les battements
sourds de celui-ci durant le SEMÂ évoquent sans doute les trompettes du jour du
jugement. Mais ils symbolisent également les grondements et les tremblements de la terre.
Si le symbolisme des tambours semble lié à la terre, en revanche, par son axialité, la flûte
sera symboliquement liée au ciel. D’ailleurs la plainte du roseau renvoie à la séparation de
l’homme d’avec sa partie céleste. Les deux aspects complémentaires à la fois vertical et
horizontal, céleste et terrestre, évoquent parfaitement la croix dans l’ordre musical, alors
que le derviche la symboliserait pour ainsi dire dans l’ordre chorégraphique. La flûte et le
tambour nous font penser également à l’aspect féminin et masculin de l’oeuvre alchimique
dont la réalisation en or alchimique donne l’androgyne. Le SEMA sera donc fa réalisation
de cet état " androgyne ". Cet état de parfait accomplissement sera d’ailleurs symbolisé par
la danse du shaykh.
Signalons également un autre sens du nombre 4 dans la perspective de l’ésotérisme musulman.
Dans le récit du "Mîraj", l’assomption céleste du Prophète MUHAMMAD, donné
par Ibn Arabî, le quatrième ciel est occupé par le prophète Idris, identifié à Hénoch, ce qui
marque sa position centrale dans la hiérarchie des sphères célestes, qui sont au nombre de
sept. Cette sphère correspond à celle du soleil qui correspond lui-même au " lieu éminent
", jusqu’où Dieu éleva le Prophète en son corps, sans lui faire subir la mort physique. "Il
était véridique et prophète. Nous l’avons élevé à une place sublime" (Coran, XIX, 57-58).
On se souviendra que le prophète Élie fut aussi élevé au ciel dans un char de feu. La danse
du shaykh, l’expression de l‘Union réalisée de toutes les oppositions, évoque les deux notions
fondamentales du "Haqq" (la Vérité) et du "Khalq" (la Manifestation). Il établit ainsi
le lien entre l’Atmâ et la MAyA, dont le nombre 4, cosmique et hypostatique, est
l’expression symbolique.

Note-g
- L’origine du SEMA remonte à la lecture psalmodiée du Coran basée sur le souffle et une
voix rythmée dont on sait qu’elle est un art à part entière car tout le monde ne peut faire
cette lecture très particulière du Livre Sacré. Aussi existe-t-il des spécialistes appelés
"hâIiz", dont la voix mélodique fait ressortir dans toute sa subtilité l’inimitable beauté poétique
de la parole sacrée. Comme dans toutes les traditions authentiques, la liturgie fait
partie intégrante de la Révélation, au même titre que les prières, et la musicalité est inséparable
du texte sacre. D’après une tradition, le prophète MUIZIAMMAD lui-même aurait
encouragé cette pratique liturgique en disant "Ornez le Coran par votre voix".
L’intérêt porté à la musique et à la danse dans l’Islam est très ancien : le SEMA, qui signifie
"ciel", était étudié conjointement à la physique, laquelle était une branche du savoir
toujours en rapport avec l’astronomie et l’astrologie. Rien de surprenant donc que le mot
SEMA en vienne à désigner la ronde des astres. " Ô jour lève-toi. Les atomes dansent. les
âmes éperdues d’extase dansent. La voûte céleste, à cause de cet Être, danse ", s’écrie Rûmî.
Le SEMA exprime ainsi le tournoiement, le devenir incessant des atomes, des astres et
des âmes.

Note-h
- Quelle fut l’origine du SEMÂ ? Les réponses à cette question ne font pas l’unanimité. On
pense tout naturellement au grand maître soufi Nadjm-ad-KubrA, maître du père de Mawlânâ,
Bahâ ud-Din Walad, et du célèbre soufi Attâr. Mais avant Kubrâ un autre maître,
très ancien, lui, Dhu-l’Nûn l’Égyptien, aurait été le premier instaurateur du SEMÂ en
859h. Junayd de Bagdad est lui aussi considéré comme un des plus grands théoriciens et
pratiquants de la danse spirituelle.
- Quoi qu’il en soit, jusqu’à sa rencontre avec Shamsî Tâbrizî (c’est-à-dire " le soleil de
Tabriz "), Rûmi ne semble pas avoir pratiqué le SEMA. Ses deux biographes les plus anciens
Sipehsâlâr et Aflâki sont formels là-dessus - Ils écrivent tous deux explicitement :
"C’est Shamsi Tabrizî qui enseigna à Rûmî la danse rituelle ou qui l’y incita". C’est finalement
le fils de Rûmî, sultan Walad, qui fera du SEMA une pratique régulière, devenant
ainsi la marque distinctive de l’ordre .

Trois citations de Djalal al-Din Rûmi

Ta beauté, ô mon aimée, m'empêche de contempler la Beauté.


Dès l'instant où tu vins dans ce monde de l'existence,
Une échelle fut placée devant toi pour te permettre de t'enfuir.
Car d'abord tu fus minéral, et puis tu devins plante;
Puis tu devins animal : comment l'ignorerais-tu?
Puis tu fus fait homme, doué de connaissance, de raison, et de foi.
Considère donc la perfection de ce corps tiré de la poussière.
Quand tu auras transcendé la condition de l'homme,
Sache que tu deviendras certainement un ange.
Alors tu en auras fini avec la Terre et ta demeure sera le ciel.
Dépasse même la condition angélique et pénètre dans cet océan,
Afin que ta goutte d'eau puisse devenir une mer.(.../...)


Recherche continuellement le royaume de l'Amour
Car ce royaume te fera échapper à l'ange de la mort.
Car je suis l'atome et je suis le globe du Soleil,
A l'atome, je dis "demeure", et au Soleil "arrête-toi".
Je suis la lueur de l'aube et je suis l'haleine du soir,
Je suis le murmure du bocage et la masse ondoyante de la mer.
Je suis l'étincelle de la pierre et l'oeil d'or du métal...
Je suis tout à la fois le nuage et la pluie et j'ai arrosé la prairie.
Purifie-toi du moi afin de voir et distinguer ta propre et pure essence.
Et contemple dans ton seul coeur toutes les sciences des prophètes,
Sans nul livre ni professeur, et surtout sans maître.

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